Lorsqu'une simple ordonnance de référé, qui n'a donc qu'un caractère provisoire, est à l'origine de si nombreuses prises de position de la doctrine, mais aussi des professionnels du domaine (1), les enjeux ne sont pas à rechercher uniquement dans la passion immodérée des juristes pour l'interprétation. La décision prononcée le 3 février 1998 par le président du tribunal de grande instance de Strasbourg (2), statuant en matière commerciale, interroge en effet avec une particulière acuité, non seulement le statut juridique de la presse électronique, mais plus largement l'économie globale des relations entre les journalistes et les éditeurs de presse. Elle fait d'ailleurs suite à des décisions étrangères, et en particulier à une affaire jugée en Belgique, ayant donné raison aux journalistes (3).
La question initialement posée, s'il est possible de la résumer d'un trait, était la suivante : dans quelle mesure et à quelles conditions les articles composant un organe de presse, écrite ou audiovisuelle (puisqu'il s'agissait d'une action intentée par des journalistes des Dernières Nouvelles d'Alsace mais aussi de France 3), peuvent-ils être publiés une nouvelle fois par l'éditeur selon un autre procédé, à savoir une mise en ligne sur le réseau Internet ? Tout un pan de la ...
Cyril ROJINSKY
Avocat au barreau de Paris
1er septembre 1998 - Légipresse N°154
4478 mots
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(2) Voir notamment : Rigambert (Jean-Paul), À l'occasion d'Internetau risque de la censure, Légipresse, mai 1998, 151-II, p. 59 ; ainsique le Livre blanc du Syndicat de la presse magazine et d'information(SPMI) intitulé La presse française sera-t-elle sur Internet ? Pour unedéfense de l'uvre collective (juin 1998).
(3) TGI Strasbourg (ord. réf. com.), 3 février 1998, Union syndicale desjournalistes français CFDT et a. c/ SA SDV Plurimédia, JCP 1998, éd.G, II, 10044, note Emmanuel Derieux ; Gaz. Pal., 3-4 avril 1998, jur.,p. 8, note J.-G. M. ; Légipresse, mars 1998, 149-III, p. 22, note B. A.
(4) Tribunal de première instance de Bruxelles, 16 octobre 1996, D.1997, 322, note Bernard Edelman ; commentaire de Frédérique Olivieret Eric Barbry, Les journalistes et l'Internet , Légicom, n° 14,1997/2, p. 49 ; et, dans la même affaire, l'arrêt de la Cour d'appel deBruxelles, 28 octobre 1997, Expertises, mai 1998, p. 154, commentairede Stéphane Lilti, p. 146.
(5) Cf. notamment Derieux (Emmanuel), Journalisme et droitd'auteur, Mélanges Françon, Dalloz 1995, p. 83 ; Agnès Tricoire etElisabeth Grave, Le droit d'auteur des journalistes, Légipresse, juin1991/5, 82-I-39 ; Melas (Victor-Th.), Le droit d'auteur des journalistes: quelques-unes de ses particularités, RIDA, 1984, p. 123.
(6) À ce sujet, lire Bécourt (Daniel), Droit d'auteur et droit du travail,JCP 1998, éd. G, I, 3364.
(7) Mc Luhan (Marshall), Pour comprendre les médias, Mame / Seuil,1968, p. 23 : « Dans une culture comme la nôtre, habituée de longuedate à tout fragmenter et à tout diviser pour dominer, il est sans doutesurprenant de se faire rappeler qu'en réalité et en pratique, le vraimessage, c'est le médium lui-même, c'est-à-dire, tout simplement, queles effets d'un médium sur l'individu ou sur la société dépendent duchangement d'échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaqueprolongement de nous-mêmes, dans notre vie ».
(8) Un autre débat reste celui de la nature juridique au regard descatégories du droit d'auteur de la mise en ligne sur Internet : s'agitilde reproduction, de représentation, ou des deux ?
