Le dispositif anticoncentration mis en place dans la presse quotidienne au nom des garanties du pluralisme semble assez dépassé et ne plus être aujourd'hui en mesure de répondre à la finalité qui est la sienne. Objectif de valeur constitutionnelle, le pluralisme de l'information appelle sans doute, pour plus d'efficacité, un effort d'adaptation du droit aux réalités nouvelles, nationales et internationales, de la concentration dans les médias.
LE DISPOSITIF anticoncentration dans la presse écrite française comporte certaines spécificités. Il s'agit officiellement, au nom de la recherche des garanties du pluralisme de la presse, et plus particulièrement des publications quotidiennes imprimées d'information politique et générale, de lutter ainsi contre un niveau de concentration qui, au-delà d'un certain seuil, serait jugé comme excessif et dangereux pour la liberté d'expression et le droit du public à l'information. Le ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
(1) * La demande, présentée par MM. Florian Sauvageau et Daniel Giroux, au nomdu Centre d'Étude des Médias, de l'Université Laval (Québec), pour une étudecomparative du régime anticoncentration dans la presse écrite en vigueur dansdifférents pays est à l'origine de ce texte.
(2) Voir in Derieux (E.), Droit de la communication. Jurisprudence , VictoiresÉditions,3e éd., p. 61-64.
(3) Derieux (E.), Les principes du droit de la communication dans la jurisprudencedu Conseil constitutionnel, Légipresse, n° 141-II, p. 49-56.
(4) Derieux (E.), Droit de la communication. Législation , Victoires-Éditions,4e éd., p. 77-78.
(5) Derieux (E.), Droit de la communication. Législation, Victoires-Éditions,4e éd., p. 27-44.
(6) Voir in Derieux (E.), Droit de la communication. Jurisprudence , VictoiresÉditions,3e éd., p. 64-66.
(7) Loi du 24 juillet 1966, art. 355-1 : « - Une société est considérée (...) commecontrôlant une autre :- lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital luiconférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cettesociété;- lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette sociétéen vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et quin'est pas contraire à l'intérêt de la société ;- lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisionsdans les assemblées générales de cette société ;Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose, directement ou indirectement,d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucunautre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fractionsupérieure à la sienne ».
(8) Voir in Derieux (E.), Droit de la communication. Jurisprudence , VictoiresÉditions,3e éd., pp. 23-27.
(9) Pour une des (probablement très) rares illustrations jurisprudentielles de cesdifficultés, sinon impossibilités, voir le jugement du TGI de Paris, 1re ch., 1resect., du 28 janvier 1998, SNE-CFDT et autres c/ Sté Quillet ( Légipresse ,n° 152-III, p. 82-85), par lequel différents syndicats de journalistes ont été déboutésde leur action alors qu'ils considéraient que, du fait de l'achat, par laSociété France Antilles, présidée par Philippe Hersant, fils de Robert Hersant,de 51% du capital de la société éditrice des Dernières Nouvelles d'Alsace, legroupe Hersant aurait dépassé le seuil de 30 % de la diffusion de la presse quotidienned'information politique et générale.
(10) Derieux (E.) et Trudel (P.), dir., L'intérêt public, principe du droit de la communication,Victoires-Éditions.
(11) Voir notamment : Ader (B.), Les conditions d'obtention et conservationd'une inscription à la Commission paritaire des publications et agences de presse,Légipresse, n° 128-II, p.1-8 ; de Bellescize (D.), L'intérêt général, conditiond'obtention d'un numéro d'inscription à la Commission paritaire. Bilan dela jurisprudence du Conseil d'État, Légipresse, n° 150-II, p.25-33 ; Derieux (E.),Le régime économique et fiscal de la presse. L'aide de l'État à la presse, Droitde la communication, LGDJ, 3e éd., p. 54-78, et les références ; Santini (A.),Réflexions sur l'État et la presse, Légipresse, n° 72-II, p.37-41 ; Santini (A.),L'État et la presse, Litec.
(12) Aux termes des dispositions d'application générale de l'article 81 (ancienarticle 85) du traité de Rome, du 25 mars 1957, instituant la Communauté européenne: « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accordsentre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutespratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre lesÉtats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindreou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun». Enl'absence de dispositions spécifiques à la presse, qui auraient pu ou pourraientfaire l'objet d'une directive particulière, les instances communautaires(Commission et Cour de Justice notamment) ne se sont pas, pour le moment,véritablement préoccupées de cette question de sa concentration. Respectueusesdu principe de subsidiarité, elles laissent donc, en la matière, une certaine margeou liberté d'appréciation aux autorités nationales... qui semblent ne pas pouvoirou ne pas vouloir y faire grand chose.