Le droit au secret des sources d'information, autrement mais peut-être un peu improprement qualifié aussi de droit au secret professionnel des journalistes, constitue, en France comme dans de nombreux autres pays, une revendication ancienne de la part des journalistes, au nom de leur liberté d'enquêter et de la satisfaction du droit du public à l'information. Outre son caractère apparemment assez paradoxal, s'agissant d'une activité qui consiste justement à diffuser l'information, la consécration d'un tel droit au secret des sources d'information se heurte cependant à de nombreux obstacles et arguments contraires. L'étude de l'état et des évolutions du droit français en la matière, à situer sans doute désormais dans la perspective du droit européen, et notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (1), permettra, à défaut de parvenir à dégager une solution satisfaisante pour tous, d'illustrer la complexité de la question.
L'ANNÉE 1993 pourrait paraître constituer une date charnière pour la protection du droit au secret des sources d'information en droit français. La loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale consacrait en effet, pour la première fois dans un texte législatif français, mais sans en employer cependant l'expression, un tel droit au secret des sources d'information.Cependant, cette reconnaissance ou protection légale n'est que partielle. Elle s'accompagne, sans doute bien ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
1er mars 1998 - Légipresse N°149
5371 mots
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(2) Dans le mensuel Photo, numéro 195 daté de décembre 1983, ont étépubliées des photographies représentant des restes mutilés de Mlle Renée Hartewelt,tuée et dépecée en juin 1981. Une information a été ouverte pour violationdu secret professionnel, vol et recel de vol [ ].
(3) CP, art. 378. : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsique les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires,par état ou par profession ou par fonctions temporaires ou permanentes,des secrets qu'on leur confie ».
(4) Des constatations faites, il est apparu que les photographies publiées dansle mensuel de décembre avaient été réalisées à partir des négatifs conservéspar les services de l'identité judiciaire de la préfecture de police de Paris. Onse trouve, dès lors, en présence d'un trafic de documents judiciaires.
(5) Il s'agit uniquement d'une affaire de vol et de recel, c'est-à-dire de droitcommun [ ]. On ne saurait donc, à propos de cette instruction, parlerd'entrave à la liberté de la presse, ni d'atteinte au droit à l'information ».
(6) Les articles 61 et 62 du code pénal définissaient les peines encourues parceux qui : « auront soustrait ou tenté de soustraire le criminel à l'arrestationou aux recherches ou l'auront aidé à se cacher ou à prendre la fuite » ; « celuiqui, ayant connaissance d'un crime déjà tenté ou consommé, n'aura pas, alorsqu'il était encore possible d'en prévenir ou d'en limiter les effets ou qu'onpouvait penser que les coupables ou l'un d'eux commettrait de nouveauxcrimes qu'une dénonciation pourrait prévenir, averti aussitôt les autoritésadministratives ou judiciaires ».
(7) CPP, art. 94. : « Les perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuventse trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation dela vérité ». CPP, art. 101. : « Le juge d'instruction fait citer devant lui [ ]toutes les personnes dont la déposition lui paraît utile ». CPP, art. 109. :«Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître,de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions del'article 378 du code pénal ; Si le témoin ne comparaît pas, le juge d'instructionpeut, sur les réquisitions du procureur de la République, l'y contraindrepar la force publique et le condamner à une amende [ ] La même peine peutêtre prononcée contre le témoin qui, bien que comparaissant, refuse de prêterserment et de faire sa déposition ». CPP, art. 111. : «Toute personne quidéclare publiquement connaître les auteurs d'un crime ou d'un délit et quirefuse de répondre aux questions qui lui sont posées à cet égard par le juged'instruction sera punie [ ]».
(8) Sous CPP, art. 16.
(9) Art. 121. : « Si la nature du crime ou du délit est telle que la preuve en puisseêtre acquise par la saisie de papiers, documents ou autres objets, l'officierde police judiciaire de gendarmerie se transporte sans désemparer au domiciledes personnes qui paraissent [ ] détenir, même de bonne foi, des pièces ouobjets relatifs aux faits incriminés. Il y procède à des perquisitions et à des saisies» Art. 122. : «L'officier de police judiciaire de gendarmerie peut convoquerpour les entendre toutes personnes susceptibles de fournir des renseignementssur les faits. Ces personnes sont tenues de comparaître et de déposer[ ] si elles s'abstiennent, sans motif légitime, de répondre à une convocationécrite de l'officier de police judiciaire, ce dernier en avise le procureur de laRépublique, qui peut contraindre par la force publique les défaillants à comparaître».
