La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin dernier a clairement pour objectif de responsabiliser les internautes, invités à dénoncer les contenus les plus choquants, les producteurs de contenus, étant quant à eux tenus de s'identifier. Dans cet esprit de responsabilisation, la loi a également introduit deux innovations importantes, concernant la prescription des délits de presse et le droit de réponse en ligne. Elles méritent d'être saluées, malgré la censure partielle du Conseil constitutionnel.
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
(2) V. Le lecteur, dir. E. Dreyer et P. Le Floch, L'Harmattan Logiques sociales,2004, 268 p.
(3) La question fut posée lors de la rencontre annuelle du CEJEM, organisée le3 juin dernier, à l'Institut de droit comparé, sur le thème « La loi pour la confiancedans l'économie numérique : évolution ou révolution pour l'internet ? ». Le présenttexte est issu de notre intervention à cette journée d'étude.
(4) Si on fait abstraction d'une disposition purement négative : l'art. 6-I, 6° disposeen effet que les fournisseurs d'accès et d'hébergement « ne sont pas desproducteurs au sens de l'art. 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juill. 1982 sur lacommunication audiovisuelle», ce dont nul ne pouvait sérieusement douter (V.A. Lucas, J. Devèze et J. Frayssinet, Droit de l'informatique et de l'internet,PUF, 1re éd. 2001, p. 717, n° 1006).
(5) Crim. 6 mai 2003 : D.2003, p. 2192 et la note ; LPn° 204-III, sept. 2003,p. 125, note C. Rojinsky ; CCE, sept. 2003, p. 35, n° 89, obs. A. Lepage.
(6) DC n° 2004-496, LPn° 213-IV, p. 51.
(7) V. G. Vermelle, « L'immatériel et la répression », APD, t. 43 (1999), p. 217,soulignant que « la victime peut ne plus être celle qui subit le dommage maiscelle qui le recherche. Du moins qui brave l'interdit, pour le plaisir d'entrer dansle mystère. Elle peut devenir ainsi auteur sans l'avoir vraiment voulu. Parce qu'ellea imprimé un document illicite et qu'elle devient coupable par détention. Parceque le réseau permet d'enfreindre les normes pour voir, pour rire, pour rien.»
(8) L'obligation de proposer, et éventuellement fournir, ces logiciels de filtragen'est pas sanctionnée mais il fut observé que les fournisseurs d'accès ont toutintérêt à la respecter dans la mesure où elle les dispense d'effectuer eux-mêmesce filtrage (V. Rapport P. Hérisson et B. Sido, Doc. Sénat n° 345, 11 juin 2003,1re lecture, p. 37). Formons le vu qu'elle soit enfin mise en uvre.
(9) V. parmi les demandes les plus récentes, n'ayant d'ailleurs pas abouti: TGI Paris,réf., 21 fév. 2002, Amen: LPn° 192-III, juin 2002, p. 105, note A. Tricoire et TGIParis, réf., 10 fév. 1997, Larry Flynt : PA, 24 fév. 1997, n° 24, p. 10 note F. Gras.
(10) V. R. Merle, « La distinction entre le droit de se constituer partie civile et ledroit d'obtenir réparation du dommage causé par l'infraction », Mél. A. Vitu, Ed.Cujas, 1989, pp. 397-404.
(11) Si accepter d'être transporté dans une voiture que l'on sait volée constitueun acte de recel, pourquoi la concupiscence devant des photographies prisesau téléobjectif en violant l'intimité de la vie privée d'autrui ne constituerait-ellepas, elle aussi, une infraction (Comp. Crim. 9 juin 1999, Bull. n° 133) ?
(12) CA Colmar, 6 déc. 1957, D.1958, jurispr. p. 357, note P. Bouzat.
(13) V. notre étude : « La protection des mineurs accédant à l'internet : adopterla loi française comme modèle ? », RTDH, avril 2003, n° 17 et s.
