Le développement de la presse électronique, qu'il s'agisse de la mise en ligne de la version papier d'un périodique ou de la seule édition numérique, pose la question de l'application et de l'adaptation des règles traditionnelles relatives aux délits de presse (diffamation, droit de réponse, délits racistes ), à la responsabilité en cascade, mais également au droit d'auteur des journalistes. Cette étude de droit comparé franco-belge fait le point sur la question.
SUR INTERNET, d'innombrables sites diffusent périodiquement de l'information sous une forme qui s'apparente à la presse écrite ou audiovisuelle. Ainsi, des centaines de journaux à travers le monde sont mis en ligne le jour même de leur parution sur support papier, tandis que d'autres sont édités uniquement sur internet. Quant à la radio et la télévision, il existe déjà des sites diffusant de véritables émissions radiophoniques ou télévisuelles (WebTV) (1). Avec la ...
(1) * La présente étude s'inspire de l'article de l'auteur paru dans Auteurs &Media, 1999/4, sous le titre Presse électronique - Droit d'auteur, délit depresse, responsabilité en cascade, droit de réponse, racisme et révisionnisme.V. également notre article La presse électronique : quel cadre juridique?, paru dans L'Écho du 16 septembre 1999 , disponible surhttp://www.juriscom.net.
(2) si elles ont elles-mêmes contribué à la création ou à la production de cecontenu ;
(3) ou si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi promptementpour empêcher l'accès à ce contenu, sous réserve qu'elles en assurentdirectement le stockage.Art. 43-3. - Les personnes mentionnées à l'article 43-2 sont tenues, sous réservequ'elles en assurent directement le stockage et lorsqu'elles sont saisies par une autoritéjudiciaire, de lui transmettre les éléments d'identification fournis par la personneayant procédé à la création ou à la production du message ainsi que les élémentstechniques en leur possession de nature à permettre de localiser leur émission.Un décret en Conseil d'État détermine les éléments d'identification et les élémentstechniques mentionnés à l'alinéa précédent, ainsi que leur durée et lesmodalités de leur conservation .
(4) Gaillard (A.), Les télés libres se déchaînent, Web Magazine, n° 5, septembre1999, p. 38.
(5) Il faut en moyenne dix fois moins d'argent pour produire des programmessur le Net. Par exemple, le site français http://www.canalweb.net diffuse notammentl'émission Spoutnik qui se veut l'expression de la communauté slaveen France. On a pu notamment y entendre en direct la lecture en serbe d'unelettre d'un Belgradois témoignant des effets désastreux de la guerre en Serbie
(6) « Vidéo : la guerre des standards », Netsurf, n° 42, septembre 1999, p. 56.
(7) A & M, 1997, p. 383 et s.
(8) TGI Strasbourg (réf.), 3 février 1998, Légipresse n° 149-III, p. 22, cité et commentépar C. Rojinsky : La réexploitation des uvres journalistiques - Proposen marge de l'affaire DNA Légipressen° 154-II, p. 101 et Lilti (S.), Les prestatairestechniques en première ligne, Expertises, février 1998, p.146. Il est ànoter que l'ordonnance de référé a été infirmée par la cour d'appel de Colmar,d'une part, en raison d'une transaction intervenue dans l'intervalle entre certainesparties à la cause et, d'autre part, en raison du défaut d'urgence en cequi concerne la demande d'interdiction de diffusion sur internet formulée parles autres demandeurs. S'il n'y avait pas lieu à référé les principes consacréspar le premier juge n'ont cependant pas été remis en cause. Colmar (réf.),15 septembre 1998, Légipresse n° 157-III, p. 172.
(9) V. Légipressen° 162-III, p. 81 commentaire : P.-Y. Gautier. Pour une analysede ces décisions : Costes (L.), Quels droits pour les journalistes sur lesréseaux numériques ?, Cahiers Lamy, droit de l'informatique et des réseaux,n° 116, juillet 1999.
(10) V. Légipressen° 166-III, p. 156 et ce numéro, cahier III, p. 7 commentaireN. Brault.
(11) Dans l'affaire précitée Central Station, même si elle ne visait en l'espèceexplicitement que l'étendue de la cession sous l'empire de l'ancienne loi desdroits patrimoniaux de journalistes salariés relativement à la diffusion de leursarticles en ligne, la cour d'appel de Bruxelles s'est néanmoins exprimée en destermes suffisamment généraux pour s'appliquer au droit moral des journalistessur l'intégrité de leurs uvres : « ...le journaliste écrit pour un public le plus largepossible, mais dans le cadre du journal ou de la revue qui le publie (son journalou sa revue) ; que son article est inséré parmi les articles de ses collègues,qui uvrent, dans le cadre de la même rédaction, pour le même courant d'idéesdans la même publication [...] la rédaction d'un article en vue d'être confrontéà d'autres articles provenant de diverses tendances dans un même recueil, procèded'une autre perspective que celle faite en vue d'informer le lecteur d'unseul journal...». Pour une analyse de l'application de cette jurisprudence aux outilsde recherche, voir. : Th. Verbiest, Entre bonnes et mauvaises références À propos des outils de recherche sur internet, A & M, mars 1999, p. 34.
(12) Commentaires sur http://www.juriscom.net. Sur les précédents de l'affairevoir Yves Eudes, La cyberfronde des pigistes américains , Le Monde, supplémentmultimédia, 9 septembre 1996.
(13) Pour une vue plus précise des arguments en présence : Montero (E.), Laresponsabilité civile des médias, in Strowel (A.) et Tulkens (F.) (éd), Préventionet réparation des préjudices causés par les médias, Bruxelles, Larcier, 1998,p. 100 à 103.
(14) Plusieurs jugements et arrêts du ressort de la cour d'appel de Bruxelles ont eneffet considéré que les protections constitutionnelles de la presse doivent s'interprétercomme visant également la radio et la télévision. Corr. Bruxelles, 24 mars1992, J.LMB, 1992, 1242, obs. F. Jongen, réformé par Bruxelles, 15 mai 1993, J.T.,1994, p. 104 et obs. F. Jongen. Dans un arrêt du 14 janvier 1994, la douzièmechambre de la Cour d'appel de Bruxelles a cependant mis un terme à ce courantdissident. JLMB, 1994, 995, et obs. F. Jongen.
(15) Dejemeppe (D.), La responsabilité pénale, in Strowel (A.) et Tulkens (F.)(éd), Prévention et réparation des préjudices causés par les médias, Bruxelles,Larcier, 1998, p. 140 et la doctrine citée par l'auteur. Il est à noter qu'en France,l'assimilation des publications télématiques aux écrits traditionnels dans le cadrede la loi du 29 juillet 1881 sur les délits de presse n'a pas suscité les mêmesdébats. Ainsi, dans un jugement du 28 janvier 1999, le tribunal de grande instancede Paris se prononça sans hésitation en faveur de l'application de la prescriptionde trois mois prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 à des délitsnotamment racistes commis sur internet. v. Légipressen° 161-I, p. 54.
(16) Une déclaration de révision a d'ailleurs été faite avant les élections législativesde juin 1999 dans le but d'assimiler un écrit électronique à une publication imprimée.
(17) V. ce numéro, cahier III, p. 19 - note C. Bigot.
(18) Hazan (A.), Un guide sur internet est-il une publication de presse ?, LeMonde,22 septembre 1999.
(19) Il est à noter que la Cour de cassation de Belgique a décidé, par un arrêtdu 31 mai 1996, que le régime de la responsabilité s'appliquait également enmatière civile. J.T., 1996, p. 597.
(20) Dans ce sens : Montero (E.), op.cit., p. 104.
(21) Les activités de transmission englobent le stockage automatique, intermédiaireet transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serveexclusivement à l'exécution de la transmission sur le réseau de communications,c'est-à-dire qu'il corresponde à une nécessité technique.
(22) Il n'est pas précisé ce que signifie :« avoir une connaissance effective que l'activitéest illicite [ou] avoir connaissance de faits et circonstances selon lesquelsl'activité illicite est apparente». Toute information, quelle qu'en soit la nature, adresséeau prestataire, aura-t-elle une légitimé suffisante pour constituer une connaissanceeffective ? Quel sera le niveau de connaissance exigé ? Le projet reste muetsur cette question laissée à l'appréciation des autorités nationales, bien qu'ellepuisse recevoir des réponses divergentes.Dans les trois cas, la limitation de responsabilité dont bénéficie le prestataire techniqueexclut les actions en dommages et intérêts et les poursuites pénales, maisn'exclut pas la possibilité d'une action en cessation ( prohibitory injunction).
(23) V. L égipressen° 160-III, p. 52. Pour un commentaire de cette affaire :Verbiest (Th.), op.cit., p. 45. Ce faisant, la France suit la voie tracée parl'Allemagne dans sa loi du 1er août 1997. Pour un commentaire de cette loi :Hoeren (Th.) Liability in the internet and the new German multimedia law regulations,A & M, décembre 1998, p. 309.
(24) L'amendement est ainsi rédigé : Il est inséré au titre II de la loi n° 86-1067du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication un chapitre V,intitulé : Dispositions relatives aux services en ligne autres que de correspondanceprivée et rédigé comme suit :Art. 43-1. - Les personnes physiques ou morales dont l'activité est d'offrir unaccès à des services en ligne autres que de correspondance privée, sont tenuesde proposer un moyen technique permettant de restreindre l'accès à certainsservices ou de les sélectionner.Art. 43-2. - Les personnes physiques ou morales qui assurent, directement ouindirectement, à titre gratuit ou onéreux, l'accès à des services en ligne autresque de correspondance privée ou le stockage pour mise à disposition du publicde signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessiblespar ces services, ne sont responsables des atteintes aux droits destiers résultant du contenu de ces services que :
(25) La documentation française, 1998, p.174.
(26) Pour un commentaire de l'arrêt : Wilhelm (P.) et Kostic (G.), « La hiérarchiedes responsabilités sur internet », Cahiers Lamy Droit de l'informatique et desréseaux, n° 114, mai 1999, p.12.
(27) Voir ce numéro de Légipresse, cahier III, p. 19 note C. Bigot. Les faits decette affaire sont les suivants : deux sociétés du groupe Axa (Axa Conseil IARDet Axa Conseil Vie) ont assigné en janvier 1999 le fournisseur de services Infonieet l'un de ses abonnés pour diffamation publique (articles 29 alinéa 1 et 32alinéa 1 de la loi du française du 29 juillet 1881 sur les délits de presse). L'abonné,un ancien salarié du groupe Axa, avait en effet mis en ligne une page personnellejugée diffamatoire. D'une part, les avocats d'Axa ont invoqué la responsabilitééditoriale d'Infonie, l'auteur des propos diffamatoires étant, quant à lui,accusé de complicité. D'autre part, la défense d'Infonie a tiré argument du caractèreimmédiat du transfert d'informations sur internet, qui serait assimilableau direct tel que défini dans la loi française sur la communication audiovisuellede 1982 (article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982).Le tribunal d'instance de Puteaux a débouté les deux sociétés du groupe Axa eta refusé de condamner Infonie en qualité de directeur de publication et d'auteurprincipal du délit de diffamation publique, au motif que l'hébergeur n'avait aucunemaîtrise sur le contrôle des informations préalablement à leur diffusion surl'internet. Par conséquent, il ne pouvait être qualifié de directeur de la publication.Quant à l'auteur de la page personnelle, il a également été relaxé.
(28) Pour une vue plus précise des arguments en la matière : Jongen (F.), Droitde réponse dans la presse et l'audiovisuel, in Strowel (A.) et Tulkens (F.) (éd),Prévention et réparation des préjudices causés par les médias, Bruxelles, Larcier,1998, p. 56.
(29) Vivant (M.), Le Stanc (C.) et Rapp (L.), Lamy Droit de l'informatique et desréseaux, Lamy, 1999, n° 2454.
(30) C'est dans cette optique qu'en Belgique, en juillet 1997, un avant-projet deloi a été approuvé par le Conseil des ministres et déposé au Conseil d'État. Eneffet, les objectifs du texte étaient notamment la suppression des différencesinjustifiées entre les différents médias en matière de droit de réponse. Toutefois,le 25 mars 1998, le Conseil d'État a estimé que le législateur fédéral n'était pascompétent pour réglementer le droit de réponse en matière audiovisuelle. Lesministres-présidents des trois Communautés en ont été informé et ont été invitéà légiférer en la matière. Voir l'entrevue du 18 novembre 1998 La presseet la justice réunissant les rédacteurs en chef de la presse écrite et audiovisuelleainsi que l'AGJPB, sous la présidence du ministre de la Justice, disponiblesur : http://www.just.fgov.be/html/notfr24.htm.
(31) V. Légipressen° 163-I, p. 85
(32) Il s'agit en effet de la théorie dite de l'ubiquité, consacrée par l'article 113-2 ducode pénal français, en vertu de laquelle les juridictions françaises sont compétentesdès que l'un des éléments constitutifs ou aggravants de l'infraction a étéréalisé sur le territoire national, sans qu'il faille rechercher si l'infraction y a été entièrementcommise. En Belgique, le même critère de compétence est appliqué demanière constante par la jurisprudence. Voir à ce sujet Vivant (M.) , Cybermonde :Droit et droits des réseaux, Semaine juridique, 1996, I, 3969, p.405.