(9) Cf. Guérin, (Serge), La cyberpresse - la presse et l'écrit off line,on line, éditions Hermès, 1996.
(10) Tellier-Lonievski (Laurence), Masson (Laurent) et Rojinsky (Cyril),Contrefaçon et droit d'auteur sur Internet, Gaz. Pal., doctr., 19-21octobre 1997, p. 20 (1re partie) ; et Gaz. Pal., doctr., 18-20 janvier1998, p. 25 (2e partie).
(11) V. Proal (Frédéric), La responsabilité du fournisseur d'informationen réseau, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1997.
(12) Paris, 16 octobre 1956, D. 1956, 689.
(13) Lilti (Stéphane), Les prestataires techniques en première ligne,Expertises, mai 1998, p. 146.
(14) Responsabilité en cascade de l'article 42 de la loi du 29 juillet1881, ainsi que de l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 (en ce quiconcerne la communication audiovisuelle).
(15) Article 6 de la loi de 1881, et 93-2 de la loi de 1982.
(16) Cass. crim. 30 mars 1944, D. 1945, note Henri Desbois qui estime,dans son commentaire, que « le bailleur ne répond que de sa mauvaisefoi ; l'ignorance n'est pas pour lui constitutive de faute lourdelorsqu'il n'a pas pris part à l'élaboration du programme ou ne s'estpas réservé d'en approuver le contenu ; il répond au contraire de sonignorance lorsqu'il a participé à la préparation de la manifestation,et en particulier du programme ; dans ce second cas, il ne pourras'exonérer en démontrant qu'il a ignoré l'infraction commise par lesexécutants : la part qu'il a prise à l'organisation lui imposait le devoirde s'assurer que les intérêts de auteurs et compositeurs n'avaient pasété sacrifiés ».
(17) TGI Paris (ord. réf.), 5 mai 1997, JCP 1997, éd. G, II, 22906, noteFrédérique Olivier.
(18) Il convient de relever que la cour de Colmar a demandé, par unarrêt avant dire droit du 28 avril 1998, des précisions techniques surles modalités de mise en ligne des articles, ce qui dénote une nouvellefois le caractère délicat du problème, qui doit être évalué au cas parcas, et ne semble pouvoir être traité valablement par le juge de l'évidence.
(19) Sur ce thème, lire Gautier (Pierre-Yves), Le contrat bouleversé :de l'imprévisibilité en droit des propriétés littéraires et artistiques, D.1990, chron., p. 130.
(20) Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), Traité de la propriété littéraire etartistique, Litec, 1994, n° 514.
(22) Code de la propriété intellectuelle, article L 131-1.
(23) Code de la propriété intellectuelle, article L 132-6 al.3.
(24) Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), Traité de la propriété littéraire etartistique, Litec, 1994, n° 509 in fine.
(25) Ader (Basile), La cession des droits d'auteur des journalistes,Légicom, n° 14, 1997/2, p. 35.
(26) Voir les fameux arrêt Havas concernant les dépêches télégraphiques: Cass. req. 8 août 1861, DP 1862, 136 ; et Cass. req. 23 mai1900, DP 1902, 405.
(27) V. notamment Catala (Pierre), Ébauche d'une théorie juridique del'information, D. 1984, chron., p. 97 ; Galloux (Jean-Christophe),Ébauche d'une définition juridique de l'information, D. 1994, chron.,p. 229 ; Mallet-Poujol (Nathalie), Appropriation de l'information :l'éternelle chimère, D. 1997, chron., p. 330 ; Daragon (Élise), Étudesur le statut juridique de l'information, D. 1998, chron., p. 63.
(28) Voir, en sens contraire, Olivier (Frédérique) et Barbry (Éric), Lesjournalistes et l'Internet, Légicom, n° 14, 1997/2, p. 49, critiquantnéanmoins à juste titre le fait que l'existence d'un contrat de travailserait à l'origine d'une telle cession tacite.
(29) Code du travail, article L 761-9.
