L'interview est un exercice très périlleux, comme l'a montré la mise en examen du directeur de publication de Lyon Magpour apologie de crime, suite à la publication de propos tenus par l'imam de Vénissieux. L'attitude du journaliste doit être particulièrement mesurée puisque dans le cadre d'un entretien, certaines déclarations susceptibles d'être qualifiées pénalement au regard de la loi de 1881 entraînent la responsabilité de droit du directeur de la publication, journaliste et auteur des propos litigieux étant réputés complices de l'infraction considérée. Au détriment de la liberté d'informer ? Le risque de voir la responsabilité des trois protagonistes engagée dépendra de l'analyse de l'intention coupable de chacun.
ON PEUT CONVENIR QUE LE RÔLE D'UN JOURNALISTE amené à pratiquer l'exercice de l'interview consiste principalement à poser des questions pour faire avancer le débat d'idées, en évitant la connivence avec la personne interviewée, tout en permettant à celle-ci de s'exprimer complètement.Quelle doit être cependant son attitude lorsqu'il recueille dans le cadre d'interviews certaines déclarations ou opinions susceptibles d'être qualifiées pénalement au regard de la loi de 1881, ou ...
(2) L'article 42 de la loi de 1881 dispose : « Seront passibles, comme auteursprincipaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commispar la voie de la presse dans l'ordre ci-après, savoir : 1° Les directeurs depublications ou éditeurs quelles que soient leurs professions ou leurs dénominationset, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, les codirecteursde la publication ; 2° À leur défaut, les auteurs ; 3° À défaut des auteurs,les imprimeurs ; 4° À défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs etafficheurs.» ; v. aussi l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, en matière decommunication audiovisuelle, qui suit l'échelle de responsabilité élaborée pourla presse écrite.
(3) AFP, 24 mai 2004
(4) Le gouvernement a abandonné l'idée d'une loi spécifique et choisi d'inclure,sous forme d'amendements au texte créant la Haute autorité de lutte contre lesdiscriminations et pour l'égalité (HALDE), le délit réprimant l'homophobie et lesexisme, ainsi que la répression contre les propos homophobes, Correspondancede la Presse, 23 décembre 2004.
(5) Sur les réactions qu'a suscitées initialement le projet de loi, voir not. C. Bigot,«Sexisme, homophobie et liberté d'expression », Légipressen° 209, mars 2004,I, p. 35 ; voir aussi du même auteur, Libération, 11 juin 2004, « Le mot discriminationpose problème»; plus largement, sur la notion d'homophobie, J. Birnbaum,« Homophobie : retour sur une imputation », Le Monde, 6 juillet 2004.
(6) Voir ainsi sur l'absence de responsabilité dite "en cascade" du directeur dela publication en matière de protection de la présomption d'innocence, TGI Paris,16 juin 2004, D. Erulin / SNC Le Parisien et autres, Légipresse n° 216,novembre 2004, I, p. 158.
(7) On peut néanmoins détruire une telle présomption en administrant la preuvecontraire. Par ailleurs, sa responsabilité ne saurait être engagée lorsque les proposne sont pas enregistrés ou publiés, mais prononcés en direct (Voir article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, qui distingue, pour la détermination des personnesresponsables, selon que le message a fait l'objet d'une fixation préalable ounon, selon donc que l'émission a été diffusée en direct ou non.)
(8) Cass. civ. 1, 17 octobre 2000, Amouroux / Lyon Mag, Légipressen° 179,mars 2001, I, p. 27.
(9) On a notamment en mémoire l'incident créé par l'emploi du terme "boutiquier"dont le Président de l'Assemblée nationale avait qualifié le Premier ministreà l'occasion d'une rencontre avec un journaliste de Paris Match. Un terme quel'auteur présumé avait ensuite formellement démenti avoir employé, précisantqu'il ne faisait pas partie de son vocabulaire. Le journaliste avait alors apportéun démenti au démenti, en expliquant, selon une dépêche AFP du 22 janvier2004, qu'il avait « pris les déclarations de M. Debré, sous sa dictée».
(10) TGI Paris, 22 octobre 2002, Légipresse n° 198, janvier 2003, I, p. 13.
(11) Le Monde, 26 mai 2004 ; Correspondance de la Presse, 26 mai 2004.
(12) V. Le Monde, 16 mai 2004, «Polémique entre Benjamin Castaldi et Paris Match»
(13) Le juge des référés a retenu l'atteinte à la vie privée et condamné le magazineà 5000 euros de dommages-intérêts ainsi qu'à une publication judiciaire intérieure.Il déclare cependant qu'« il apparaît manifeste que si elle n'excuse en riencette violation, l'attitude de la demanderesse n'a pas été étrangère en l'espèce àcelle de la société éditrice ; que l'intéressée comme elle le reconnaît elle-mêmedans la post-face du livre de son fils n'a pas livré au public des informations trèsintimes, mais aussi aux contours incertains, sans imaginer au préalable, la façondont les médias ne manqueraient pas de les reprendre avec la tentation irrésistible,sinon justifiée, de leur trouver un contenu plus précis, voire plus cohérent».TGI Paris, ord. référé, 11 juin 2004, C. Allégret Livi, M. Vaudaux / HFA, inédit.
