Comment concilier la protection des auteurs de livres numériques et celle des lecteurs souhaitant disposer des fichiers achetés dans le cadre d'une interopérabilité garantie ? Aujourd'hui, les mesures techniques utilisées par les opérateurs majeurs du marché du livre numérique protègent, au-delà des fichiers eux-mêmes, l'ensemble de l'« écosystème ». Cette protection inclut la plateforme de vente et les dispositifs matériels de lecture, qu'ils proposent à leur clientèle. Ces Mtp interdisent l'exportation et l'importation d'un écosystème à l'autre. Dès lors, les lecteurs n'ont l'usage du livre numérique acheté depuis une plateforme, seulement s'ils ont à leur disposition un dispositif de lecture adapté à leur écosystème, c'est-àdire compatible avec cette plateforme. Pour autant, l'application des Mtp au livre numérique est particulièrement pertinente au regard du marché substantiel de l'usage de la lecture, qui s'épuise à la première lecture. La protection des auteurs s'oppose donc à la circulation des oeuvres de façon à maintenir le marché principal. Garantir l'interopérabilité, pour répondre aux souhaits de la Commission européenne et aux revendications des lecteurs, suppose préalablement de définir les objets sur lesquels portent les revendications des acteurs du marché. En explorant différentes pistes de réflexion, les contributeurs proposent d'instituer une obligation spécifique et autonome d'interopérabilité des plateformes de distribution digitales de façon à concilier les intérêts en présence.
Dans l'univers de la diffusion des biens numériques, s'affrontent en permanence deux logiques, qui, au premier abord, semblent incompatibles : d'une part, la nécessaire protection des droits d'auteur portant sur les oeuvres incorporées dans un fichier numérique, protection qui se traduit concrètement par un contrôle du fichier par des mesures techniques, et, d'autre part, la volonté ressentie comme légitime des usagers de pouvoir disposer de leurs fichiers en toute liberté, dès lors ...
Gilles VERCKEN
Avocat au Barreau de Paris, Cabinet Gilles Vercken
1er mars 2014 - Légicom N°51
5499 mots
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(2) V., pour cette démarche fondamentale dans ledomaine des créations informatiques : F. Macrez,Créations informatiques : bouleversement despropriétés intellectuelles ? Essai sur la cohérencedes droits, Lexis Nexis Litec, coll. « Ceipi »,Paris, 2011.
(3) Cons. Const., décision n° 2006-540 DC, 27 juil.2006, JO, 2006, p. 11541.
(4) Hadopi, Avis n° 2013-2 du 8 avr. 2013 rendu surla saisine de l'association VideoLAN, p. 2, n° 7.
(5) Direction générale de la modernisation del'État, Référentiel Général d'Interopérabilité,version 1.0, 12 mai 2009, http://references.modernisation.gouv.fr/rgi-interoperabilite, p. 18 et s.
(6) F. Duflot, « L'interopérabilité dans tous sesétats (définition de la notion d'interopérabilité) »,Interopérabilité : aspects juridiques, économiqueset techniques, Rldi, janv. 2007, suppl. au n° 23,751, p. 9.
(7) Directive du 14 mai 1991 concernant la protectionjuridique des programmes d'ordinateur,codifiée par la directive 2009/24/CE du 23 avril2009, Joce, 17 mai 1991, cons. 10.
(8) Directive n° 2001/29/CE du Parlement européenet du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisationde certains aspects du droit d'auteur et desdroits voisins dans la société de l'information,Joce, 22 juin 2001.
(9) Cf. la thèse incontournable de Thierry Maillard,« La réception en droit français des mesurestechniques de protection et d'information », ParisSud - Cerdi, 2009. G. Vercken, « Quel est lenouveau rôle des mesures techniques ? », Rldi,2006, suppl. n° 20, p. 15.
(10) « Europe must ensure that new IT devices,applications, data repositories and services interactseamlessly anywhere just like the internet.» : European commission, Digital agendafor Europe A Europe 2020 Initiative, http://ec.europa.eu/digital-agenda/
(11) N. Kroes, in C. Bläsi et F. Rothlauf, Del'interopérabilité des formats du livre numérique,European and International BooksellersFederation, Buxelles, 2013.
(12) Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative audroit d'auteur et aux droits voisins dans la sociétéde l'information, JO, 3 août 2006.
(13) CA Paris, 26 sept. 2011, Nintendo/ AbsoluteGames, Divineo et autres, Legalis.net, affairen° 0824995002.
(14) Demande de décision préjudicielle présentéepar le Tribunale di Milano (Italie), 26 juill. 2012,Nintendo Co., Ltd e.a./ PC Box Srl et 9Net Srl,JO, 2012, L 167, affaire C-355/12, p. 10.
(15) Hadopi, Avis n° 2013-2 du 8 avr. 2013 rendusur la saisine de l'association VideoLAN, préc.
(16) CA Paris, 26 sept. 2011, Nintendo/ AbsoluteGames, Divineo et autres, préc.
(17) Hadopi, Avis n° 2013-2 du 8 avr. 2013 rendusur la saisine de l'association VideoLAN, préc.
(18) Ibid., n° 22.
(19) « Accord-cadre entre le Conseil permanent desécrivains et le Syndicat national des éditeurs sur lecontrat d'édition dans le secteur du livre », 21 mars2013, http://www.culturecommunication.gouv.fr
(20) Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pourla confiance dans l'économie numérique, JO,22 juin 2004, article 4 : « On entend par standardouvert tout protocole de communication,d'interconnexion ou d'échange et tout format dedonnées interopérable et dont les spécificationstechniques sont publiques et sans restrictiond'accès ni de mise en oeuvre. »
(21) Nous soulignons. Voilà un secteur culturelbien étrange dans lequel on vend des oeuvres,et on exploite des livres (loi du 1er mars 2012relative à l'exploitation numérique des livresindisponibles, sur laquelle v. la contribution deF.-M. Piriou, dans ce numéro)
(22) Hadopi, Avis n° 2013-2 du 8 avr. 2013 rendusur la saisine de l'association VideoLAN, préc.,n° 36.
