La liberté d'expression de la jeunesse dans le cadre spécifiquement scolaire a été affirmée par une loi du 10 juillet 1989, mais elle est surtout définie par le décret du 18 février 1991 relatif aux droits et obligations des élèves dans les établissements publics locaux d'enseignement du second degré, dont l'article 1er pose le principe selon lequel : « Les publications rédigées par les lycéens peuvent être librement diffusées dans l'établissement». Si d'autres décrets sont intervenus dans ce domaine, une récente circulaire, en date du 1er février 2002, est venue préciser davantage les conditions de publications de ces journaux et le rôle et la responsabilité des différents acteurs de la vie lycéenne.
« Dans les collèges et lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression [ ]. » (1) LE 28 MARS 2002, le proviseur du lycée parisien Henri IV décidait de suspendre la diffusion à l'intérieur de son établissement du numéro 2 du journal Ravaillac. Alors que les préoccupations communes et les centres d'intérêt partagés dans les journaux lycéens se résumaient le plus souvent ...
Emmanuelle SAULNIER
Docteur en droit Maître de conférences en droit public à l'Institut d'Études ...
(2) Article 10, alinéa 2, de la loi n° 89-486 d'orientation sur l'Éducation nationaledu 10 juillet 1989 : JO14 juil. 1989, p. 8860.
(3) A. Bounoure, Lire les journaux lycéens, coll. Politiques, pratiques et acteursde l'éducation. Éducation et Univers culturel des jeunes, 1998, 159 p.
(4) Le Figaro, 8 avril 2002. V. aussi Libération, 27 mars 2002.
(5) V. le billet « Liberté d'expression pour la presse jeunes », Libération,23-24 mars 2002. V. aussi la pétition lancée par l'équipe du Ravaillacsur le siteinternet de J-Presse : www.jpresse.org.
(6) L'article 12 de la Convention sur les droits de l'enfant dispose que « les Étatsparties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimerlibrement son opinion sur toute question ».
(7) L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789ne vise pas expressément la liberté d'expression, mais la « libre communicationdes pensées et des opinions». La jurisprudence du Conseil constitutionnelne laisse cependant pas de doute sur l'assimilation des deux notions.
(8) Cour EDH, 7 décembre 1976, Handyside, Série A, n° 24, spéc. § 49.
(9) V. aussi la reconnaissance de l'application de cette loi aux lycéens journalistesdans la circulaire n° 91-051 : « Conformément à la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse, cette liberté s'exerce sans autorisation ni contrôlepréalable et dans le respect du pluralisme ; ainsi plusieurs publications peuventcoexister dans le même établissement si les élèves le souhaitent ». 9. La circulaire n° 91-052 du 6 mars 1991, sur les droits et obligations desélèves dans les établissements publics locaux d'enseignement du second degré,BOEN, n° 11, 14 mars 1991, p. 913, indique que « les élèves des lycées et collègesde l'enseignement public disposent déjà, en droit et en fait, au plan desprincipes, dans les conditions du droit commun et, dans la mesure où ils ont lacapacité juridique de les exercer, des droits reconnus respectivement par leslois du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, du 29 juillet 1881 sur la liberté depresse et du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association». Elle rappelle quele Conseil d'État avait déjà procédé à cette reconnaissance à l'occasion de sonavis sur le décret du 18 février 1991. Le Conseil l'a à nouveau indiqué en formationcontentieuse : « Considérant que les élèves des lycées et collèges disposentdes droits reconnus respectivement par les lois du 30 juin 1881 sur laliberté de réunion, du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et du 1er juillet1901 relative au contrat d'association, dans la mesure où ils ont la capacité juridiquede les exercer ; [ ] » (CE, 10 mars 1995, Confédération nationale desgroupes autonomes de l'enseignement public, req. n° 125274, T. p. 817, maisce point n'est pas mentionné aux T.).
(11) À la demande du ministère de l'Éducation nationale, le Centre de liaison del'enseignement et des moyens d'information (CLEMI) a recensé pour l'année2000-2001, 481 journaux lycéens, 1237 journaux collégiens et 2275 journauxd'écoles. Ces chiffres ont été rendus publics dans la circulaire n° 2002-025 du1er févr. 2002, relative à la création d'un dépôt pédagogique pour les publicationsscolaires, BOEN, n° 7, 14 févr. 2002, p. 370.
