LE Rap dérange. À tout le moins les titres de certains groupes dont la puissance publique considère qu'ils constituent un trouble à l'ordre social.Ainsi en est-il de ministère AMER dont le répertoire inclut nombre de titres manifestement hostiles aux forces de police (1), ce qui lui vaut les foudres du ministère de l'Intérieur, à l'instar de cet autre groupe de rap qu'est NTM. Derrière ce sigle se trouve la dénomination «Nique Ta Mère», ce qui suscita à l'encontre du groupe ...
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
1er septembre 1997 - Légipresse N°144
4324 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(2) Sacrifice de poulet que l'on retrouve dans l'album des raps inspirés parle film La Haine. Le groupe de Sarcelles avait déjà défié le ministère del'Intérieur avec son titre Brigitte, femme de flic qui décrivait les ébatssexuels et adultères d'une femme de commissaire avec de jeunes arabes.
(3) On peut trouver l'origine d'un tel nom dans la pratique américaine desdozens qui consiste à humilier la mère de l'autre en quelques rimes.
(4) Les deux chanteurs de NTM ont été condamnés à deux mois de prisonavec sursis et 25 000 F d'amende chacun pour propos outrageants envers lapolice tenus lors d'un concert. Il est vrai que la diatribe était un florilèged'insultes d'un parfait clacissisme : « Nique ta mère ! Je nique la police !J'encule et je pisse sur la justice ! La police ce sont des fachos, c'est euxqui assassinent../..ces gens-là sont dangereux pour nos libertés ! Nos ennemis: c'est les hommes en bleu Ils attendent que ça parte en couillepour nous taper sur la gueule ! On leur pisse dessus ! ».
(5) Cachin (Olivier), L'offensive Rap, Découvertes Gallimard, 1997, p. 82et 83 ; cf. également p. 56 ; on retrouve une hostilité véhémente dansd'autres titres rap. Ainsi, dans le titre Fuck tha Police du groupe NWA(Niggers With Attitude), on trouve des paroles déclarant une guerre ouverteaux policiers. Ces paroles sont reproduites en page 2 de l'ouvrage précité.
(6) On n'évoquera pas ici les dispositions de l'article 1382 du code civil etsa glose prétorienne. Nul doute toutefois qu'il trouve matière à invocationau regard des saillies littéraires des rappeurs.
(7) Par ailleurs, le juge d'instruction peut saisir autant d'exemplaires de lapublication qu'il le souhaite (art. 51 de la loi du 29 juillet 1881). De surcroît,même en cas de relaxe, le tribunal peut ordonner la destruction despublications litigieuses (art. 61 de la loi du 29 juillet 1881) et, en cas decondamnation, la publication peut faire l'objet d'une suspension de parutionpour une durée maximale de trois mois. Enfin, contrairement aux règlesapplicables aux autres infractions de presse, la personne mise en examenpeut être détenue préventivement (art. 52 de la loi du 29 juillet 1881).
(8) Mais de peines moindres : un an d'emprisonnement et/ou 300 000 Fd'amende. La loi vise toutefois la simple provocation et non explicitementla provocation directe comme à l'alinéa 1 de l'article 24.
(9) TC Paris, 15 avril 1986, RSC, 1987, p. 209 à 212, note Bouzat ; le tribunalreprend la solution consacrée par la chambre criminelle dans l'affaireMaurras : crim., 29 oct. 1936, Bull., n° 104.
(10) L'éloge du criminel constitue le délit d'apologie de crime : crim., 22 août1912, D. 1914, 1, p. 74; crim., 24 octobre 1967, Bull. n° 263; crim.,14 janvier 1971, Bull. n° 14; crim., 16 novembre 1993, Bull. n° 341; demême, la banalisation de l'assassinat ou la présentation de celui-ci commeétant un acte de justice constitue le délit d'apologie : Paris (11e ch. A),6 juillet 1988, Oriach, Perdriel & Raffy c/ M. P, (inédit, n° P 643/88).
