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Chroniques et opinions
01/01/2003
Le statut des correspondants de guerre et leur obligation de témoigner À propos de la décision de la chambre d'appel du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie dans l'affaire Randal
Aux termes d'une décision fort médiatisée, la chambre d'appel du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a précisé, le 11 décembre dernier, les principes régissant le témoignage des correspondants de guerre devant le tribunal. L'analyse de la décision montre que l'application des critères dégagés revient à réduire la possibilité de citer à comparaître des correspondants de guerre à une pure hypothèse d'école.
LE 11 DÉCEMBRE 2002, la chambre d'appel du TPIY, présidée par le juge français Claude Jorda, Président du Tribunal (1), a prononcé une décision de principe dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire Jonathan Randal. Le juge Mohamed Shahabuddeen a, comme à son habitude, joint une opinion individuelle (2) (en l'état seulement disponible en anglais (3)), qui propose essentiellement une exégèse de cette décision.L'affaire Randal a rapidement acquis une certaine ...
(1) * (ci-après le TPIY). Les opinions exprimées n'engagent que leur auteur à titrepersonnel et ne reflètent pas nécessairement celles du Tribunal ou del'Organisation des Nations Unies (ci-après l'ONU).
(2) Le président du TPIY est statutairement président des deux chambres d'appeldu TPIY et du TPIR, en application de l'article 14 2) du Statut du TPIY, qui prévoitque « le Président du Tribunal international doit être membre de la chambre d'appel,qu'il préside». Il n'existe pas de chambre d'appel commune aux deux Tribunauxpénaux internationaux. Les juges qui siègent à la chambre d'appel du TPIY siègentégalement à la chambre d'appel du TPIR, en application de l'article 13 4) du Statutdu TPIR. Cependant, chaque chambre d'appel est juridiquement distincte.
(3) Le Secrétaire général de l'ONU a autorisé les juges à joindre des opinionsindividuelles ou dissidentes (Rapport du Secrétaire général établi conformémentau paragraphe 2 de la résolution 808 [1993] du Conseil de sécurité, S/25704,3 mai 1993, page 31, § 118).Les juges du TPIY ont initialement adopté l'article 88 C) du Règlement de procédureet de preuve (ci-après le Règlement) du TPIY équivalent du code deprocédure pénale français lors de la deuxième Session plénière tenue le11 février 1994 (IT/32) et modifié l'article 117 B) du Règlement lors de la cinquièmeSession plénière tenue les 16 janvier et 3 février 1995 (IT/32/Rev.3)afin d'autoriser expressément les opinions individuelles ou dissidentes. Lesjuges du TPIY ont supprimé l'article 88 du Règlement du TPIR lors de la 18e sessionplénière tenue les 9 et 10 juillet 1998 (IT/32/Rev.13). Les articles 88 C) et118 B) du Règlement du Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-aprèsle TPIR) énoncent également que « des opinions individuelles ou dissidentespeuvent être jointes». L'article 83 4) du Statut de Rome instituant la Cour pénaleinternationale (ci-après la CPI) du 17 juillet 1998, applicable seulement aux procéduresd'appel, prévoit que « [ ] un juge peut présenter une opinion individuelleou une opinion dissidente sur une question de droit».
(4) Les articles 33 et 31 des Statuts du TPIY et du TPIR énoncent respectivementque les langues de travail officielles des Tribunaux ad hoc sont l'anglais et lefrançais. En pratique, l'anglais domine largement, surtout au Bureau du Procureur.Le serbo-croate, appelé pour être politiquement correct B/C/S signifiantbosniaque/croate/serbe et l'albanais d'une part, et le kinyarwanda d'autre part,sont des langues de travail non officielles.
(5) Voir par exemple William Safire, « Enter the Globocourt », The New YorkTimes, 20 juin 2002 : the « self-righteous European judges, perhaps contemptuousof America's First Amendment, making law by fiat[ ] wholly missed [ ]the central issue[which] goes to the heart of protecting human rights : will courageousjournalists be able to gain access to war zones as objective observers not just to tell which side is winning, but to bear witness to the murder andrape of innocent ?».Voir également l'article, intitulé « Toward Global Justice », publié en réponse dansThe New York Timesdu 23 juin 2002 par Deyan Ranko Brashich, Conseil dela défense devant le TPIY : I « must defend the tribunal's European judges [who]have become the guardians of fair and publics trials [and] deserve our support ».
