L'essentiel L'article L. 111-1 du Cpi prescrit le principe d'un droit de propriété incorporelle reconnu à l'auteur, personne physique, d'une oeuvre de l'esprit qui n'est pas remis en cause par l'existence d'un contrat. Ce principe s'est trouvé progressivement assorti de régimes de cession spécifiques à chaque secteur professionnel, illustrant les effets des lobbys. Tel fut le cas pour les journalistes. À la logique personnaliste s'est superposée la logique de l'entreprise. Autrement dit, il a été question de concilier le lien de subordination ou le pouvoir hiérarchique avec le personnalisme des droits de propriété littéraire et artistique. Dans ce questionnement, les dispositifs législatifs anciens en la matière avaient déjà privilégié la gestion du collectif sur l'individuel. Visant à sécuriser les cessions de droits de propriété intellectuelle au bénéfice des entreprises de presse, la loi du 12 juin 2009 dite Loi Hadopi est venue modifier le Code de la propriété intellectuelle et le Code du travail en organisant la dévolution des droits, selon un système prôné par le Conseil d'État et sans s'attacher à la notion d'oeuvre collective qui a été proprement délaissée au profit de la logique du droit social. De nouveau modifié par la loi du 17 mai 2011, il y a donc désormais, en propriété intellectuelle des journalistes, un avant et un après Hadopi. Ceci ressort clairement de l'arrêt du 16 novembre 2012 rendu par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire Davodeau & Snj c. Dépêche du Midi.
Le Code de la propriété connaît une pierre angulaire. L'article L. 111-1, première pierre de l'édifice, qui ouvre cette oeuvre architecturale. Celui-ci dispose que « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent ...
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
1er janvier 2013 - Légicom N°49
5504 mots
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(2) Pour une critique de la forme des textes législatifsdepuis 1985 : P.-Y. Gautier, Propriété littéraireet artistique, PUF, 8e éd., 2012, p. 21 et 488 ;P. Sirinelli, « Le raisonnable en droit d'auteur »,Mélanges Françon, Dalloz, 1995, p. 403 et s. ;pour une critique de la loi de 2006 : C. Caron,Droits d'auteur et droits voisins, Litec, 2009,p. 167, § 209.
(3) Ce qui vise notamment les enseignants chercheurs mais pas les enseignants du primaireet du secondaire. Les spécificités corporativesdemeurent, la France adorant les discriminationsspéciales sous couvert du principe général d'égalité: cf. P.-Y. Gautier, op. cit., § 472 ; C. Caron,op. cit., p. 158, § 202 et § 212. Ce qu'il convientde relever, au titre de cette réforme de 2006, estla limitation du droit moral du fonctionnaire.L'article L. 121-7-1 du Code de la propriété intellectuelleprévoit en effet une restriction du droitde divulgation, du droit au respect de l'oeuvre etdu droit de repentir.
(4) Mais le principe n'est pas nouveau puisqu'ilétait déjà inscrit dans un avis du Conseil d'Étatdu 21 novembre 1972, illustration d'un Droitprétorien contra legem. in Les Grands Avis duConseil d'État, Dalloz, 2e éd., 2002, p. 105, noteKuperfils. La loi du 1er août 2006 conforte doncle principe. On retrouve la même tartufferie àl'article L. 121-8 alinéa 2 : ceci est le propre d'unedissimulation de la pensée. Notre époque de prétenduetransparence démocratique oscille, dans leregistre de Molière, entre Tartuffe et les précieusesridicules. Pour une critique de l'article L. 121-8 duCpi : A. Lucas, Traité, op. cit., p. 183, § 175.
(5) L'article L. 131-3-1 du Cpi organise une cessionautomatique à la Fonction publique pour sesmissions non commerciales : « Dans la mesurestrictement nécessaire à l'accomplissement d'unemission de service public, le droit d'exploitationd'une oeuvre créée par un agent de l'État dansl'exercice de ses fonctions ou d'après les instructionsreçues est, dès la création, cédé de pleindroit à l'État. Pour l'exploitation commerciale del'oeuvre mentionnée au premier alinéa, l'État nedispose envers l'agent auteur que d'un droit depréférence. Cette disposition n'est pas applicabledans le cas d'activités de recherche scientifiqued'un établissement public à caractère scientifiqueet technologique ou d'un établissement public àcaractère scientifique, culturel et professionnel,lorsque ces activités font l'objet d'un contrat avecune personne morale de droit privé ».
(6) Art. L. 113-9 du Cpi : sauf dispositions statutairesou stipulations contraires, les droits patrimoniauxsur les logiciels et leur documentation crééspar un ou plusieurs employés dans l'exercice deleurs fonctions ou d'après les instructions de leuremployeur sont dévolus à l'employeur qui est seulhabilité à les exercer. On retrouve ici le principede la cession légale qui permet de ne pas toucher àla conception personnaliste tout en ouvrant la voiede l'exploitation (de l'oeuvre ).