(10) CPP, art. 326. : « Lorsqu'un témoin cité ne comparaît pas, la cour peut, surréquisitions du ministère public, ou même d'office, ordonner que ce témoinsoit immédiatement amené par la force publique devant la cour pour y êtreentendu [ ] Dans tous les cas, le témoin qui ne comparaît pas ou qui refusesoit de prêter serment, soit de faire sa déposition peut, sur réquisition duministère public, être condamné par la cour ». CPP, art. 437. : «Toute personnecitée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, deprêter serment et de déposer ». CPP, art. 438. : « Le témoin qui ne comparaîtpas ou qui refuse, soit de prêter serment, soit de faire sa déposition, peut être,sur réquisitions du ministère public, condamné par le tribunal ».
(11) Art. 226-14. : «L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loiimpose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :1° à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives,de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à unmineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protégeren raison de son âge ou de son état physique ou psychique ;2° au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance duprocureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de saprofession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles detoute nature ont été commises ».
(12) « Les journalistes tenus au secret. Aucune loi ne définit le secret professionneldes journalistes. À de rares exceptions près, tout le monde le respecte.Car il garantit au public le droit à l'information », titrait Télérama du21 octobre 1981.
(13) Cité par Hugueney, Revue pénitentiaire, 1924, p. 2.
(14) Cité par Memeteau, La question du secret professionnel des journalistes,Gazette du Palais, 14 février 1974.
(15) Cité par Hugueney.
(16) Voir, Blin (H.), Chavanne (A.), Drago (R.), Droit de la presse, fasc. 445,1981 ; Le Monde, 18 juin 1960.
(17) Dans son article sur La question du secret professionnel des journalistes,publié en 1974, G. Memeteau relève : « de récentes difficultés survenues àl'occasion d'enquêtes de police consécutives à des manifestations (en Corse,dans la Vienne ) ont donné un regain d'actualité à la question et suggèrentd'étudier à nouveau la question du secret professionnel des journalistes et derechercher dans quelle mesure on peut l'invoquer », Gazette du Palais,14 février 1974.
(18) Le Monde du 23 novembre 1979 mentionne que, dans le cadre d'uneenquête ouverte à la suite de la publication de différents documents fiscauxconcernant diverses personnalités, le juge d'instruction s'est rendu dans leslocaux du Canard enchaîné.
(19) « La police judiciaire, qui enquête sur les événements d'Aléria, a demandéla saisie des films tournés par les reporters de la télévision lors de la fusillade.Ces documents doivent permettre d'identifier celui ou ceux des autonomistesqui ont tiré sur les gendarmes.Les journalistes de la presse filmée et les photographes se retrouvent ainsitransformés une fois de plus en auxiliaires de la police.Tout a été dit maintes fois sur cette pratique scandaleuse qui discrédite la professionde journaliste. Faudra-t-il voir un jour la presse renoncer à couvrir cetype d'événements ? La dernière affaire similaire s'était également déroulée enCorse, à l'occasion des manifestations contre les boues rouges. La protestationde l'ensemble des organisations professionnelles de journalistes n'avait alorsguère ému les autorités. On comprend que le gouvernement ne soit pas presséd'ôter à la police une aide si précieuse en comblant le vide juridique sur lesecret professionnel des journalistes » (Le Quotidien de Paris, 26 août 1975).
(20) Dans un article consacré alors à la difficile protection des sources, Libération,du 29 juillet 1978, se plaignait de ce que la loi ne protège pas ce qui faitpourtant l'essentiel des potentialités de l'information : la protection dessources, sans laquelle le journalisme devient timoré, routinier et se refusant àtoute audace.Dans un article-manifeste pour la nécessaire protection des sources d'information,publié à la même époque, l'organe du Syndicat national des journalistesévoquait le caractère profondément choquant de cette mise, contrainte et forcée,de l'information au service de la répression et poursuivait ne pas instaurerune cloison étanche entre l'information et la répression amène ainsi à restreindrela portée du droit à l'information et à renforcer la fâcheuse propensionau secret de notre société (Le Journaliste, n° 166, septembre-novembre 1978,p. 10-11).
(21) Agissant sur commission rogatoire d'un juge d'instruction nancéen, lapolice a demandé, récemment, au Républicain lorrain, que les clichés del'accident leur soient remis afin d'identifier les manifestants.Les syndicats de journalistes condamnent cette procédure, se refusant de servird'auxiliaires de la justice ou de la police (Le Quotidien de Paris, 2 juin 1984).