(11) CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, série A, n° 24,p. 23, § 49; le même principe se retrouve affirmé in : CEDH, 20 septembre1994, Otto Preminger Institut c/ Autriche, série A, n° 295, § 49; cf. égalementl'affaire Muller, relative à une exposition faisant apparaître des toilespornographiques (zoophilie et homosexualité) : CEDH, arrêt Müller, 24 mai1988, série A, vol.133 : cf. not. p. 27, l'opinion dissidente du juge Spielmannqui lui-même partageait, lors de l'affaire Müller, l'avis de M. Daniellus de lacommission selon lequel : «on peut se demander s'il existe vraiment, dansune société moderne, une nécessité de sanctionner de telles expressions de lacréativité artistique, même si pour certaines personnes elles peuvent paraîtrechoquantes ou même répugnantes». Et le juge Spielmann de rappeler, lesprocès engagés contre Flaubert et Baudelaire, pour ensuite affirmer que :«les États contractants devraient mieux se rendre compte de la notion de larelativité des valeurs en matière d'expression d'idées».
(12) CEDH, 11 octobre 1979, Glimmerven et Hagenbeek c/ Pays-Bas, DR18, p. 187 ; CEDH, 23 septembre 1994, Jersild c/ Danemark, Rec., sérieA, n° 298 ; une telle solution est consacrée en droit interne : crim.,13 mars 1989, Bull., n° 118.
(13) CEDH, 22 février 1989, Barfod c/ Danemark, Rec., série A, n° 149 (critiquede l'institution judiciaire jugée légitime, mais ingérence justifiée pourdiffamation envers deux magistrats); CEDH, 23 avril 1992, Castells, Rec.,série A, n° 236 (critique par un parlementaire de l'action gouvernementale);CEDH, 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson c/ Islande, Rec., série A, n° 239(critique sévère du fonctionnement de la police jugée légitime par la Courafin de ne pas décourager la libre discussion de sujets d'intérêt général).
(14) La motivation n'est pas sans rappeler les débats du procès RodneyKing aux États-Unis.
(15) TGI Toulon, 14 novembre 1996, M. P & FASP et autres c/ Lopes &Morville, (inédit, n° P 95014235).
(16) Une telle notion n'est pas étrangère à la jurisprudence européenne quireconnaît que quiconque se prévaut de sa liberté d'expression assume desdevoirs et des responsabilités. La Cour gradue celle-ci eu égard aux fonctionsexercées par le prévenu et au mode d'expression (cf. Cohen JonathanGérard, commentaire de l'article 10 in Pettiti (ss dir.) La convention européennedes droits de l'homme, Economica, 1995, p. 398 sqq.). En l'espèce,le statut de rappeur et le contexte d'une salle de spectacle n'incitait pas àun discours mesuré et argumenté.
(17) L'arsenal répressif dispose également de l'article R 624-2 introduitdans le nouveau code pénal par le décret n° 93-726 du 29 mars 1993,texte venant remplacer les articles R 38-9°et 10° de l'ancien code pénal.Cet article vise à réprimer la diffusion « sur la voie publique ou dans deslieux publics des messages contraires à la décence » et pourrait ainsi frapperles textes rap à caractère pornographique (Doc Gyneco, Blowfly, 2 LiveCrew), la notion de décence visant les évocations d'organes ou d'actessexuels. Est également réprimée la fourniture de moyens visant à la commissionde telles contraventions, l'objet ayant concouru à la réalisation deces dernières pouvant faire l'objet d'une confiscation sur décision du jugelors du prononcé de la sanction.
(18) Paris, 14 décembre 1994, Droit pénal, 1995, n° 90, obs. Véron ; crim.,29 mai 1995, Gaz. Pal., 22-24 octobre 1995.
(19) Un dispositif de classification des uvres susceptibles de choquer lasensibilité des mineurs, adopté par l'ensemble des diffuseurs sous l'égidedu CSA est entré en vigueur en novembre 1996. En fonction de leur degréde violence ou d'érotisme, les uvres cinématographiques ou audiovisuellessont classées en cinq catégories et leur diffusion est assortie d'une signalétiquecommune. Le classement est effectué par une commission de visionnagepropre à chacun des diffuseurs : sur ce point, cf. La lettre du CSA,novembre 1996, p. 1 à 4 et mai 1997, p. 9 à 12 (où le CSA observe que laclassification incite les moins de 15 ans à ne pas regarder les émissionssignalées alors que l'effet inverse est constaté pour les plus de 15 ans).
(20) En cette affaire, les faits litigieux consistaient dans l'exposition detoiles représentant des scènes de zoophilie et d'homosexualité. Ces peinturesayant été saisies et leur auteur condamné à une peine d'amende, lacour a conclu à la non-violation de la convention.