(7) Le phénomène n'est pas nouveau puisque sousla Révolution, les auteurs dramatiques avaientfait valoir leurs droits dès 1790, les autres auteursayant dû attendre 1793 : P.-Y. Gautier, op. cit.,p. 17 et sur l'apparition de nouveaux groupes depression : p. 20 ; et sur le lobbying des universitairespour conserver leurs droits patrimoniauxd'auteur : C. Caron, op. cit., § 212.
(8) La doctrine reconnaît la spécificité de l'oeuvredu salarié conçue pour les besoins de l'entreprisetout en étant en délicatesse avec la question de larémunération : P.-Y. Gautier, op. cit., p. 266-277,§ 252. L'indécision du droit français par rapportau droit américain aboutit ainsi à un flou dudroit : cf. P.-Y. Gautier, op. cit., note 2, p. 267 ;C. Caron, op. cit., § 203 : « la solution pourraitêtre différente en cas de CDD qui serait conclupour que le salarié exerce une mission créativespécifique » ; Drai, le Droit du travail intellectuel,Lgdj, 2005, 304 p. ; J. Calvo., « Les créationsdes salariés, de la difficulté de la conciliation del'idéologie avec les nécessités pratiques », Lpa11 mars 1998, p. 11.
(9) A. Lucas, Traité, op. cit., § 170.
(10) A. Lucas, « Le rapport Le Chapelier : retourvers la conception jus naturaliste du droit d'auteurfrançais », Liber amicorum G. Bonet, Litec 2010,p. 341 et s. ; A. Lucas, Traité, op. cit., § 166 ;C. Caron, op. cit., p. 157 et s., et l'abondanteréférence bibliographique sur la question de lacréation salariée : op. cit., p. 158, note 36.
(11) Toute proportion gardée car l'on n'est pasdans le régime du copyright américain et du« work made for hire » où l'entreprise est considéréecomme l'auteur et ce dernier rémunéré selonle principe du buy out.
(12) Orléans, 10 juillet 1854, statuant sur renvoicrim., 4 mai 1854, DP 1855, 1, p. 127 et 2.,p. 157 : affaire Firmin Didot
(13) P.-Y. Gautier, op. cit., p. 702, § 687.
(14) Sur la notion de contrat de travail et desalariat : C. Radé, « Protéger qui exactement ? letentateur ? le sportif amateur ? le travailleur ? »,30e colloque Droit social, 16 novembre 2012,Dalloz, polyc. p. 51-52.
(15) Que l'on a pu qualifier de « catégorie sulfureuse» : P.-Y. Gautier,op. cit., p. 703, § 688.
(16) P.-Y. Gautier, op. cit., p. 707, note 2.
(17) Tgi Strasbourg, réf., 3 février. 1998, Usjf, Snj& autres c/ SA Sdv Plurimédia, Légipresse, 1998,III, p. 22 à 25 ; Colmar, 1re ch. Civ., 15 septembre1998, Sté Sdv Plurimédia c/ Sjf-Cfdt et autres,Légipresse, 1998, III, p. 172-174 ; Paris, 1re ch.,10 mai 2000, SA Gestion du Figaro c/ SNJ.
(18) A. Lucas, Traité, op. cit., § 169. La causede l'obligation certes, mais quid de la cause ducontrat si l'entreprise ne peut exploiter la productiondu salarié ?
(19) Soc., 12 septembre 2007, La Montagne c/Compagnoni.
(20) Civ., 1re ch., 12 juin 2001, Scam, n° de pourvoi: 99-15895 : parution nouvelle dans le mêmeorgane de presse ; pour une solution identiqueavec parution dans un autre organe de presse : civ.,1re ch., 23 janvier 2001, Le Berry Républicain,n° de pourvoi : 98-17926 ; civ., 1re ch., 27 avril2004, Les Nouvelles Esthétiques, n° de pourvoi :02-16066, Bull.
(21) Civ., 1re ch., 12 avril 2005, Sté européenne demagazines, n° de pourvoi : 03-21095, Bull. ; pourune illustration récente sur des faits ante et postHadopi : Paris, Pôle 5 ch. 2, 16 novembre 2012,Davodeau & SNJ c/ Dépêche du Midi, n° R.Gn° 12/02086, à paraître dans Légipresse : la Courretient qu'« en application de l'article L. 113-1 duCode de la propriété intellectuelle, qui présumeque la qualité d'auteur appartient à celui ou àceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée,Bernard Davodeau doit être considéré commetitulaire des droits d'auteur sur ces articles etbénéficier de la protection prévue par les livres Iet III du Code de la propriété intellectuelle ».
