Les collectivités publiques ont pour mission de gérer les populations. Elles collectent, traitent des informations susceptibles d'identifier les personnes. Ces traitements sont aujourd'hui de plus en plus massifs et sophistiqués, créant des interactions entre les différents fichiers automatisés. Certes, l'interconnexion des fichiers publics permet, d'une part, de simplifier les démarches administratives, d'améliorer les relations entre l'administration et les usagers et, d'autre part, de gagner en productivité (lutte contre la fraude ). Cependant, les atteintes aux libertés individuelles sont manifestes et supposent un contrôle efficient de la Cnil, fondé sur le régime de l'autorisation administrative, accordée après examen de la proportionnalité des interconnexions au regard des finalités à atteindre. Reste que les finalités des interconnexions ont évolué de manière significative, ce qui pose la question de la place des contrôles de finalité et de proportionnalité dans un environnement technique de plus en plus performant. L'étude des interconnexions de fichiers publics permet d'évaluer le contrôle démocratique de l'action de l'État qui oscille entre la protection des libertés individuelles et les besoins modernes de simplification du droit et de lutte contre la fraude.
La gestion des populations par les pouvoirs publics suppose que ceux-ci aient une certaine connaissance de leurs administrés. Ce pouvoir de connaissance implique la collecte et le traitement d'informations susceptibles d'identifier les personnes. Les fichiers nominatifs ont été généralisés dès le xive siècle sous l'impulsion de la révolution onomastique, de la conscription et des nécessités du recouvrement de l'impôt. Au fur et à mesure que les populations sont devenues plus ...
Julien LE CLAINCHE
Docteur en Droit, Ingénieur-expert INRIA Droit-tic.com
1er février 2012 - Légicom N°47
4542 mots
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(2) A. Huxley, Brave new world, Perennial, 1932 ;R. Bradbury, Farenheit 451, Ballantine Books,
(1963) Notons une première édition de Farenheit451 dans le magazine « Galaxy science-fiction »dès 1953, puis la publication d'une nouvelle versionen 1960 avant la version définitive de 1962.
(3) Voir, M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard,Paris, 1975, p. 287, dans lequel l'auteur s'étonneque les historiens se soient si peu intéressés à l'apparitionde la fiche aux alentours du xixe siècle.
(4) P. Boucher, « Safari ou la chasse aux Français »,Le Monde, 21 mars 1974.
(5) Loi n° 78-17, 6 janvier 1978 relative à l'informatique,aux fichiers et aux libertés, JO du 7 janvier1978 et rectificatif du 25 janvier 1978.
(6) Notons que la Cnil fut la première autoritéadministrative indépendante. www.cnil.fr.
(7) Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 definancement de la sécurité sociale pour 2007, JOn° 296 du 22 décembre 2006 p. 19315.
(8) Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplificationet d'amélioration de la qualité du droit, JOn° 115 du 18 mai 2011 page 8537 : « Les autoritésadministratives échangent entre elles toutes informationsou données strictement nécessaires pourtraiter les demandes présentées par un usager ».
(9) « Mariani : Contre la fraude, il faut un fichierdes allocataires sociaux », Jdd, 7 août 2006.
(10) « Xavier Bertrand annonce la création d'unfichier des allocataires sociaux avant fin 2011 »,Le Monde, 7 août 2011.
(11) Loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à laprotection des personnes physiques à l'égard destraitements de données à caractère personnel etmodifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relativeà l'informatique, aux fichiers et aux libertés,JO n° 182 du 7 août 2004, p. 14063.
(12) Directive n° 95/46/Ce du Parlement européenet du Conseil du 24 octobre 1995 relative àla protection des personnes physiques à l'égarddu traitement des données à caractère personnelet à la libre circulation de ces données, Joue du23 novembre 1995 n° L. 281, p. 31.
(13) Loi n° 78-17, 6 janvier 1978, art. 2.
(14) Ibidem.
(15) Définition établie par la Cnil, « Commentdéterminer la notion d'interconnexion ? », 5 avril
(16) Les informations contenues dans un traitement« A » servent à alimenter un traitement « B ».
(17) Les informations contenues dans un traitement« A » servent à alimenter un traitement « B »et inversement.
(18) Les informations contenues dans les traitements« A » et « B » servent à la création d'untraitement « C ».
(19) P. Boucher, « Safari ou la chasse auxFrançais », précité.
(20) Cette commission a été créée par le décretn° 74-938 du 8 novembre 1974, JO, 13 novembre1974 p. 11403. Elle a rendu ses conclusionsdans un rapport, « Informatique et libertés », LaDocumentation française, 1975.
(21) Cnil, « 5e rapport d'activité 1984 », LaDocumentation française, p. 65.
(22) René Carmille fut également le créateur sousl'occupation du service national des statistiques(Sns), qui deviendra l'Insee en 1946. Il est morten déportation à Dachau en 1944.
(23) Si le premier chiffre composant le Nir ne sertaujourd'hui qu'à déterminer le sexe de la personneconcernée, à l'origine il pouvait prendreles valeurs « 1 » ou « 2 » pour masculin et féminin,mais aussi, « 3 » ou « 4 » pour les indigènes descolonies de confession musulmane, « 5 » ou « 6 »pour les juifs indigènes, « 7 » ou « 8 » pour lesétrangers et « 9 » pour les statuts mal définis.
(24) Sur les dangers de l'utilisation du numéro desécurité sociale, voir J. Frayssinet, « Utiliser lenuméro de Sécurité sociale peut limiter nos libertés», chronique dans Ouest-France, 6-7 février1999.