(16) Comp. Crim. 10 oct. 2000 : Dr. pén.2001, p. 16, n° 2, obs. M. Véron.
(17) V. A. Lepage, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et desfournisseurs d'accès à l'internet », CCE fév. 2002, n° 5, p. 16. - Sachant que cetexte ajoute : « celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'ilen a été légalement requis, peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peined'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts» (al. 2).
(18) W. Capeller, « Un net pas très net, réflexions sur la criminalité virtuelle »,APDt. 43 (1999), p. 175.
(19) V. TGI Paris, 17e ch. (corr.), 11 fév. 2003 : CCE déc. 2003, p. 34, n° 121,obs. L. Grynbaum.
(20) Y voyant « l'une des grandes particularités qui caractérise internet» :P. Auvret, « L'évolution des droits de réponse : de la presse écrite à internet »,Gaz. Pal.17-19 juin 2001, p. 11.
(21) Même si ces deux obligations de transparence sont pénalement sanctionnéesde la même façon : par un emprisonnement d'un an et une amende de75 000 euros (art. 6-VI, 2°).
(22) V. acceptant de transmettre « les informations nécessaires » dès la délivrancede l'assignation, ce qui ne serait sans doute plus tolérable aujourd'hui :TGI Paris, 3e ch. 23 mai 2001, CCEnov. 2001, p. 21, n° 112, obs. Ch. Le Stanc.
(23) V. Rapport P. Hérisson et B. Sido, Doc. Sénat n° 345, 11 juin 2003, 1re lecture,p. 43. Contra: B. Ader, « La responsabilité des actes de l'internet aprèsla loi du 1er août 2000 », LPn° 176-II, nov. 2000, p. 114.
(24) Cet anonymat est néanmoins protégé par le Conseil de l'Europe « afin d'assurerune protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l'expressionlibre d'informations et d'idées» (Décl. du 28 mai 2003 sur la liberté de lacommunication sur l'internet, LPn° 203-IV, juill. 2003, p. 49, Principe 7).
(25) La solution est plus simple en matière de contrefaçon où l'exploitant du sitereproduisant sans droit des uvres protégées peut faire l'objet de poursuitesen application du droit commun (V. TGI Paris, 3e ch., 13 mars 2002 : LPn° 193-I, juill. 2002, p. 89) mais la question de son identification préalable reste entière.
(26) V. en ce sens, sous l'empire du droit antérieur : TGI Paris, réf. 20 sept. 2000 :LPn° 178-III, janv. 2001, p. 17, obs. B. Ader ; CCE déc. 2000, p. 25, n° 131,obs. J.-Ch. Galloux.
(27) V. TGI Paris, réf. 6 fév. 2001 : CCE mai 2001, p. 30, n° 50, obs. Ch. LeStanc ; LPn° 181-III, mai 2001, p. 88, obs. B. Ader. V. ordonnant néanmoins lacommunication directe à la demanderesse de ces données d'identification :T. Com. Nanterre, réf., 29 oct. 2003 : CCE janv. 2004, p. 35, n° 8, obs.L. Grynbaum ; TGI Paris, réf. 1er déc. 2003 : CCE janv. 2004, p. 34, n° 8, obs.L. Grynbaum.
(28) A. Lepage, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement », préc.,p. 16.
(29) La solution prête d'autant moins à discussion que cet art. 23 est lui-mêmemodifié par l'art. 2-II de la loi nouvelle qui substitue, dans l'énumération desmodes de publicité, l'expression « communication au public par voie électronique» aux mots « communication audiovisuelle». La communication au publicen ligne étant incluse dans la première, il ne peut faire de doute que la loi de1881 est bien applicable sur internet.
(30) A. Lepage, Libertés et droits fondamentaux à l'épreuve de l'internet,Droit@Litec 2002, p. 251, n° 302.
(31) Ce dont convient un éminent magistrat, spécialiste de ces questions : Ph.Belloir, « L'application des règles de procédure pénale aux infractions commisessur le réseau internet », Légalis. net 2002/2, p. 13.
