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Débat préliminaire d'actualité quelle place pour l'article 1382 du code civil dans l'orbite de la liberté d'expression après l'arrêt de la 1re chambre civile du 10 avril 2013 ?
/ Chroniques et opinions
01/05/2014
Une exclusion non légalement justifiée Très favorable aux médias et préjudiciable aux victimes d'abus de la liberté d'expression
Par de nombreux arrêts, répétitifs dans leur formulation mais cela n'en fait cependant pas une justification , et après avoir pourtant longtemps jugé différemment, la Cour de cassation exclut pratiquement désormais l'application de l'article 1382 du Code civil en matière de liberté d'expression.Cette exclusion est sans aucun fondement textuel. Elle confond responsabilité civile et responsabilité pénale qui répondent pourtant à des objectifs distincts. Elle prive les victimes ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
1er mai 2014 - Légicom N°52
4530 mots
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(2) Cass., Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-10160et n° 98-11155 ; Légipresse octobre 2000, n° 175.III.153-161, concl. L. Joinet ; Petites affiches,14 août 2000, note E. Derieux.
(3) Par arrêt du 5 décembre 2006, la Cour de cassationconsidère que « viole, par fausse application de l'article29 de la loi du 29 juillet 1881 et par refus d'applicationl'article 1382 du Code civil », l'arrêt de lacour d'appel de Bordeaux, du 21 avril 2005, « quiretient une atteinte à l'honneur et à la considérationet non un dénigrement quand il résultait de sesconstatations que les allégations portées, mêmesi elles visaient le gérant d'une société, n'avaientpour objet que de mettre en cause la qualité desprestations fournies par celle-ci dans la mesure oùelles émanaient d'une société concurrente » (Cass.civ., 1re, 5 décembre 2006, n° 05-17710 ; Dalloz2008.J.672, note V. Valette-Ercole ; Jcp 2009.II.10006, note E. Dreyer ; Rtd Civ. 2009 p. 331, obs.Jourdain, P., « Le discret retour de l'article 1382 enmatière de presse »). Par arrêt du 30 octobre 2008,la Haute juridiction casse un arrêt de la cour d'appelde Metz, du 2 juillet 2007, qui, « en l'absence depropos injurieux ou portant atteinte à l'honneur ouà la considération », a fait application de la loi du29 juillet 1881 et refusé d'appliquer l'article 1382du Code civil (Cass. civ., 1re, 30 octobre 2008,n° 07-19223 ; Lepage, A., « Loi du 29 juillet 1881 etarticle 1382 du Code civil », Comm. Comm. électr.,n° 12, décembre 2008, comm. 139).
(4) Cette exclusion de l'application de l'article 1382du Code civil en matière de liberté d'expression nepeut même pas, contrairement à ce qui est fréquemmentfait par ceux qui l'approuvent, se prévaloirde l'autorité du doyen J. Carbonnier qui, mêmes'il formulait un souhait ou des regrets, était bienmoins affirmatif que ce que certains lui font direaujourd'hui. Prudent, il écrivait en effet, sous laforme interrogative : « Ce serait aussi une questionque de savoir si les lois sur la liberté de la presse(en dernier lieu, la loi du 29 juillet 1881) n'avaientpas entendu instituer, pour toutes les manifestationsde la pensée, un système juridique clos, se suffisantà lui-même, arbitrant une fois pour toutes tous lesintérêts en présence, y compris les intérêts civils,et enlevant, du même coup, à l'article 1382 uneportion de sa compétence diffuse ( ) La considérationdu but poursuivi par le législateur suggéraitcette interprétation : si la liberté de la presse doitêtre garantie, ne faut-il pas qu'elle le soit au regarddes actions en dommages-intérêts autant que dela répression pénale ? ». Mais il reconnaissaitcependant que la question avait « été tranchée enfaveur du droit commun niveleur : la pratique admetque l'article 1382 demeure partout sous-jacent à laloi du 29 juillet 1881, et des faits qui ne sont pas, àdéfaut d'un élément constitutif, pénalement répréhensiblescomme diffamations ou injures, peuventencore être saisis comme délits civils, en vertu desprincipes généraux de la responsabilité » (« Lesilence et la gloire », Dalloz, 1951.chron. 120).