(25) Par exemple, le numéro « 1 76 06 60 612 06936 » identifie une personne de sexe masculin (1),née en 1976 (76) au mois de juin (06) dans ledépartement de l'Oise (60) à Senlis (code commune: 612) avec le numéro d'ordre Insee 069, lechiffre 36 étant la clé de contrôle du Nir.
(26) « L'un des premiers traitements qu'elle [laCnil] eut à examiner, dénommé « Gamin », avaitpour objet de permettre, sur la base des informationsde nature médicale et sociale recueillies àpartir des certificats de santé établis dans le cadrede la protection maternelle et infantile, la sélectionautomatique des enfants devant faire l'objetd'une surveillance médico-sociale particulière. »M. G entot, « La protection des données personnellesà la croisée des chemins », in La protection dela vie privée dans la société de l'information, sousla direction de P. Tabatoni, Cahier des sciencesmorales et politiques, T. III., Puf, 2002, p. 25.
(27) « Est dénommé traitement automatisé d'informationsnominatives au sens de la présenteloi tout ensemble d'opérations réalisées par lesmoyens automatiques ( ) et notamment les interconnexionsou rapprochements ( ) d'informationsnominatives. »
(28) Cnil, « 5e rapport d'activité 1984 », précité,p. 66.
(29) Pour plus de détails, voir Cnil, « 10e rapportd'activité 1989 », La Documentation française,1990 p. 18 et 19.
(30) Délibération n° 96-061 du 9 juillet 1996 relativeà un projet de décret relatif à l'autorisationd'utilisation du numéro d'inscription au répertoirenational des identifiants des personnes physiqueset à l'institution d'un répertoire national interrégimesdes bénéficiaires de l'assurance maladie.
(31) Ibidem.
(32) Pour plus d'informations sur le Nir et la doctrinede la Cnil, voir Cnil, « 20e Rapport d'activité 1999 », La Documentation française, p. 61 à 98,« Le Nir, un identifiant pas comme les autres ».
(33) Cnil, « Les libertés et l'informatique, vingt délibérationscommentées », La Documentation française,1998, p. 167.
(34) La Commission le constatait déjà dans son 7erapport d'activité pour 1986, La Documentationfrançaise : « Le Nir se diffuse en effet, selon desfilières qui partent toutes de la sécurité sociale etcontaminent progressivement tout le champ desrapports entre les employeurs et les salariés d'unepart, et celui de la santé d'autre part. En partantdu secteur de la protection sociale qui a été étendueà des catégories de travailleurs de plus enplus nombreuses et pour gagner finalement toutela population (cotisations des employeurs), le Nirest employé pour la gestion de la paie (normesimplifiée), les traitements concernant les avantagessociaux annexes accordés par les employeurs(restaurant d'entreprise) puis de fil en aiguille, lagestion des carrières, de la formation permanente,des horaires, puis les activités du service médicaldes entreprises, des comités d'entreprises. De lasécurité sociale au sens strict, on glisse à la gestiondes malades dans les hôpitaux (admissions),aux traitements de recherche épidémiologique, àla gestion des laboratoires d'analyse, à la gestiondes pharmacies (tiers payant). Dans tous ces secteurs,il est peu probable que l'on puisse raisonnablementempêcher le Nir de se généraliser. ».
(35) Pour une illustration jurisprudentielle relativeau fichier « base élève du 1er degré » voir,CE, 19 juillet 2010, M. F. et Mme C., n° 317182,323441.
(36) L. n° 98-1266, 30 déc. 1998, JO 31 déc.,p. 20079 ; voir aussi Cnil, « 19e rapport d'activité 1998 », La Documentation française, p. 40.
(37) En ce sens voir, L. Costes, « La clandestineinterconnexion des fichiers fiscaux et sociaux parle Nir », Bull. Lamy, déc. 1998 (H), p. 5.
(39) Loi n° 2006-1640, 21 décembre 2006 definancement de la sécurité sociale pour 2007, JOn° 296, 22 déc. 2006, p. 19315.
(40) Pour une étude détaillée de la procédure législativeet de la mise à l'écart de la Cnil voir, B. Tabaka,« Fichier centralisé des allocataires sociaux : quel rôlepour la Cnil ? », 9 août 2011 accessible sur le blog del'auteur : http://tabaka.blogspot.com/2011/08/fichiercentralise-des-allocataires.html.
(41) Décret n° 2009-1577 du 16 décembre 2009 relatifau Répertoire national commun de la protectionsociale, JO n° 293, 18 décembre 2009, p. 21848.
(42) Délibération n° 2009-211, 30 avril 2009 portantavis sur un projet de décret en Conseil d'Étatrelatif au Répertoire National Commun de laProtection Sociale (Rncps).
(43) « Mariani : Contre la fraude, il faut un fichierdes allocataires sociaux », précité.
(44) « Xavier Bertrand annonce la création d'unfichier des allocataires sociaux avant fin 2011 »,Le Monde 7 août 2011.
(45) Ministère du budget, des comptes publics,de la fonction public et de la réforme de l'État,délégation nationale à la lutte contre la fraude,« Lutte contre la fraude bilan 2010 », mai 2011.Disponible sur le site du ministère http://www2.budget.gouv.fr/directions_services/dnlf/bilandnlf-2010.pdf.
(46) À cet égard voir le communiqué de la Liguedes droits de l'Homme Toulon, « La fraudesociale, la Cnil et le répertoire national Rncps »,9 sept. 2011. http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4616.
(47) Division des Études de législation comparée,« L'interconnexion des fichiers administratifs »,Sénat, Doc. trav. n° LC 59, juin 1999.