(32) Crim. 30 janv. 2001 : D.2001, p. 1833 et la note ; JCP2001, II, 10515, noteA. Lepage. -Crim. 16 oct. 2001 : LP déc. 2001, III, p. 205, et la note; JCPG. 2002,II, 10028, note P. Blanchetier ; CCE déc. 2001, p. 31, n° 132, note A. Lepage.Crim. 27 nov. 2001 : CCE fév. 2002, p. 38, n° 32, note A. Lepage.
(33) Dans le même sens, le Conseil de l'Europe préconisait d'ailleurs que « lesÉtats membres ne devraient pas soumettre les contenus diffusés sur l'internetà des restrictions allant au-delà de celles qui s'appliquent à d'autres moyens dediffusion de contenus» (Décl. sur la liberté de la communication sur l'internet,Strasbourg, le 28 mai 2003, LPn° 203-IV, juill. 2003, p. 49).
(34) Contra, craignant que l'on n'utilise l'internet comme un « cheval de Troiepour limiter la liberté d'expression»: N. Mallet-Poujol, « La liberté d'expressionau risque des évolutions de la criminalité et de l'économie numérique »,LPn° 210-I, avril 2004, p. 54.
(35) On perd parfois de vue ce qui est au cur de ces infractions : c'est la décisionde laisser paraître un propos qui a été préalablement soumis à l'éditeur ou audirecteur de la publication et sur lequel ils ont pu exercer leur contrôle(V. notre ouvrage : Droit de l'information responsabilité pénale des médias,Litec2002, n° 315). Toute la culpabilité est dans l'accord que ces responsables éditoriauxont donné à la transmission du propos au public. Peu importe que, pour desraisons de preuve, le point de départ de la prescription soit reporté au jour du premieracte de publication. Il ne s'agit pas là d'une règle de fond. La solution s'expliquepar le fait que l'autorité de poursuite ne peut savoir à quel instant la décisionde publier a été prise dans le secret d'un comité de rédaction. Le premier acte depublication ne pouvant être réalisé sans le consentement du responsable éditorial,le juge déduit la décision de publier de cette première manifestation concrète.
(36) V. p. ex. : Crim. 7 mai 2002 : Bull. n° 107. Et : M. Manseur-Rivert, « Droitde la presse et internet : observations sur la prescription », Gaz. Pal.12-14 mai2002, pp. 13-16.
(37) M. Delmas-Marty et G. Giudicelli-Delage, Droit pénal des affaires: PUF, 4eéd. 2000, p. 253.
(38) V. not. A. Valette, au nom du GESTE : LPn° 212-I, juin 2004, p. 91.
(39) V. G. Levasseur, « Réflexions sur l' exceptio veritatis », in MélangesChavanne, Litec 1990, p. 111 et s.
(40) V. not. CA Paris, 11e ch., 29 janv. 2004 : LPn° 210-III, avril 2004, p. 50,note critique d'A. Lepage.
(41) CA Paris, 11e ch., 27 fév. 2002 : CCE mars 2003, p. 34, n° 33, noteA. Lepage ; PA27 mai 2003, n° 105, p. 15, note E. Garçon.
(43) V. aussi : Crim. 24 oct. 1989 : Bull. n° 380.
(44) V. déjà, s'agissant de l'AFP : TGI Paris, réf. 8 oct. 1996 : LPn° 138-I, janv.1997, p. 5.
(45) TGI Paris, réf., 29 mai 2001 : CCEoct. 2002, p. 40, n° 136, obs. A. Lepage.
(46) TGI Paris, réf. 5 juin 2002: LPn° 194-III, sept. 2002, p. 146, note C. Rojinsky;CCE oct. 2002, p. 41, n° 136, obs. A. Lepage.