(5) « Article 9.- Chacun a droit au respect de savie privée ».
(6) « Article 9-1.- Chacun a droit au respect de laprésomption d'innocence ».
(7) Cass. civ., 2e, 8 mars 2001, n° 99-14995.
(8) Cass., Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-10160et n° 98-11155 ; Cass. civ., 2e, 8 mars 2001,n° 98-17574 ; Cass. civ., 2e, 29 novembre 2001,n° 98-20529 ; Cass. civ., 2e, 9 octobre 2003,n° 00-21079 ; Cass. civ., 2e, 11 décembre 2003,n° 00-19453 ; Cass. civ., 2e, 18 décembre 2003,n° 01-02524 ; Cass. civ., 2e, 27 septembre 2005,Cass. civ., 1re, 7 février 2006, n° 05-10309 ; Cass.civ., 1re, 12 décembre 2006, n° 04-20719 ; Cass.civ., 2e, 5 juin 2008, n° 07-17764 ; Cass. civ.,3e, 1er octobre 2008, n° 07-15338 ; Cass. civ., 2e,16 décembre 2010, n° 10-11469 ; Cass. civ., 1re,3 février 2011, n° 10-13698.
(9) Ader, B., « La procédure de presse », (synthèseannuelle), numéros de mars de Légipresse ;Beignier, B., de Lamy, B., Dreyer, E., dir., « Leprocès de presse selon la loi de 1881 », Traité dedroit de la presse et des médias, LexisNexis, 2009 ;Bigot, Ch., « Les règles de procédure relativesaux infractions prévues par la loi sur la presse »,Connaître la loi de 1881, Victoires Éditions, 2004,p. 149-168 ; Bonnal, N., « Les chausse-trappes'procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ?Essai d'étude statistique », Légipresse, décembre2011, n° 289, p. 665-675 ; Derieux, E., « Faut-ilabroger la loi de 1881 ? », Légipresse, septembre1998, n° 154.II.93-100 ; Derieux, E., « Règlesde procédure applicables à la poursuite des abusde la liberté d'expression. Garantie de la libertéd'expression ou privilège des médias ? », Rldi/89,janvier 2013, n° 2983, p. 60-77 ; Derieux, E.,« Défense des médias : loi du 29 juillet 1881.Application, à l'action civile, des particularités deprocédure de la loi du 29 juillet 1881 », Rldi/91,mars 2013, n° 3048, p. 88-95 ; Dreyer, E.,« La saisine des juridictions », Responsabilitécivile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd.,2012, p. 456-493 ; Granchet, A., « Le droit de lapresse : une spécialité légitime ou dépassée ? »,Légipresse, novembre 2005, n° 226.II.121-127 ;Véron, M., « Le parcours procédural en matièred'injures et de diffamations envers les particuliers», in Ass. fr. dr. pénal, Liberté de la presse etdroit pénal, Puam, 1994, p. 67-86.
(10) « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation,injure ou outrage, ni le compte rendu fidèlefait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discoursprononcés ou les écrits produits devant lestribunaux ».
(11) Cass. civ. 3e, 3 mai 2012, n° 11-14964.
(12) Cass. civ. 1re, 6 octobre 2011, n° 10-18142 ;Comm. Comm. électr., février 2012, n° 2,Comm. 18, obs. A. Lepage ; Légipresse, janvier2012, n° 290, p. 31-35, commentaire G. Lécuyer.
(13) Articles 226-1 et suivants relatifs à l'atteinteà l'intimité de la vie privée ; articles 226-13et suivants relatifs à des violations de secrets ;articles 434-16 et 434-25 relatifs à l'indépendanceet à l'autorité de la justice
(14) Cass. civ. 2e, 10 mars 2004, n° 00-16934.
