Considéré, par la Cour européenne des droits de l'homme, comme « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse», le droit au secret des sources d'information ne peut cependant être absolu. Il doit nécessairement être concilié avec d'autres droits et libertés. C'est là une question délicate et controversée que deux affaires récentes viennent illustrer.
QUASI SIMULTANÉMENT, dans les derniers jours du mois de décembre 1999, deux affaires ont, à la suite de la divulgation (prématurée) d'informations financières (encore) confidentielles, dans les colonnes de l'Agefi (1), d'une part, et du Figaro (2), d'autre part, conduit à poser à nouveau la question du droit au secret des sources d'information des journalistes.Pour ceux qui acceptent de considérer qu'aucun droit, pas plus celui du secret que de la totale transparence ou divulgation de ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
(2) Sur cette première affaire, voir notamment: Amalou (F.) et Delberghe (M.),L'auteur d'un scoop accusé de recel de délit d'initié. Les locaux du quotidienfinancier l' Agefi ont été perquisitionnés et un journaliste mis en examenaprès la publication d'une information confidentielle sur les comptesdu groupe Aérospatiale-Matra, Le Monde, 22 décembre 1999 ; Trézéguet(D.), Un journaliste est accusé de recel de délit d'initié, La Croix, 24 décembre1999.
(3) Sur cette seconde affaire, voir notamment : Richard (J.-A.) : La COB oubliele secret des sources, Le Figaro, 23 décembre 1999.
(4) CEDH, 27 mars 1996, Affaire Goodwin c/ Royaume-Uni, Légipresse,n° 132-III, p. 70, note E. Derieux.
(5) « Art. 56-2.- Les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse oude communication audiovisuelle ne peuvent être effectuées que par un magistratqui veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte aulibre exercice de la profession de journaliste et ne constituent pas un obstacleou n'entraînent pas un retard injustifiés à la diffusion de l'information».« Art. 109.- Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueilliesdans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine».
(6) Selon le journal Le Monde, qui fait état de mise en garde à vue, de mise enexamen et sous contrôle judiciaire, et de perquisition, la direction de l' Agefiprotestecontre une « procédure qui viserait à faire craquer le journaliste pour l'inciterà révéler sa source » et qui lui paraît inadmissible ( Le Monde, 22 décembre1999). Ce sont à peu près les mêmes propos du PDG de l' Agefi quisont cités par La Croix, la mise en examen du journaliste : « semblent indiquerque la juge espère le contraindre à révéler sa source. Une pratique inadmissiblequi pose une nouvelle foi la question du respect du secret des sources » ( LaCroix, 24 décembre 1999).Pour le PDG du Figaro, cité dans le journal lui-même, l'utilisation de relevésd'appels téléphoniques et la prétention des enquêteurs d'obtenir l'agenda et lerépertoire téléphonique de la journaliste ; « paraissent totalement incompatiblesavec la protection du secret des sources d'information des journalistes et nerespectent pas les règles spécifiques prévues en matière de perquisition dansune entreprise de presse »( Le Figaro, 23 décembre 1999).
(7) Dans un jugement du TGI de Paris, du 25 juin 1997, le tribunal considère :« que la protection des sources journalistiques est un principe fondamental liéà la liberté de la presse; qu'en application de l'article 10 de la Convention européennedes droits de l'homme, il ne peut y être dérogé que dans des circonstancesexceptionnelles, si des intérêts publics ou privés vitaux sont menacés» (TGI Paris, 1re ch., 1re sect., 25 juin 1997, Brad Pitt c/ Voici, Légipressen° 146-III, p. 140, note Ch. Bigot ; JCP 1998.II.10131, obs. E. Derieux.Dans un jugement du 22 octobre 1997, le tribunal a conclu que la demandetendant à voir ordonner, à la société éditrice : « de communiquer des documentsrévélant ses sources ne peut être accueillie alors que la protection dessources journalistiques est un principe fondamental de la liberté de la presse,et auquel il ne peut être dérogé, en application de l'article 10 de la Conventioneuropéenne des droits de l'homme, à défaut de circonstances exceptionnellesinexistantes en l'espèce » (TGI, Paris, 1re ch., 1re sect., 22 octobre 1997, V.Cassel c/ Société Prisma Presse, Légipresse, n° 150-III, p. 58.Dans un jugement du 2 octobre 1998, le TGI de Paris accorde, au nom des droitsde la défense au moins, au journaliste, poursuivi pour diffamation, le droit deproduire en justice, sans que sa responsabilité puisse, par la suite, être engagéepour vol, recel ou complicité de violation de secret, des pièces pourtantnormalement couvertes par le secret de l'enquête et de l'instruction (TGI Paris,17e ch., 2 octobre 1998, M. Pacary c/ G. Gaetner, Légipresse , n° 156-III,p. 152, note BA et JCP1998.II.10189, note E. Derieux).
(8) Voir ci-dessus.
(9) L'article 321-1 du nouveau code pénal pose : « constitue également un recelle fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produitd'un crime ou d'un délit ».
(10) L'auteur d'un scoop accusé de recel de délit d'initié, Le Monde,22 décembre 1999 ; Un journaliste accusé de recel de délit d'initié, La Croix, 24 décembre 1999.
(11) Un jugement du TGI de Paris, du 10 septembre 1998, commence par releverque : « en l'absence d'identification de ceux qui ont procuré [les documentscontestés, aux journalistes prévenus, conséquence de la revendication, formuléepar ceux-ci, d'un droit au secret de leurs sources,] une incertitude demeuresur la qualité précise des auteurs principaux et donc sur la qualification exactede l'éventuelle infraction». Il retient cependant que : « en matière de recel,il n'importe que les circonstances du délit d'où provient l'objet n'aient pas étéentièrement déterminées, dès lors que les prévenus avaient connaissance del'origine délictueuse des documents par eux détenus » (TGI Paris, 17e ch., 10septembre 1998, Légipresse, n° 156-III, p. 150, note B.A. et JCP1998.II.10188,réquisitoire de M. V. Lesclous et note E. Derieux). Il n'existerait donc nul besoinde forcer le secret des sources d'information du journaliste pour pouvoir lecondamner.
(12) Cass. crim., 3 avril 1995, Fressoz et autres, JCP 1995.II.22429, note E. Derieux.
(13) Rapport du 13 janvier 1998, Légipresse, n° 155-II, p. 115, obs. G. Cohen-Jonathan.
(14) Cour européenne des droits de l'homme, 21 janvier 1999, Légipresse ,n° 160-III, p. 41, et JCP1999.II.10120, note E. Derieux.