L'essentiel L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 23 janvier 2012, une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, plus connue sous le nom de « proposition de loi Carayon ». Que prévoit-elle concrètement ? Principalement la reconnaissance légale du secret des affaires et de la répression de sa violation. Cette proposition précise en effet les informations protégées par le secret des affaires, ce qui ne relève pas aujourd'hui du droit positif. Elle prévoit un délit de violation de ce même secret appréhendé à l'heure actuelle dans le cadre d'incriminations plus générales utilisées parfois au mépris de leurs éléments constitutifs. Les évolutions proposées sont-elles alors à l'abri de toutes controverses ? Selon l'auteur, une réponse négative s'impose, car des incertitudes persistent au regard des personnes susceptibles d'être condamnées pour violation du secret des affaires, et de l'acte matériel du délit, c'est-à-dire la révélation. En l'état, le délit de violation du secret des affaires n'est pas dépourvu de conséquences sur le travail d'investigation des journalistes et peut constituer un « paravent » facilitant la commission d'actes frauduleux par les entreprises et leurs dirigeants. L'auteur démontre cependant point par point que les critiques sont moins nombreuses que celles qui ont pu être formulées jusqu'ici par la doctrine. Il propose in fine une rédaction plus précise du texte à la faveur de son adoption.
Le patrimoine de l'entreprise est, aujourd'hui, de plus en plus souvent composé d'actifs immatériels de grande valeur. Il peut donc être utile d'en protéger la confidentialité. Or, le 23 janvier 2012, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi visant justement à sanctionner pénalement la violation du secret des affaires (1). Ce vote, qui va à contre-courant d'un rapport remarqué rendu il y a quelques années (2), a donné lieu à une littérature ...
Jérôme LASSERRE CAPDEVILLE
Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg
1er janvier 2013 - Légicom N°49
5210 mots
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(2) Cette proposition a connu plusieurs versionsantérieures de qualités inférieures. - Th. du Manoirde Juaye, Intelligence économique et secret desaffaires : le point de vue des juristes : Cah. dr.entrep. 2008, n° 5, dossier 44. - Ch. Le Stanc, Uneprotection pénale du secret des affaires ? : Prop.industr., octobre 2009, repère 9. - Ch. Le Stanc,Le Secret de l'Espadon : Propr. industr., mars2011, repère 3.
(3) Mission du Haut responsable chargé de l'intelligenceéconomique, La Protection du secretdes affaires : enjeux et propositions : rapport dugroupe de travail présidé par M. Claude Mathon,avocat général à la Cour de cassation, 17 avril2009.
(4) Prop. loi AN n° 3103, 13 janvier 2012, votéeen première lecture à l'Assemblée nationale le23 janvier 2012. Texte adopté n° 826 et enregistréà la présidence du Sénat le 24 janvier2012 (n° 284). - Sur ce texte, P. Berlioz, Quelleprotection pour les informations économiquessecrètes de l'entreprise ? : Rtd com. 2012, p. 263.- A. Cousin, Vers une protection accrue du secretdes affaires : D. 2012, p. 1808. - Cl. Mathon,La Nécessaire Protection du secret des affaires :La revue du Grasco 2012, n° 1, p. 13. - J.-M.Garinot, Secret des affaires : une avancée enperspective ? : Dr. et patr. février 2012, p. 24.- F. Herpe, Protection du secret des affaires :la proposition de loi du 23 janvier 2012 surla violation du secret des affaires est-elle unprogrès ? : Jcp G 2012, act. 173. - M. Malaurie-Vignal, Réflexions sur la protection du patrimoineinformationnel de l'entreprise contre le piratageéconomique : D. 2012, p. 1415. - P. Martin, LeSecret des affaires et la proposition de loi adoptéeen première lecture le 23 janvier 2012 : Gaz.Pal. 3 juillet 2012, n° 185, p. 19. - F. Moulière,Secret des affaires et vie privée : D. 2012, p. 571.- D. Rebut, Le Secret des affaires : Jcp G 2012suppl. au n° 47, p. 18. - W. Roumier, Adoption enpremière lecture de la proposition de loi visant àsanctionner la violation du secret des affaires : Dr.pén. février 2012, alerte 12.