(23) V. également : G. Vercken, « La consécrationdes mesures techniques de protection, un combatd'arrière-garde ? », Propriétés Intellectuelles,2007, 25, p. 413, spéc. p. 416-417.
(24) Sur la différence qui peut se concevoir entreinteropérabilité et compatibilité, v. F. Duflot,« L'interopérabilité dans tous ses états (définitionde la notion d'interopérabilité) », art. préc., spéc.p. 11.
(25) P. ex. : S. Dusollier, Droit d'auteur et protectiondes oeuvres dans l'univers numérique.Droits et exceptions à la lumière des dispositifsde verrouillage des oeuvres, Larcier, Bruxelles,2005, n° 78.
(26) Contra, M. Ficsor, « Technological Measures(TPMs) to protect video games and illegal modchips to circumvent them in the light of areference to the CJEU », 21st Annual IntellectualProperty Law & Policy Conference, FordhamUniversity School of Law, 4-5 avr. 2013 : « Thereference to Recital 48 is not justified in thisrespect since it has nothing to do with the conceptand definition of technological measures ».
(27) Le terme « distribution » est ici utilisé parcommodité de langage et sans que cela n'emporteune conséquence sur le plan de la qualificationde l'acte effectuée par la plateforme : la mise àdisposition d'un fichier peut aussi relever de lacommunication au public, ce qui exclurait la qualificationde distribution, quoiqu'en dise la Cjuedans l'arrêt Usedsoft. Peut-être faudrait-il utiliserle terme neutre plateforme de commercialisation ?
(28) Article L. 331-9 : « Les titulaires de droits quirecourent aux mesures techniques de protectiondéfinies à l'article L. 331-5 peuvent leur assignerpour objectif de limiter le nombre de copies. Ilsprennent cependant les dispositions utiles pourque leur mise en oeuvre ne prive pas les bénéficiairesdes exceptions visées à l'article L. 331-8de leur exercice effectif. Ils s'efforcent de définirces mesures en concertation avec les associationsagréées de consommateurs et les autresparties intéressées. » Article L. 331-12 : « Lesconditions d'accès à la lecture d'une oeuvre, d'unvidéogramme, d'un programme ou d'un phonogrammeet les limitations susceptibles d'êtreapportées au bénéfice de l'exception pour copieprivée mentionnée au 2° de l'article L. 122-5 etau 2° de l'article L. 211-3 par la mise en oeuvred'une mesure technique de protection doivent êtreportées à la connaissance de l'utilisateur. »
(29) Remis en cause récemment en prenant encompte l'existence ou non de Drm : voir la propositiond'amendement des députés monsieurEric Alauzet et Eva Sas, 30 octobre 2013 projetde loi de finances pour 2014 (n° 1395) amendementn°ii-cf62. À ce sujet, on fera remarquer qu'ilexiste aussi des services de biens culturels soumisà une Tva spéciale : spectacles vivants, cinémas,services de télévision (article 279 Cgi). Voir aussila proposition d'amendement de monsieur LionelTardy dans le cadre de la discussion sur le projetde loi consommation Assemblée nationale,15 novembre 2013 consommation (n° 1357)amendement n°ce102.
(30) Cf. « Vers un marché de l'occasion du livrenumérique », Cabinet Gilles Vercken. Légipresse,n° 303, mars 2013.
(31) Voir Cgu Amazon par exemple : « Amazonou ses fournisseurs de contenu vous accorde unelicence limitée, non exclusive, non transférable,non sous licenciable à l'accès et à l'utilisationpersonnelle et non commerciale des ServicesAmazon. Cette licence n'inclut aucun droit d'utilisationd'un Service Amazon ou de son contenupour la vente ou toute autre utilisation commerciale; de collecte et d'utilisation d'un listingproduit, descriptions, ou prix de produits ; detoute utilisation dérivée d'un Service Amazon oude son contenu ».
(32) V. les Cgu de Numilog : « En particulier,Numilog et l'éditeur qu'il représente attirentvotre attention sur le fait que les fichiers desItems numériques livrés après commande surce site sont, sauf exception, protégés contrela copie par des dispositifs appelés Mesurestechnique de protection ou systèmes de DigitalRights Management. Le téléchargement desItems numériques aux formats Epub ou Pdfnécessite l'installation préalable du logiciel delecture Adobe Digital Editions. Lors de la premièreexécution d'Adobe Digital Editions, vousserez invité à autoriser l'application en saisissantun ID Adobe. Ensuite, tout livre numériqueacheté sera automatiquement lié à votre IDAdobe, et non à votre ordinateur. Vous pourrezainsi utiliser vos contenus sur six ordinateurs etterminaux autorisés avec Adobe Digital Editions.Les Items numériques au format Wma ne pourrontpas être transférés librement sur des appareilsélectroniques différents de celui qui a été utilisépour le premier téléchargement. Ces dispositifsde protection sont à ce jour incompatibles aveccertains environnements informatiques, en particulieravec les environnements Linux ou Unix. »
(33) Voir en ce sens, La note d'analyse du centred'analyse stratégique du Premier ministre « Lesacteurs de la chaîne numérique du livre », mars2012, n° 272.