(30) « Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation prin« Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale,régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ouplusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ouplusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources».
(31) Article L 111-1, al.3 : « L'existence ou la conclusion d'un contratde louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une uvre de l'espritn'emporte aucune dérogation » au monopole dont dispose l'auteur surson uvre.
(32) Cf. notamment Paris, 17 mai 1969, D. 1969, 702 : « en droit, si lephotographe, lié à l'éditeur d'un journal par un contrat de travail, cèdenécessairement à son employeur le droit d'exploiter et de reproduire,dans le cadre de l'activité normale de l'entreprise, les photographiesprises dans l'exécution du contrat, cette cession ne s'étend pas, sauf stipulationcontraire, au-delà des limites définies par ce cadre ».
(33) Cass civ. 1, 16 décembre 1992, Gouy c/ Société Nortène, RIDA,avril 1993, n° 156, p. 193, note Pierre Sirinelli.
(34) Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, Société Edinter, Légipresse, janvier/février 1998, n° 148-III, p. 2.
(35) Voir l'affaire de l'émission Ramdam : Paris, 16 mai 1994, JCP1995, éd. G, II, 22375, note Xavier Linant de Bellefonds ; RIDA,octobre 1994, p. 433.
(36) Cf. Cass civ. 1, 3 juillet 1996, D. 1997, 328, note André Françon ;et l'analyse de Bernard Edelman, L'uvre collective : une définitionintrouvable, D. 1998, chron., 141.
(37) « L'uvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de lapersonne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.Cette personne est investie des droits de l'auteur. ».
(38) Cass. civ. 1, 24 mai 1976, D. 1978, 223, note Robert Plaisant.
(39) Paris, 6 mars 1981, D. 1982, IR, 46, obs. Claude Colombet (positioncritiquée par Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), Traité de la propriétélittéraire et artistique, Litec, 1994, n° 211).
(40) Cf. Lucas (A.) et Lucas (H.-J.), Traité de la propriété littéraire etartistique, Litec, 1994, n° 163, p. 166.
(41) Cass. civ. 1, 20 décembre 1982, JCP 1983, éd. G, II, 20102, noteAndré Françon. Cet arrêt peut néanmoins susciter des difficultésd'interprétation du fait de l'éclatement de l'article 36 de la loi de 1957,qui contenait les dispositions actuelles de l'article L 121-8, mais aussicelles relatives à la rémunération forfaitaire des journalistes, c'est-àdirel'actuel article L 132-6, al. 3 du CPI. Ceci laisse d'ailleurs à penserque c'est le triptyque rémunération forfaitaire / conservation desdroits / contrat de travail qui justifie la cession implicite.
(42) Cass. civ. 1, 27 mai 1986, RIDA, n° 132, p. 62.
(43) Alinéa 2 : « Le droit de faire paraître dans plus d'un journal oupériodique les articles ou autres uvres littéraires ou artistiques dontles personnes mentionnées à l'article L 761-2 [les journalistes professionnels]sont auteurs est obligatoirement subordonné à une conventionexpresse précisant les conditions dans lesquelles la reproductionest autorisée ».
(44) V. réédition du rapport Brachard par l'organe du Syndicat nationaldes journalistes (SNJ) : Le journaliste, supplément au n° 234,deuxième trimestre 1995.
(45) Paris, 27 mai 1992, RIDA, octobre 1992, n° 154, p. 157.
(46) TGI Nanterre, 19 juin 1996, RIDA, janvier 1997, p. 358. Cette décisionest motivée de manière détaillée, et précise notamment : « parl'expression journal ou périodique, le législateur a entendu désignerl'organe de presse et non les numéros ou les éditions successives dumême titre de presse ».
(47) À ce titre, la définition donnée par la loi du 1er août 1986 portantréforme du régime juridique de la presse constitue un référentiel troprestrictif, car elle exclut notamment l'audiovisuel. Son article 1er disposeen effet : « Au sens de la présente loi, l'expression publicationde presse désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion dela pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories