Aux termes de la jurisprudence Fabris-Utrillo, la Cour de cassation refuse toute exception au droit d'auteur en matière de reproduction d'images d'uvres d'art à des fins d'information du public. Pourtant, force est de constater qu'une telle exception existe dans de nombreuses législations étrangères, comme en droit interne, s'agissant de la reproduction de l'image des personnes et des biens. La transposition prochaine de la directive du 22 mai 2001 offrira-t-elle aux professionnels de l'image, confortés par une partie de la doctrine, l'occasion de voir consacrée cette exception au droit d'auteur qu'ils appellent de leurs vux ?
EN DISPOSANT QUE « le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction », l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), confère à l'auteur d'une uvre, du seul fait de sa création, le droit d'en fixer l'image et d'utiliser l'image ainsi fixée. Ces droits, attributs du droit d'auteur, étant exclusifs et opposables à tous (1), la personne qui publie l'image d'une uvre sans le consentement de l'auteur ou de ...
Clara-Maud BERTAUX
Doctorante, allocataire de recherche à l'Université Paris X Membre du Centre ...
(2) Art. L. 111-1 CPI : « L'auteur d'une uvre de l'esprit jouit sur cette uvre,du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposableà tous».
(3) Une fois bien sûr, les deux conditions préalables à la protection du droit d'auteurremplies, à savoir : la chose, objet de la protection, doit répondre à la définitiond'une uvre de l'esprit protégeable, et l'atteinte, pour être condamnable,ne doit pas avoir eu lieu après que la durée de la protection a été écoulée, c'està-dire, soixante-dix ans après le décès de son auteur.
(4) Affaire Tardy : CA Paris, 13 mai 1986, JCP1987, I, n° 3312, IV. Cass. civ. 1re,13 avril 1988, D. 1989, somm. p. 48.
(5) Affaire Loudmer : CA Versailles, 20 nov. 1991, D.1992, jurispr. p. 402. Cass.Ass. plén., 5 nov. 1993, voir par exemple D.1994, jurispr. p. 481.
(6) Affaire Vuillard : TGI Paris, 15 mai 1991, D.1992, jurispr. p. 146; Légipressen° 90, III, p. 13. CA Paris, 7 juill. 1992, D. 1993, somm. p. 91. Cass. civ. 1re,4 juillet 1995, voir par exemple Légipressen° 123, juill./août 1995, III, p. 6.
(7) B. Edelman considère que l'invocation de l'article 10 de la Convention européennedes droits de l'homme comme exception au monopole du droit d'auteuraux fins d'information est « l'ultime et perfide avatar de cette résistanceobstinée». B. Edelman, D.2000, II, p. 455.
(8) Affaire Utrillo : voir infra II. A.
(9) Pour encourir une condamnation, la diffusion de l'image d'une uvre d'artdevra être identifiable. Voir, par exemple, Cass. civ. 1re, 16 juill. 1987, RIDAn° 135, janv. 1988, p. 94 où l'affiche publicitaire montrant en arrière plan uneinfime partie d'une fontaine n'a pas été considérée comme attentatoire auxdroits de son auteur car les éléments figurant sur les affiches ne communiquaientpas au public les « traits caractéristiques originaux de l'uvre».
(10) M.-A. Gallot Le Laurier et V. Varet considèrent que, pour que des imagesd'uvres d'art puissent être diffusées sans le consentement de l'auteur, deuxconditions doivent être réunies : le caractère accessoire de la diffusion et lasituation de l'uvre au sein de l'espace public. M.-A. Gallot Le Laurier et V. Varet,Légipressen° 169, mars 2000, III, p. 33. Toutefois, les jurisprudences en matièrede reproductions accessoires tendent à démontrer que si la situation au seindu domaine public de l'uvre peut être un élément d'appréciation important,elle n'est pas indispensable à la libre diffusion. Voir jurisprudences ci-dessous.
(11) Affaire Maillol, TGI Paris, 16 oct. 1991, Légipressen° 90, III, p. 44. CA Paris,27 oct. 1992, D.1992, somm. p. 92. Cass. civ. 1re, 4 juill. 1995, Légipressen° 123, III, p. 6, où l'image des statues d'A. Maillol diffusée dans un reportagesur l'état du jardin des Tuileries n'avait pas été considérée comme accessoire.La Cour de cassation avait considéré que les statues filmées intégralement eten gros plan étaient présentées pour elles-mêmes. Voir également : Cass. civ.1re, 12 déc. 2000, D. Aff.mai 2001, p. 1530, où la présence délibérée et répétéedans un film de chaises de Mallet-Stevens excluait que leurs apparitionsrapides puissent être considérées comme accessoires. Pour un exemple oùl'image de l'uvre d'art est considérée comme accessoire: Cass. civ. 1re, 12 juin2001, RIDAn° 192, avril 2002.
(12) V. Varet, « Droit d'auteur et droit du public à l'information : opposition ouconciliation? », Légipressen° 209, mars 2004, III, p. 24. M. Cornu et N. Mallet-Poujol, quant à elles, s'interrogent sur le point de savoir s'il est « si choquant d'admettreque la caméra, lors d'un reportage consacré à une exposition, puisse uncourt instant se poser sur une uvre, quand bien même celle-ci serait intégralementreproduite ou représentée». M. Cornu et N. Mallet-Poujol, « Le droit de citationaudiovisuelle: légitimer la culture par l'image », Légicomn° 16, 1998/1, p. 124.
(13) Nous reprenons ces termes tels que définis par E. Derieux: « Droit à l'imageet droit de l'image en droit français des médias », LPA, 11 avril 2000, n° 72, p. 9. Ledroit de l'image est « l'ensemble de la réglementation applicable à l'image». Il estconstitué de règles éparpillées dans différents textes: code civil, code pénal, codede la propriété intellectuelle, loi de 1881 sur la liberté de la presse, loi de 1986 surla liberté de communication, loi de 1984 sur les activités physiques et sportives, loide 2002 sur les musées de France mais il a aussi pour source des textes internationaux:Convention européenne des droits de l'homme, Déclaration universelledes droits de l'homme, Convention européenne sur la télévision transfrontière
(14) Ici sont visés certains droits exclusifs comme par exemple, les droits d'exploitationdes organisateurs des manifestations prises en image, droits d'originecontractuelle consacrés par l'art. 13 de la loi du 16 juill. 1992 modifiantl'art. 18-1 de la loi du 16 juill. 1984 relative à l'organisation et la promotion desactivités physiques et sportives, étendus aux fédérations sportives par la loi du1er août 2003, et certains droits voisins du droit d'auteur.
(15) J. Ravanas, « L'image d'un bien saisie par le droit », D.2000, chron. p. 19
(16) B. Oppetit, préface à la thèse de M. Serna, L'image des personnes physiqueset des biens, Economica, 1997, p. 8.
(17) Cass. civ. 1re, 13 janv. 1998, Légipressen° 152, 1998, II, p. 77. Cass. civ.1re, 16 juill. 1998, D.1999, jurispr. p. 541. Pour des applications récentes par desjuges du fond, voir par exemple TGI Paris, 7 juill. 2003, Légipressen° 207, déc.2003, III, p. 196 ou TGI Paris, 19 nov. 2003, Légipressen° 209, mars 2004, I, p. 23.
(18) « La liberté de communication des informations autorise la publication d'imagesde personnes impliquées dans un événement sous la seule réserve du respectde la dignité humaine»: Cass. civ. 1re, 20 fév. 2001, voir par exemple Légipressen° 180, avril 2001, III, p. 53 et Cass. civ. 1re, 12 juill. 2001, voir par exempleLégipresse, n° 187, déc. 2001, III, p. 213. Pour une application récente par lesjuges du fond : TGI Paris, 2 juill. 2003, Légipressen° 206, nov. 2003, I, p. 155.
(19) Affaire du café Gondrée : Cass. civ. 1re, 10 mars 1999, voir par exempleJCP G1999, II, n° 10078.
(20) Affaire Roch Arhon : Cass. civ. 1re, 2 mai 2001, voir par exemple Légipressen° 183, juill./août 2001, III, p. 115.
(21) F. de Grandmaison considère que le propriétaire « ne peut, en principe,s'opposer à la reproduction de l'image de sa demeure lorsque celle-ci suit unévénement ou un fait d'actualité»: F. de Grandmaison, « Le droit à l'image attachéà une demeure privée », Petites affichesn° 37, 27 mars 1998. Voir égalementles conclusions de J. Sainte-Rose sous Cass. civ. 1re, 10 mars 1999, D.1999, jurispr. p. 319.
(22) Cass. civ. 1re, 6 févr. 1996, voir par exemple Légipresse n° 133,juill./août 1996, III, p. 87.
(23) La loi n° 92-652 du 13 juill. 1992 qui est venu modifier la loi du 16 juill. 1984n'était pas encore adoptée au moment des faits dans l'affaire Foca. L'article 18-2 qu'elle insère a fait l'objet de nombreux conflits d'intérêts. Sa dernière rédactionest le fruit de la loi 2003-708 du 1er août 2003.
(24) Loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre1986 relative à la liberté de communication, JO2 août 2000, n° 177,p. 11903. Pour un commentaire voir J.-C. Galloux, CCE oct. 2000, p. 9 etC. Caron, CCE oct. 2000, p. 10.
(25) C. Colombet, Grands principes de droit d'auteur et des droits voisins dansle monde. Approche de droit comparé, Ed. Litec et Unesco, 2e éd., 1992.S. Ricketson, Étude de l'OMPI sur les limitations et les exceptions au droit d'auteuret aux droits connexes dans l'environnement numérique, 5 avril 2003.
(26) Art. 22 §1er de la loi belge du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droitsvoisins, « lorsque l'uvre a été licitement publiée, l'auteur ne peut interdire: 1° lareproduction et la communication au public, dans un but d'information, de courtsfragments d'uvres ou d'uvres plastiques dans leur intégralité à l'occasion decomptes rendus d'événements de l'actualité». Art. 10 de la loi luxembourgeoisedu 18 avril 2001 sur les droits d'auteur, les droits voisins et les bases de données.
(27) Art. 50 de la loi allemande du 9 sept. 1965 : « pour les comptes rendus d'actualitésvisuels et sonores présentés par radiodiffusion ou cinématographie, ainsique dans des journaux et revues essentiellement consacrés à l'actualité, il est licitede reproduire, de mettre en circulation et de communiquer publiquement, dans lamesure justifiée par le but à atteindre, les uvres qui peuvent être vues ou entenduesau cours des événements rapportés». Art. 42 c de la loi fédérale autrichiennemodifiée du 9 avril 1939. Art. 23, 2°et 25 de la loi suédoise du 30 déc. 1960. Art.23, 2° et 25 de la loi danoise du 14 juin 1995. Art. 23, 4° de la loi bulgare du 29 juin
(1994) Art. 22, 3° de la loi chinoise du 7 sept. 1990 modifiée le 27 oct. 2001. Art.28 de la loi fédérale suisse du 9 octobre 1992 dispose que « pour les besoins decomptes rendus d'actualité, il est licite d'enregistrer, de reproduire, de présenter,d'émettre et de mettre en circulation ou, de quelque autre manière, de faire voirou entendre les uvres vues ou entendues lors de l'événement présenté».
(28) Exception prévue entre autres par les lois brésilienne (art. 48 de la loi du19 fév. 1998), autrichienne (art. 54, a, 5 de la loi autrichienne du 9 avril 1939),belge (art. 22 §1er, 2° de la loi du 30 juin 1994), suédoise (art. 24, 1° de la loidu 30 déc. 1960), danoise (art. 24, 2° de la loi 14 juin 1995), espagnole (art.35, 2° de la loi du 6 mars 1998), suisse (art. 28 de la loi suisse du 9 oct. 1992),camerounaise (art 32, 1° de la loi du 19 déc. 2000), bulgare (art. 23, 5° de laloi du 29 juin 1993), chinoise (art. 22, 10° de la loi du 7 sept. 1990 modifiée le27 oct. 2001), indienne (art. 52, t de la loi du 4 juin 1957 modifiée le 30 déc.1999), luxembourgeoise (art. 10-7 de la loi du 18 avril 2001).
(29) C'est le cas des lois brésilienne, espagnole, camerounaise (art 32, 2° dela loi du 19 déc. 2000) et bulgare.
(30) Voir également l'article 14 de la loi irlandaise du 8 avril 1963.
(31) J.-M. Baudel, La législation des États-Unis sur le droit d'auteur, Ed. Bruylantet Frison-Roche, 1990.
(32) Article 52 a et b de la loi indienne du 4 juin 1957 modifiée le 30 déc. 1999.