(22) En réaction, le parquet de Paris publiait un communiqué : « À la suite dediverses déclarations et commentaires suscités par l'information ouverte etpar la mise sous mandat de dépôt de M. Jean Durieux, le parquet de Paris aestimé utile de publier le communiqué suivant :
(23) Cour d'appel de Paris, 5 février 1986 J. Médecin c/ M. Polac et TF1,Gaz. Pal. 1986.1.244.
(24) «Force est bien de constater que, réserve faite de quelques rares exceptions,rien de vraiment grave n'est arrivé aux journalistes français, malgré lerefus de leur accorder le bénéfice de l'article 378. Une sorte de modus vivendis'est établi » (Léauté (J.), Le secret professionnel des journalistes devant lajustice, Libre Justice, n° 4, 4e trim. 1967).
(25) Lorsqu'un journaliste fait mine de se réfugier derrière le secret professionnel,le magistrat, tout aussitôt, lui a soufflé : dites que vous ne vous rappelezpas Et, sans plus attendre, il a dicté à son greffier : le témoin ne se rappelleplus, (Hugueney, Revue Pénitentiaire, 1924).
(26) L'article 2 de la loi du 1er août 1986 pose : « au sens de la présente loi,l'expression entreprise de presse désigne toute personne physique ou moraleou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant,une publication de presse ». L'article 1er de cette même loi pose, quant à lui :« au sens de la présente loi, l'expression publication de presse désigne toutservice utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition dupublic en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers»..La notion d'entreprise de communication audiovisuelle, pas plus que celled' entreprise en général, ne fait l'objet d'aucune véritable définition en droitfrançais. La seule véritable mention faite à ce type d'entreprise figure àl'article L 216-1 du code de la propriété intellectuelle qui, pour identifier lestitulaires de droits voisins, pose : « sont dénommés entreprises de communicationaudiovisuelle les organismes qui exploitent un service de communicationaudiovisuelle au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à laliberté de communication, quel que soit le régime applicable à ce service ».
(27) Pour une illustration récente de cette question, voir notamment : Conseild'État, 30 juin 1997 Thory et autres, JCP 1998.II.10002, note E. Derieux.
(28) Le 1er août 1996, dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Yann Piat, lejuge d'instruction perquisitionne dans les bureaux du Canard enchaîné et audomicile de André Rougeot, auteur de plusieurs articles sur le sujet (Reporterssans frontières, Rapport 1997 , p. 329).
(29) Voir notamment : Derieux (E.), La définition du journaliste et l'accès à laprofession, Droit de la communication LGDJ; Derieux (E.), Journalistes,Répertoire de Droit du travail, Dalloz.
(30) En dehors de tout cadre juridique protecteur, général ou spécifique auxjournalistes, certains de ceux-ci ont été semble-t-il en violation des dispositionsde la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondancesémises par la voie des télécommunications l'objet d'écoutes téléphoniquesordonnées par l'Élysée, du temps de la présidence de François Mitterrand.
(31) TGI Paris (1re ch., 1re sect.), 25 juin 1997 Brad Pitt c/ Voici, Légipresse,n° 146-III, p. 140, note Ch. Bigot, La protection des sources devant le jugecivil ; JCP 1998.II., note E. Derieux.
(32) TGI Paris (1re ch., 1re sect.), 22 octobre 1997 V. Cassel c/ Société PrismaPresse, Légipresse (à paraître) note E. Derieux.
(33) Sans même avoir recherché ou, en tout cas, retrouvé ou réussi à identifierles sources des documents fiscaux publiés, dans l'affaire opposant JacquesCalvet au directeur du Canard enchaîné, les tribunaux ont cependant considéréqu'il y avait nécessairement « recel de photocopies [ ] provenant de violationdu secret fiscal » (Cass. crim., 3 avril 1995, Fressoz et autres, JCP. 1995,éd. G. II.22429, note E. Derieux, Publication de documents fiscaux et recel deviolation de secret professionnel. On notera cependant que cette affaire a étéportée devant la Cour européenne des droits de l'homme.
(34) Voir, ci-dessous, le chapitre sur Le droit au secret des sources en droiteuropéen.
(35) Cass. crim., 3 avril 1995 Fressoz et autres, JCP 1995.II.22429, noteE. Derieux.
(36) TGI Paris (17e ch.), 4 novembre 1997 Min. public c/ A. Petitgaset Ch. Mouchet, Légipresse, n° 148-III, p. 14, note E. Derieux.