(15) Cass. civ. 1re, 5 décembre 2006, n° 05-20250.
(16) Cass. civ. 1re, 31 janvier 2008, n° 07-12643.
(17) Cass. civ. 1re, 27 septembre 2005, n° 03-13622 ;Rtd civ. 2006, p. 126, obs. P. Jourdain ; Légipresse2006, n° 230.III.57, note F. Watrin ; Dalloz2006.J.485, note Th. Hassler.
(18) Cass. civ. 2e, 25 janvier 2007, n° 03-20506.
(19) Cass. civ. 1re, 21 février 2006, n° 04-17740.
(20) Cass. civ. 1re, 30 mai 2006, n° 04-18520.
(21) Cass. civ. 2e, 25 janvier 2007, n° 03-20506.
(22) Cass. civ. 1re, 6 octobre 2011, n° 10-18142 ;Comm. Comm. électr., février 2012, n° 2,Comm. 18, obs. A. Lepage ; Légipresse, janvier2012, n° 290, p. 31-35, commentaire G. Lécuyer.
(23) Cass. civ. 1re, 10 avril 2013, n° 12-10177 ;Dreyer, E., « Disparition de la responsabilité civileen matière de presse (bis !) », Gazette du Palais,23 mai 2013, n° 143, p. 5 ; Verly, N., « La Cour decassation réaffirme l'exclusion de l'article 1382du Code civil du procès de presse », Légipresse,juillet 2013, n° 307, p. 425-429.
(24) Dreyer, E., « Disparition de la responsabilitécivile en matière de presse (bis !) », Gazette duPalais, 23 mai 2013, n° 143, p. 5.
(25) Cass. crim., 10 septembre 2013, n° 11-86311.
(26) Jourdain, P., « Le renforcement de l'exclusionde l'article 1382 en matière de presse », Rtd Civ.2007, p. 354.
(27) Dreyer, E., « Disparition de la responsabilitécivile en matière de presse », Dalloz 2006,p. 1337.
(28) Hassler, Th., « À propos des limites du champd'application de la loi de 1881 sur la presse, etparticulièrement de ses règles procédurales »,Rldi/79, février 2012, n° 2630, p. 34-36.
(29) Frayssinet, J., « Le pseudo-droit à l'oubliappliqué à la presse », Légipresse, octobre 2010,n° 276, p. 273-279.
(30) Il a ainsi été jugé, au profit de l'Ordre desavocats à la cour d'appel de Paris, que, « si lesfaits poursuivis ne peuvent être constitutifs d'uneinfraction de presse sanctionnée » par la loi du29 juillet 1881, « il n'y a pas lieu d'écarter parprincipe toute application de l'article 1382 duCode civil, compte tenu de l'exigence posée parl'article 6, § 1, de la Convention européenne desauvegarde des droits de l'Homme et des libertésfondamentales selon lequel toute personne adroit à ce que sa cause soit entendue équitablement'» (Tgi Paris, 17e ch., 19 mai 2010, Ordre desavocats à la cour d'appel de Paris c. P. Ribeiro).Pour l'annotatrice, « quelle que soit la place réservéeau droit commun de la responsabilité, celle-cidoit se concilier avec le respect des dispositionsde l'article 6 de la Convention européenne desdroits de l'Homme, selon lequel toute personnea droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,publiquement et dans un délai raisonnablepar un tribunal indépendant et impartial »(Masure, Fl., « Réparation des abus de la libertéd'expression : vers un retour du droit commun dela responsabilité ? », note sous Tgi Paris, 17e ch.,19 mai 2010, Légipresse, octobre 2010, n° 276,p. 290-295).
(31) « 2. L'exercice de ces libertés comportant desdevoirs et des responsabilités peut être soumis àcertaines formalités, conditions, restrictions ousanctions prévues par la loi, qui constituent desmesures nécessaires, dans une société démocratique( ) à la protection de la réputation ou desdroits d'autrui ( ) ».