(5) Notons qu'à l'origine, la proposition était placéedans un chapitre intitulé « des atteintes à lapersonnalité », ce qui n'était pas cohérent pour desfaits portant sur des informations. Cette erreur a étérectifiée par un amendement gouvernemental.
(6) Article 3 de la proposition de loi votée parl'Assemblée nationale.
(7) C'est le cas, notamment, en matière de régulationbancaire et financière aux articles L. 612-24et L. 621-15 du Code monétaire et financier.- Sur le premier de ces articles, J.-Ph. Kovar etJ. Lasserre Capdeville, Droit de la régulation :Rev. Banque éditeur, 2012, n° 426. - De même,en droit de la concurrence, l'article L. 463-4 duCode de commerce concernant l'autorité de laconcurrence y fait référence.
(8) En matière de procédure civile, le secret desaffaires a été évoqué en matière de mesure d'instructionin futurum visée par l'article 145 du Codede procédure civile, Cass. civ. 2e, 7 janvier 1999,n° 95-21.934 : Bull. civ. 1999, II, n° 4 ; Bull. Jolysociétés 1999, p. 666, note F.-X. Lucas. - Cass.civ. 2e, 8 février 2006, n° 05-14.198 : Bull. civ.2006, II, n° 44. Cass. com., 8 décembre 2009,n° 08-21.225.
(9) Le droit de l'Union européenne a défini lessecrets d'affaires comme « des informations dontnon seulement la divulgation au public mais égalementla simple transmission à un sujet de droitdiffèrent de celui qui a fourni l'information peutgravement léser les intérêts de celui-ci », Tpice,18 septembre 1996, Postbank : Rtd europ. 1997,p. 459, obs. J.-B. Blaise et L. Idot.
(10) V. infra, p. 61.
(11) Cass. crim., 12 janvier 1989, n° 87-82.265 :Bull. crim. 1989, n° 14 ; Rev. sc. crim. 1990,p. 507, obs. M.-P. Lucas de Leyssac. Cass.crim., 1er mars 1989, n° 88-82.815 : Bull. crim.1989, n° 100 ; D. 1990, somm. p. 230, obs.J. Huet. Cass. crim., 4 mars 2008, n° 07-84.002 :D. 2008, p. 2213, note S. Détraz ; Rev. sc. crim.2009, p. 124, obs. J. Francillon.
(12) Concernant un fichier de clientèle, Cass.crim., 16 novembre 2011, n° 10-87.866 : AJ pén.2012, p. 163, obs. J. Lasserre Capdeville ; D.2012, p. 137, note G. Baussonie ; Rtd com. 2012,p. 203, obs. B. Bouloc ; Dr. pén. 2012, comm. 1,obs. M. Véron.
(13) C. pén., art. 226-13.
(14) C. mon. fin., art. L. 511-33.
(15) C. propr. intellec., art. L. 621-1 et C. trav., art.L. 1227-1. - Sur ce délit, J. Lasserre Capdeville,Le Délit de violation du secret de fabrique : AJPén. 2011, p. 459. - Pour un exemple récent, CAParis, 5 juin 2012, n° 11/08851 : Petites affiches,27 novembre 2012, n° 239, p. 13, note J. LasserreCapdeville.
(16) C. pén., art. 411-6 à 411-8.
(17) Cass. crim., 20 octobre 2010, n° 09-88.387 :Comm. com. électr. 2011, comm. 30, obs.E. Caprioli ; Jcp E 2010, 1273, note S. Détraz.
(18) Soulignons cependant, car cela limite l'impactde l'évolution de la loi, que par le passé la jurisprudenceestimait déjà qu'un ingénieur avait ledevoir de ne pas divulguer les secrets de fabriqueque lui avait confiés son précédent employeur,Cass. crim., 12 juin 1974, n° 73-90.724 : Bull.crim. 1974, n° 218.
(19) Cass. crim., 30 décembre 1931 : Gaz. Pal.1932, 1, p. 333.
(22) Le dernier alinéa de l'article 325-3 préciseque le signalement aux autorités compétenteseffectué dans les conditions prévues par l'articlene pourra pas faire non plus l'objet d'une sanctiondisciplinaire.