(47) V. not. A. Lepage, Ouvrage préc., pp. 244-251 ; E. Derieux, « Droit deréponse sur l'internet », LPn° 201-II, mai 2003, pp. 64-69; Ch. Bigot, « L'exerciced'un droit de réponse et l'internet », GP 12-14 mai 2002, pp. 6-12 ; P. Auvret,« L'évolution des droits de réponse », préc.
(48) Th. Verbiest, « Projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique :analyse critique », CCE fév. 2003, chron. n° 4, p. 12.
(49) V. Rapport de J. Dionis du Séjour, Doc. AN n° 1282, 10 déc. 2003, 2e lecture,p. 47.
(50) Hormis la suppression du dernier alinéa du § 1 de cet art. 6, concernantles services de vidéographie assimilés aux services de communication au publicen ligne (art. 5-II). V. Rapport de P. Hérisson et B. Sido, Doc. Sénat n° 345,11 juin 2003, 1re lecture, p. 44.
(51) Le Conseil de l'Europe dispense « d'étendre le droit de réponse aux médiasen ligne non professionnels dont l'influence sur l'opinion publique est limitée»(V. avant-projet de Recommandation sur le droit de réponse dans l'environnementen ligne, janv. 2003, LP n° 201-II, mai 2003, p. 69).
(52) Ajoutons que, faute de restriction, l'obligation d'insérer la réponse s'imposemême au directeur d'un forum de discussion. L'absence de fixation préalabled'un message ne constitue pas un argument permettant d'échapper à cetteobligation. La personne mise en cause trouvera, dans cette insertion forcée, unmoyen de réagir avec plus de force qu'en prenant elle-même part au débat surle forum.
(53) Ch. Bigot, « L'exercice d'un droit de réponse et l'internet », GP12-14 mai2002, p. 10.
(54) Pourtant, cette solution était-elle préconisée par le Conseil de l'Europe :v. LPn° 201-II, mai 2003, p. 69.
(55) Ch. Bigot, « L'exercice d'un droit de réponse et l'internet », GP12-14 mai2002, p. 11.
(56) V. not. CA Paris, 11e ch. corr., 13 juill. 1965, JCP1965, II, 14459.
(57) Comp. L. 1881, art. 13-1. V. aussi le regret de P. Auvret, « L'évolution desdroits de réponse », préc., p. 6.
(58) Au contraire, le Conseil de l'Europe suggère de tenir compte « des spécificitéstechniques des médias en ligne» et propose la règle suivante : « afind'accorder à la réponse la même importance que celle donnée à l'informationcontestée, il peut être estimé suffisant de la publier ou de la relier à un lien a)à l'endroit où l'information contestée est apparue pour la première fois, b) surla page d'accueil du média en ligne professionnel concerné, ou c) dans une partieclairement identifiée du site web du média en ligne professionnel concerné,qui est réservé aux réponses» (Principe 5 : v. LPn° 201-II, mai 2003, p. 69).
(59) Le droit de réponse audiovisuelle est organisé de façon plus souple et mieuxadaptée. L'art. 6 de la loi du 29 juill. 1982 se contente en effet d'affirmer que« la réponse doit être diffusée dans des conditions techniques équivalentes àcelles dans lesquelles a été diffusé le message contenant l'imputation invoquée» (al. 3) et « elle doit également être diffusée de manière que lui soit assuréeune audience équivalente à celle du message précité» (al. 4). Reprendreces deux règles aurait suffit à garantir le parallélisme des formes qui est à labase de l'institution.
(60) L'objet de celui-ci semble se réduire à fixer la durée pendant laquelle laréponse doit rester disponible. Signalons à cet égard que, selon le Conseil del'Europe, « la réponse devrait être accessible au public dans un emplacementvisible pour une durée au moins égale à celle pendant laquelle l'informationcontestée a été accessible au public. Dans tous les cas, cette durée ne devrapas être inférieure à 24 heures» : Principe 5 (v. LPn° 201-II, mai 2003, p. 69).