(6) Voir sur le site Internet de Reporters sans frontières, d'une part, les extraitsdu courrier adressé par Robert Ménard, Secrétaire général de Reporters sansfrontières, à Carla del Ponte, Procureur en chef du TPIY le 12 juin 2002 (http://www.rsf.fr/article.php3?id_article=2594) et, d'autre part, la déclarationde Robert Ménart selon laquelle « même les causes les meilleures ne justifientpas de violer le principe fondamental de la protection des sources journalistiques»(http://www.rsf.fr/article.php3?id_article=3944).
(7) http://www.un.org/icty/index-f.html
(8) Voir encore récemment les dépêches publiées à l'occasion du prononcéde la décision de la chambre d'appel du 11 décembre 2002 par l'AgenceFrance presse en anglais et par Associated Press le 12 décembre 2002 :« cette décision permet aux journalistes de continuer à protéger leurs sourcesen les tenant secrètes».
(9) L'article 54 du Règlement, texte fourre-tout plus prosaïquement intituléDisposition générale, énonce qu'« [à] la demande d'une des parties ou d'officeun juge ou une chambre de première instance peut délivrer les ordonnances,citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées,mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l'enquête, de la préparationou de la conduite du procès ».
(10) Comptes rendus d'audience, page 2534.
(11) Ibidem, page 2530.
(12) Les juges du TPIY ont modifié le libellé de l'article 73 du Règlement lorsde la Session plénière extraordinaire tenue le 12 avril 2001 (IT/32/Rev. 20).Ce texte prévoit désormais que « les décisions relatives à toutes les requêtesne pourront pas faire l'objet d'un appel interlocutoire, à l'exclusion des cas oùla chambre de première instance a certifié l'appel, après avoir vérifié que ladécision touche une question susceptible de compromettre sensiblementl'équité et la rapidité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiatpar la chambre d'appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ».Il convient de noter que le Règlement du TPIR ne prévoit pas une telle procédurede certification.Sur l'incompatibilité entre les articles 73 et 15 du Règlement, voir Xavier Tracol,« Precedent of Appeals Chambers Decisions over Trial Chambers in theInternational Criminal Tribunals », à paraître dans International Criminal LawReviewen 2003. 12. Voir Note d'information concernant la soumission de mémoires d' amicicuriæ, IT/122 du 27 mars 1997.
(14) « Une chambre peut, si elle le juge souhaitable dans l'intérêt d'une bonneadministration de la justice, inviter ou autoriser tout État, toute organisation outoute personne à faire un exposé sur toute question qu'elle juge utile.»
(15) « Les dispositions du Règlement en matière de procédure et de preuvedevant les chambres de première instance s'appliquent, mutatis mutandis , à laprocédure devant la chambre d'appel.»
(16) Voir Jean de Preux, Commentaire III, Comité international de la Croix-Rouge,1958, pages 72 et 73.
(17) Dans le cadre de la procédure à dominante accusatoire des Tribunauxpénaux internationaux, les correspondants de guerre pourraient tout aussi bienêtre appelés par la Défense en qualité de témoins à décharge. 17. Et non seulement de sa culpabilité, comme indiqué de manière inquiétantepar la chambre d'appel au paragraphe 46 de la décision.
(19) Mémoire du 16 août 2002, § 43; audience de plaidoiries du 3 octobre 2002.
(20) Voir Marlise Simons, « UN Court Grants Special Legal Protection to WarReporters », The New York Times, 12 décembre 2002, page 10.
(21) « La chambre d'appel peut confirmer, annuler ou réviser les décisions deschambres de première instance.»
(22) Sur le rôle et les fonctions des chambres d'appel du TPIY et du TPIR, voirXavier Tracol, « The Appeals Chambers of the International Criminal Tribunals »,Criminal Law Forum, volume 12, n° 2, décembre 2001, pages 137 à 165.
(23) À la demande du Procureur, les juges du TPIY ont ajouté l'article 117 C) duRèglement lors de la cinquième Session plénière tenue les 16 janvier et 3 février1995 (IT/32/Rev. 3). La chambre d'appel du TPIY peut désormais « renvoyerl'affaire devant la chambre de première instance pour un nouveau procès»lorsque les circonstances le requièrent. Voir Le Procureur c/ Goran Jelisic(Brcko), Affaire n° IT-95-10-A, chambre d'appel, Arrêt, 5 juillet 2001, Opinionpartiellement dissidente du juge Wald, aux termes de laquelle le juge a observéque « cet article vient compléter judicieusement et utilement la description laconiqueque donne le Statut du pouvoir de la chambre de confirmer, annuler ouréviser les décisions des chambres de première instance» (§ 6). L'article 118 C)du Règlement du TPIR est similaire. La chambre d'appel de la CPI peut égalementordonner un nouveau procès devant une autre chambre de première instance,en application de l'article 83 2) b) du Statut de Rome.
(24) Le Procureur c/ Drazen Erdemovic (Ferme de Pilica), Affaire n° IT-96-22-A, chambre d'appel, 7 octobre 1997 ; Le Procureur c/ Dusko Tadic (Prijedor),Affaire n° IT-94-1-A, chambre d'appel, Arrêt, 15 juillet 1999 ; Le Procureur c/Zejnil Delalic et autres (Camp de Celebici), Affaire n° IT-96-21-A, chambred'appel, Arrêt, 20 février 2001.
(25) Le Procureur c/ Stanislav Galic ( Sarajevo), Affaire n° IT-98-29-AR73.2,chambre d'appel, Décision relative à l'appel interlocutoire interjeté en vertu del'article 92 bis C) du Règlement, 7 juin 2002, aux termes de laquelle la chambred'appel a estimé ne pouvoir « faire usage de son pouvoir discrétionnaire à laplace de la chambre de première instance, comme elle le ferait d'ordinaire»(§ 20). « Dans ces circonstances», elle a considéré qu'il était « nécessaire d'accueillirl'appel formé[ ] afin que la question puisse être renvoyée devant lachambre de première instance qui devra, en conformité avec la présente Décision,statuer sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire » ( idem) ; voir égalementLe Procureur c/ Vidoje Blagojevic et autres (Brigade de Srebrenica-Zvornik),Affaire n° IT-02-60-AR65 & IT-02-60-AR65.2, chambre d'appel, Décision relativeà la mise en liberté provisoire de Vidoje Blagojevic et de Dragan Obrenovic,3 octobre 2002, § 8.
(26) Sur les conditions d'application de l'article 117 C) du Règlement du TPIY,voir également Le Procureur c/ Nikola Sainovic & Dragoljub Ojdanic (Kosovo),Affaire n° IT-99-37-AR65, chambre d'appel, décision relative à la mise en libertéprovisoire, 30 octobre 2002, opinion dissidente du juge David Hunt, aux termesde laquelle le juge a observé que « dans certains cas où des erreurs de fait oud'appréciation ont été établies, il peut s'avérer impossible ou mal venu pour lachambre d'appel de substituer ses propres conclusions ou l'exercice de sonpouvoir d'appréciation à ceux de la chambre de première instance, et ce, parexemple, parce que la décision de la chambre de première instance dépendaitde ce qu'elle pensait de la crédibilité d'un témoin donné, ou d'un bon nombred'autres questions dont la chambre d'appel n'a pas suffisamment connaissance» (§ 24). Le juge Hunt a conclu qu'« en pareil cas, il convient d'annulerla décision de la chambre de première instance et de renvoyer la questiondevant celle-ci pour qu'elle la réexamine en tenant compte de la décision de lachambre d'appel »( idem). Le juge a ajouté que « lorsqu'il est douteux que lachambre de première instance ait tenu compte dans sa décision d'un point précis,la chambre d'appel peut annuler ladite décision et renvoyer l'affaire devantla chambre de première instance pour que cette dernière précise si elle a tenucompte du point en question et qu'elle reconsidère le dossier si tel n'est pasle cas » (§ 25). Le juge Hunt a spécifié que « si la chambre de première instancerépond qu'elle a effectivement tenu compte de ce point, elle n'a qu'à ledire et confirmer sa décision» ( idem). 26. « An Obligation to the Truth », The Observer, 19 mai 2002 : « Nous franchissonsla porte d'un nouveau monde, qui impose non seulement de dénoncerpubliquement tout héritage laissé par des tyrans ou des grands criminels,mais également de contraindre ceux-ci à rendre compte de leurs actes. Aussi,j'estime qu'il nous faut impérativement remplir nos obligations professionnellesvis-à-vis de nos journaux et de l'opinion publique, et prendre part à ce nouvelélan en s'acquittant de notre devoir moral et juridique.» (l'auteur remercie vivementM. Arnaud Guében, traducteur-interprète au TPIY.)