(22) Paris, Pôle 5 ch. 2, 16 novembre 2012,Davodeau & SNJ c/ Dépêche du Midi, n° R.Gn° 12/02086, à paraître dans Légipresse. Cfnote 19.
(23) Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ,Jcp, éd. G., 2000, II, 10 280, note E. Derieux,Légipresse, 2000, III, p. 7-12, note N. Brault :le principe est tiré d'une autre décision : Lyon,1re ch., 28 novembre 1991, Gaz. Pal. 15-16 avril1992, p. 34-44.
(24) Cf. art. 1780 du Code civil ; P.-Y. Gautier,op. cit., p. 268 : « ce texte n'est pas fait pour lacréation permanente, rémunérée, subordonnée,pour des missions précises et insérées dans unestructure ».
(25) Cf. recommandations des États généraux dela presse écrite voulus par la présidence de laRépublique, sous le mandat de Nicolas Sarkozy.
(26) Ce qui exclut, de facto, les journalistesdes agences de presse qui demeurent régis parles dispositions de Droit commun du Code dela propriété intellectuelle et les journalistes del'audiovisuel.
(27) Sur la question des droits d'auteur des journalisteset sur l'évolution de ceux-ci : DerieuxEmmanuel (avec le concours d'Agnès Granchet),Droit des médias, Lgdj, 6e éd. 2010, p. 789-818 ;B. Ader, « la cession des droits d'auteur desjournalistes », Légicom n° 14, 1997, p. 35-41 ;F. Olivier, E. Barbry, « Les journalistes et l'Internet», Légicom n° 14, 1997, p. 51.
(28) Conseil d'État, Internet et les réseaux numériques,coll. Les Études du Conseil d'État,La Documentation Française, 1998, p. 127-141.
(29) A. Lucas, Traité de la propriété littéraireet artistique, Lexis Nexis, 4e éd., 2012, p. 224,note 281 : « il est surprenant que la loi du 12 juin2009 ait raisonné exclusivement en termes decession des droits par le journaliste, sans mêmeévoquer la qualification d'oeuvre collective généralementreconnue aux journaux ». L'explicationpeut se trouver dans les déconvenues jurisprudentiellesqu'avaient pu connaître les éditeurs depresse ayant invoqué cette notion que les auteursdu Traité qualifient eux-mêmes de « rédactionembarrassée » : op. cit., § 221 et § 175.
(30) En ce sens : E. Derieux, Droit de la communication,3e éd., Lgdj, 1999, p. 620 ; pour uncommentaire (acerbe mais juste) de l'accordcadrePQR : ibid. : E. Derieux, note ss Lyon,9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, Jcp, éd. G.,2 000, II, 10 280.
(31) Tgi Paris, 3e ch., 2e sect., 9 décembre 2011,Davodeau c/ Dépêche du Midi, Légipresse n° 292,mars 2012, p. 179 et s.
(32) C. Caron, op. cit., p. 164 ; pour un avis critiquesur la loi : A. Lucas, Traité, op. cit., p. 185, § 177.Le peu d'orthodoxie de la loi ne pouvait recueillirl'approbation des auteurs.
(33) Op.cit., note 21.
(34) L'article L. 111-1 comportant depuis 2006des exceptions, il n'est plus possible de faireapplication des principes absolus posés par la1re ch. civ. de la Cour de cassation dans ses arrêtsdes 16 décembre 1992 et 12 avril 2005 selon lesquels« l'existence d'un contrat de travail conclupar l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporteaucune dérogation à la jouissance de ses droits depropriété intellectuelle ». Si le principe demeureen Droit commun, il cède devant les régimesspéciaux. Adieu égalité et simplicité
(35) Ss dir. S. Guinchard, T. Debard, Lexique destermes juridiques, 2011, Dalloz, 18e éd.,
(36) Ss dir. G. Cornu, Vocabulaire juridique, associationHenri Capitant, PUF, 1992, 3e éd.
(37) Dans l'affaire Dépêche du Midi, le Tgi deParis visait la notion d'« accord collectif simple »,ce qui en Droit du travail ne renvoie pas à unedéfinition précise, sauf à l'opposer à celle d'accordétendu par le ministre du Travail (notionapplicable à la branche ou à la région mais pas,comme en l'espèce, à un accord d'entreprise).
(38) G. Cornu, Vocabulaire juridique, AssociationHenri Capitant, PUF, 3e éd., 1992, p. 108.
(39) Même si l'article L. 132-44 du Cpi a prévuune possible validation des accords d'entreprisedérogatoires par la commission paritaire desdroits d'auteur des journalistes.