(14) Étant exclues de notre propos les infractions de presse ne relevant pas dela loi de 1881 (atteinte à la vie privée, à la présomption d'innocence, ) qui impliquentla seule responsabilité de droit commun de la société éditrice.
(16) V. note 14 supra, TGI Paris, 14 nov. 1997 : « Le fait matériel de publicationn'emporte pas, dans le cadre de l'article 24, la preuve de la mauvaise foi dudirecteur de la publication. Il importe de rechercher s'il a agi avec une intentioncoupable.».
(17) TGI Paris, 17e chambre, 15 octobre 2002, Avocats sans frontières /Cavada,Légipressen° 197, décembre 2002, I, p. 155.
(18) Voir aussi, s'agissant de propos susceptibles d'être qualifiés de diffamationraciale, prononcés dans le cadre d'une émission radiophonique en direct,CA Paris, 15 mai 2003, Avocats sans frontières Licra / P. Assouline, J-M.Cavada, R. Hawa Tawill, Légipresse n° 204, septembre 2003, III, p. 135, noteJ-Y Dupeux.
(19) TGI Paris, 14 novembre 1997, Ministère Public / Ardisson, Zémouri, Ebella ;CA Paris, 10 décembre 1998, Ministère Public / Zémouri, Ebella, inédit.
(20) Le tribunal de déclarer, s'agissant des deux infractions en cause, que « l'élémentintentionnel du délit de provocation réside dans la conscience et la volontédu coupable, quels qu'aient été son mobile et son but final, de créer l'état d'espritpropre à susciter le crime ; en matière d'apologie, l'intention consiste en lavolonté d'inciter le lecteur ou l'auditeur à porter un jugement moral favorablesur l'acte criminel ou son auteur».
(21) L'usage du tutoiement dans les questions posées a été perçu par les premiersjuges comme marquant « une situation de proximité, voire de sympathie»avec le chanteur. On relèvera par ailleurs qu'il n'existait pas dans cette affairede contestation quant à l'exactitude des propos rapportés, ainsi que l'a soulignéla cour d'appel.
(22) La cour n'a pu se pencher sur la question de la responsabilité du directeurde la publication puisque la décision de relaxe le concernant était définitive, àdéfaut d'appel du Ministère public.
(23) Handyside / Royaume-Uni, 7 décembre 1976, série A n° 24.
(24) Jersild / Danemark, 23 septembre 1994, Légipressen° 118, janvier 1995,VI, p. 5.
(25) La présomption légale de l'article 35 bis de la loi de 1881, en matière dediffamation, étant de portée limitée.
(26) V. Jurisclasseur Communication, P. Auvret, Fasc. 3130, n° 144; voir égalementn° 145 « Terminologie juridique », concernant l'utilisation indistincte quefait la jurisprudence des termes "intention coupable", "intention de nuire", "bonnefoi", "absence d'intention de nuire".
(27) TGI Paris, 13 janvier 1998, Le Pen / Bigard, Gascouin et Ardisson, Légipressen° 153, juillet 1998, I-84.
(28) On précisera que dans cette affaire, le propos en cause, qui a entraîné lacondamnation de l'humoriste, se situait au détour de l'interview, n'en constituaiten rien le cur, et n'avait fait l'objet d'aucune exploitation de la part du magazine.Un examen circonstancié de ces éléments aurait pu permettre d'apprécierplus précisément la responsabilité particulière du directeur de la publication, quin'avait pas souhaité mettre en avant ce propos, bien au contraire. Tel n'a pas étél'avis des juges : son devoir étant de surveiller et de vérifier tout ce qui est insérédans sa publication, il est reconnu responsable de droit comme auteur principaldu délit et condamné à une peine d'amende. Cette qualité ne signifie pas pourautant qu'il supporte la peine la plus lourde : dans cette affaire, l'auteur du proposdiffamatoire, complice du délit, a été condamné à 30000 francs d'amende ;le journaliste et le directeur de la publication, à 10000 francs chacun.
(29) CA Paris, 3 avril 1998, Tavernier / Ardisson, S.A. Conception de Presse,inédit.
(31) TGI Paris, 9 février 1999, Le Pen / Boutot, Tellenne, Ponson, Légipressen° 164, septembre 1999, I-103.
(32) Sur la remise en cause de la bonne foi d'emprunt, discutée sur la seule personnedu journaliste, dont bénéficierait le directeur de la publication, voir Cass.crim., 20 mai 2003, n° 01-87.219, X, note J-C Marty et E. Tricoire, JCP, chronique,I 147, 30 juin 2004, p. 1223.
(33) Réponse apportée assez curieusement d'ailleurs par la même formationjuridictionnelle qui a imposé au journaliste une enquête sérieuse avant toutereproduction d'interview : TGI Paris, 17e ch., 16 février 1999, Ministère Public/ Tissot, Verret, Fritel et autres, Légipressen° 164, septembre 1999, I-98.
(34) V. supra, note 24
(35) On en voudra encore pour preuve l'affaire Ministère Amer déjà évoquéesupra, dans laquelle la personne interviewée a été condamnée pour le délit « d'injuresenvers la police nationale», à l'exclusion du journaliste et du directeur dela publication, au motif que ceux-ci se sont « bornés à reproduire le texte del'entretien sur ce point». Voir ainsi, TGI Paris, 14 novembre 1997, MinistèrePublic / Ardisson, Zémouri, Ebella, déjà cité.