(23) P. Martin, Le Secret des affaires et la propositionde loi adoptée en première lecture le23 janvier 2012 : Gaz. Pal. 3 juillet 2012, n° 185,p. 19, n° 3.
(24) V. supra, note n° 8.
(25) Cass. crim., 30 juin 2010, n° 10-81.182 : D.2010, jurispr. p. 2820, note J. Lasserre Capdeville.
(26) Cass. crim., 5 avril 2006, n° 04-87.765 : D.2007, p. 1624, obs. C. Mascala ; Dr. sociétés2006, comm. 171, obs. R. Salomon.
(27) Cass. crim., 15 décembre 2009, n° 09-83.059 :D. 2010, AJ p. 203, obs. X. Delpech ; AJ Pén. 2010,p. 73, note N. Eréséo et J. Lasserre Capdeville ;Rtd com. 2010, p. 444, obs. B. Bouloc.
(28) Cass. crim., 20 novembre 2001, n° 00-46.414 :Bull. crim. 2001, n° 241. - Cass. crim. 20 septembre2011, n° 11-81.326 : Petites affiches, 2011,n° 237, p. 16, note N. Eréséo et J. LasserreCapdeville.
(29) J.-M. Coulon, La Dépénalisation de la viedes affaires, La Documentation française, 2008. -F. Stasiak, Le Rapport Coulon et la dépénalisationde la vie des affaires : Rev. sc. crim. 2009, p. 113.
(30) M. Malaurie-Vignal, Réflexions sur la protectiondu patrimoine informationnel de l'entreprisecontre le piratage économique : D. 2012, p. 1415,n° 43. - Cl. Mathon, La Nécessaire Protection dusecret des affaires : La revue du Grasco 2012,n° 1, p. 17.
(31) M. Malaurie-Vignal, op. cit., n° 40.
(32) P. Martin, op. cit., n° 6
(33) C. pén., art. 311-13.
(34) C. pén., art. 313-3.
(35) Sur cet objectif, B. Carayon, Proposition deloi visant à sanctionner la violation du secret desaffaires, 22 novembre 2011, exposé des motifs.
(36) V. par ex., T. corr. Clermont-Ferrand, 21 juin2010, Michelin : Dr. pén. 2010, comm. 116, obs.M. Véron ; Comm. com. électr. 2011, comm.31, obs. E. Capprioli ; Rldi 2010, n° 65, p. 69,obs. T. du Manoir de Juaye, condamnation pourabus de confiance d'un employé Michelin quitenta de vendre à la société Bridgestone desinformations confidentielles auxquelles il avaiteu accès. T. corr. Versailles, 18 décembre 2007,n° 0511965021, Valeo : Comm. com. électr. 2008,comm. 4, obs. E. Caprioli, condamnation d'unestagiaire pour abus de confiance qui avait copiéde nombreux fichiers électronique de Valéo surson ordinateur personnel en violation des règlesde confidentialité qu'elle avait expressémentacceptées.
(37) P. Berlioz, Quelle protection pour les informationséconomiques secrètes de l'entreprise ? :Rtd com. 2012, p. 263. - M. Malaurie-Vignal,op. cit., n° 48.
(38) V. supra, note n° 12.
(39) M. Malaurie-Vignal, op. cit., n° 45
(40) D. Rebut, Le Secret des affaires : Jcp G 2012suppl. au n° 47, p. 18. - W. Roumier, Adoption enpremière lecture de la proposition de loi visant àsanctionner la violation du secret des affaires : Dr.pén. février 2012, alerte 12, p. 21, n° 19.
(41) Concernant le délit d'initié et le délit de communicationd'une information privilégiée viséspar l'article L. 465-1 du Code monétaire etfinancier, J. Lasserre Capdeville, Les Incidencesen droit pénal financier de la reconnaissance dudélit de violation du secret des affaires : Bull. JolyBourse 2013, à paraître.
(42) Le Monde, 6 octobre 2012, Contre l'espionnageindustriel, Bercy relance l'idée d'instituerun « secret des affaires ».