(21) CEDH, 20 septembre 1994, Otto Preminger c/ Autriche, Légipresse,1995, VI, p. 10 à 18. cette décision a toutefois motivé une opinion dissidentede trois des juges la composant. Elle a par ailleurs suscité des réticencesdoctrinales : Cohen Jonathan Gérard, Commentaire de l'article 10,in Pettit L. E (ss dir. de), La Convention européenne des droits del'homme, Economica, 1995, p. 407
(22) CEDH, 14 janvier 1993, Vol. 287, Série A.
(23) Paris (11e ch. B), 9 février 1995, X., Dr. pénal, avril 1995, p. 8, n° 90
(24) Le fait que la Cour de cassation déclare : « que le directeur de lapublication d'un écrit périodique, dont le devoir est de surveiller et devérifier tout ce qui y est inséré, est de droit responsable en cette qualité,comme auteur principal, de tout article publié par la voie de cet écrit etdont le caractère délictueux est démontré » (crim., 16 juillet 1992,Lexilaser, n° 91-86. 156) rappelle une simple règle d'imputabilité et nepréjuge pas de l'existence de l'élément intentionnel. La preuve en est quela Cour de cassation indique que le caractère délictueux doit être démontré,ce qui suppose la preuve de l'existence de l'élément matériel et intentionnel de l'infraction.
(25) Paris (11e ch. A), 6 juillet 1988, Oriach, Perdriel & Raffy c/ M. P,(inédit, n° P 643/88) : « la réticence extrême manifestée par ce prévenu àl'égard des propos d'Oriach est exclusive d'une quelconque intention coupable». Une telle solution ressort d'une interprétation a contrario del'arrêt Maurras rendu le 29 octobre 1936 par la chambre criminelle. Encette affaire, la Cour de cassation avait jugé que : « l'élément intentionnel,réside en la matière, et quels qu'aient été le mobile et le but final envisagé,dans le fait d'avoir voulu créer l'état d'esprit propre à susciter lecrime ».
(26) Conformément à la décision du Conseil constitutionnel des 10 et11 octobre 1984 qui fait du lecteur le titulaire du droit à la libertéd'expression.
(27) TGI Paris (17e ch.), 2 avril 1987, Gaz. Pal. 1987, p. 758 à 761 ; TGIParis (17e ch.) 7 décembre 1994, Proc. Rép. c/ Bourillon & Ténot (inédit,n° P 93 033 2008/6) : « le tribunal ne relève aucune appropriation du propos,celui-ci étant rapporté en toute neutralité » Après avoir relevé lesérieux de l'enquête, le tribunal accorde le bénéfice de la bonne foi aujournaliste.
(28) CEDH, 23 septembre 1994, Jersild c/ Danemark, série A, vol. n° 298.
(29) Paris (ch. d'acc.), 31 janvier 1995, Bourges,Okrent et Fraidenraich c/ M. P, (inédit).
(30) Crim., 16 juillet 1992, Lexilaser,n° 91-86-156 ; Paris (11e ch. A), 6 juillet 1988,Oriach, Perdriel & Raffy c/ M. P, (inéditn° P/643/88) : « cette relaxe, fondée sur l'absenced'élément intentionnel, ne saurait profiter aucomplice Oriach, auteur conscient des proposapologétiques »; TGI Paris (17e ch.),7 décembre 1994, Proc. Rép. c/ Bourillon& Ténot (inédit n° P 93 033 2008/6).
(31) Cachin (Olivier), op. cit., p. 79 ; autre groupede rap ouvertement en rébellion contre lesystème légal actuel, Cypress Hill consacre plusieursde ses chansons à la promotion del'usage cannabique et à la dépénalisation de cedernier.
(32) Dans les grandes villes américaines, la principalecause de mortalité pour les jeunes noirsde 15 à 24 ans est l'homicide. Une telle réalitésociale incite peu à la romance ou à la mélodiesirupeuse C'est ce que révèle le rappeurIce-T : « on me dit que je raconte des trucs violents,mais cette violence existe » cité in Cachin(Olivier), op. cit., p. 48, cf. également p. 53.
(33) Les émeutes de Los Angeles de 1992 sont,à ce titre, l'illustration la plus médiatique del'effet pervers de l'attentisme étatique.