(12) Circulaire n° 2002-025 du 1er févr. 2002, préc. Le dépôt doit être effectué« dans les jours qui suivent la parution de la publication en en remettant cinq exemplairesau directeur de l'école ou au chef d'établissement. Deux de ces exemplairesseront conservés à la bibliothèque-centre documentaire (BCD) de l'écoleou au centre de documentation et d'information (CDI) de l'établissement au seind'un fonds spécialement créé à cet effet ». Par ailleurs, trois exemplaires doiventêtre adressés au CLEMI et il est prévu que le centre national de documentationpédagogique (CNDP), en assurera l'archivage et la conservation. Il faut signalerque l'association J-Presse (v. infra) archive pragmatiquement depuis une dizained'années les journaux qui lui sont adressés par les jeunes journalistes. L'on peutremarquer que ce nouveau mécanisme de dépôt s'inspire de celui qui a été créépar la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Mais dansle cas de cette dernière, le dépôt est le préalable légalement obligatoire au contrôleexercé par une commission consultative rattachée au ministère de la Justice, habilitéeà alerter le ministre de l'Intérieur, lequel peut prendre des sanctions. Sur cetteloi et son application, v. une étude de l'auteur à paraître : « La protection de la jeunesse:critère privilégié de censure de la liberté d'expression? ».
(13) Loi du 10 juillet 1989, préc.
(14) Décret n° 91-173 du 18 février 1991, JO19 févr. 1991, p. 2489.
(15) Décret n° 85-924 du 30 août 1985, JO31 août 1985, p. 10100.
(16) CE, 10 mars 1995, CNGA, préc.
(17) Le Conseil d'État a rejeté les conclusions dirigées contre les deux circulaires,considérant que le requérant ne demandait leur annulation que par voiede conséquence de l'illégalité alléguée du décret attaqué.
(18) Circulaire n° 91-051 du 6 mars 1991, BOEN, n° 11, 14 mars 1991, p. 918.
(19) Circulaire n° 91-052 du 6 mars 1991, préc.
(20) Circulaire n° 2002-026 du 2 février 2002, BOEN, n° 7, 14 févr. 2002, p. 370. 20. Circulaire du 26 septembre 2001, BOEN, n° 36, 4 oct. 2001. C'est le recteur quiprocède à la répartition des crédits délégués entre les lycées publics de l'académie,en s'inspirant des critères de répartition qui ont été retenus au niveau national.
(22) V. infra(2.1.). La disparition d'une obligation de neutralité était légitimementrevendiquée, mais l'obligation qui lui est substituée est susceptible d'avoirdes conséquences tout aussi importantes.
(23) Il faut également signaler la création récente auprès du ministre de l'Éducationnationale, d'un poste de délégué national à la vie lycéenne, dont estactuellement titulaire M. Thomas Rogé, qui a été président de l'associationJ-Presse et qui serait largement à l'origine de la circulaire du 2 février 2002.
(24) Décret n° 93-718 du 25 mars 1993, JOdu 27 mars 1993. V. aussi le décretn° 91-051 du 6 mars 1991, préc. qui souligne le rôle du CLEMI auprès des professeursrelais. V. encore les actualités du Centre sur son site internet: www.clemi.org.
(25) V. aussi note 11 sur ce nouveau mécanisme de dépôt pédagogique.Il n'est pas indiqué à quelle date le CLEMI devra publier son premier point.
(26) À l'origine, il s'agissait du Centre de documentation et d'information lycéen.
(27) J-Presse a dans cet objectif créé l'Observatoire national des pratiques depresse lycéenne, composé de représentants des syndicats de professeurs, dechefs d'établissements, de lycéens, d'associations de parents d'élèves, etd'autres mouvements associatifs.
(28) V. infra(2. B).
(29) V. le cahier spécial dans le quotidien partenaire Libérationdu 29 mai 2001,entièrement réalisé par des journalistes lycéens.
(30) Circulaire n° 2001-194 du 10 octobre 2001, BOEN, n° 38, 18 octobre 2001.La 13e édition s'est tenue en mars 2002. 30. Article 8 du décret du 30 août 1985 modifié relatif aux établissements publicslocaux d'enseignement, préc. Le chef d'établissement scolaire a une double qualité: il « agit tantôt comme autorité exécutive au sein de son établissement, tantôtcomme agent déconcentré de l'État» (J. Fialaire, « Responsabilité en matièred'enseignement », Jurisclasseur Administratif, fasc. 966, 1998, § 90).
(32) J.-P. Rosenczveig, P. Verdier, La parole de l'enfant. Aspects juridiques,ethniques et politiques, Dunod, Ed. Jeunesse et Droit, 1999, 237 p., ici p. 195.
(33) Circulaire n° 91-052 du 6 mars 1991, préc.
(34) Décret n° 2000-620 du 5 juillet 2000 modifiant le décret n° 85-924 du30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement, JO7juil. 2000, p. 10239.
(35) Ce terme de neutralité ne figure cependant pas expressément dans lestextes de 1991 contrairement à ce qui est écrit dans les articles de presseprécités, mais dans la loi d'orientation de 1989.
(36) L'association a en effet créé un service SOS Censure, auquel les lycéenspeuvent s'adresser par courrier ou par le site internet, et lui faire part des casde censure dont ils sont victimes, pour obtenir des conseils ou une médiationavec le chef d'établissement.