(33) TGI Paris, 23 fév. 1999, voir par exemple D. 1999, jurispr. p. 580. Le TGI,après avoir rejeté l'invocation de l'exception de courte citation, avait déboutéle demandeur au nom du droit du public à l'information sur le fondement de l'article10 de la Conv. EDH.
(34) CA Paris, 4e ch. A, 30 mai 2001, D.2001, jurispr. p. 2504.
(35) Cass. civ. 1re, 13 nov. 2003, voir par exemple D.2004, jurispr. p. 200.
(36) Cet argument, repris à deux endroits de l'arrêt a été accueilli favorablementpar certains commentateurs. Voir par exemple V. Varet, note sous Cass.civ. 1re, 13 nov. 2003, Légipressen° 209, mars 2004, III, p. 23, qui considèrecomme acquis que « l'apparition des uvres à l'écran n'était pas nécessaire àl'information du public».
(40) Conditions énoncées à l'article 10 §2 de la Conv. EDH et méthodologierigoureusement suivie par la CEDH lorsqu'elle examine une atteinte à la libertéd'expression.
(41) CEDH, Association Ekin c/ France, 17 juillet 2001, § 56.
(42) Voir les commentaires des arrêts d'appel et de cassation dans l'affaireUtrillo de V. Varet qui considère que le conflit entre droit d'auteur et liberté d'expressionest « nié».
(43) CEDH, News Verlags c/ Autriche, 11 janv. 2000, § 53 et 59 condamnantl'Autriche parce qu'elle avait interdit la publication d'une photo d'un suspectdans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui, quel que soit le textel'accompagnant.
(44) Voir sur ce point l'analyse de C. Caron sous l'arrêt d'appel du 30 mai 2001précitée.
(45) Proposition de loi n° 1029, enregistrée le 16 juillet 2003. Pour des commentaires: J.-M. Bruguière et B. Gleize, D.2003, pt. de vue p. 2643.
(46) Exposé des motifs de la proposition de loi précitée.
(47) C'est encore ce que proclame le Traité de l'OMPI du 20 décembre 1996,dont la France est signataire et qui souligne dans son préambule « l'importanceexceptionnelle que revêt la protection au titre du droit d'auteur pour l'encouragementde la création littéraire et artistique» comme « la nécessité de maintenirun équilibre entre les droits des auteurs et l'intérêt public général, notammenten matière d'enseignement, de recherche et d'accès à l'information».
(48) Les termes de la directive évitent alors soigneusement le mot « citation»pour lui préférer celui d'« utilisation».
(49) Ses dispositions ont pour caractéristiques de viser plus ou moins directementl'information. En matière d'images d'uvres d'art, on peut retenir égalementune exception facultative en faveur de « l'utilisation d'uvres telles quedes réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placéesen permanence dans des lieux publics» (article 5, 3, h.).
(50) Le test en trois étapes est en effet prescrit par les articles 5-5 de la directiveeuropéenne du 22 mai 2001, 10-1 du Traité de l'OMPI sur le droit d'auteuradopté par la conférence diplomatique le 20 décembre 1996 et 9-2 de laConvention de Berne du 9 septembre 1886 modifiée pour la protection desuvres littéraires et artistiques. La Convention de Berne prévoit également qu'ilest « réservé aux législations des pays de l'Union de régler les conditions danslesquelles, à l'occasion de comptes rendus des événements d'actualité[ ],les uvres littéraires ou artistiques vues ou entendues au cours de l'événementpeuvent, dans la mesure justifiée par le but d'information à atteindre, êtrereproduites et rendues accessibles au public» (article 10 bis 2).
(51) Si une très large partie de la doctrine refuse une nouvelle exception au droitd'auteur fondée sur l'article 10 de la Conv. EDH, elle reconnaît fréquemment quel'interprétation de l'exception de citation par la Cour de cassation est « trèsrigide» (voir à ce titre A. Kéréver, RIDA avril 2000, p. 386 et J.-C. Galloux, JCPG, II, n° 22486.), voire « excessive» (C. Caron, D.2001, jurispr. p. 2507 etV. Varet, Légipressen° 209, II, p. 24).
(52) Voir également la récente analyse de E. Dreyer, « L'information par l'imageet le droit d'auteur », CCEmars 2004, p. 8, qui considère que « le droit d'auteurne mérite certainement pas une place supérieure aux autres droits subjectifs quilui permettrait de tenir seul en échec une légitime information du public par l'image».