L'usage de la marque «dans la vie des affaires» est un élément constitutif de la contrefaçon dont l'importance trouve sa source dans la fonction économique de la marque. Il faut attendre cependant le processus d'harmonisation communautaire pour que cette condition commence à être réellement prise en considération par la doctrine et par la jurisprudence comme une condition de la contrefaçon des marques. La jurisprudence reste néanmoins difficile à synthétiser et procède schématiquement de l'idée selon laquelle l'exercice du droit du titulaire est réservé aux situations dans lesquelles une atteinte est susceptible d'être portée aux fonctions de la marque. Dès lors que la marque se borne à distinguer des produits et services sur un marché, il faut bien admettre que ses fonctions ne seront altérées que si elle est utilisée dans ce cadre. Cette nouvelle condition apporte un principe de limitation du droit de marque appréciable pour résoudre certains types de difficultés notamment lorsque l'exercice de l'action en contrefaçon se heurte au principe de territorialité du droit privatif ou au principe de la liberté d'expression. Sa mise en oeuvre n'en demeure pas mois délicate. La réalité de l'usage dans la vie des affaires pourra faire débat.
Parmi les importantes évolutions du droit des marques ces dernières années, la reconnaissance de la condition d'usage du signe «dans la vie des affaires» en tant qu'élément constitutif de la contrefaçon est loin d'être la plus anodine.On sait que les textes communautaires définissent les droits conférés par la marque en recourant à cette notion traditionnellement inconnue du droit français. L'article 5 de la directive 89/104/CE du Conseil, du 21 décembre 1988 rapprochant les ...
Julien CANLORBE
Docteur en droit Avocat au Barreau de Paris
1er avril 2010 - Légicom N°44
5163 mots
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(2) Remplacée par la directive 2008/95/CE du22 octobre 2008 (ci-après «la directive»).
(3) La même exigence figure à l'article 9 du Règlement40/94/CE du 20 déc. 1993 sur la marquecommunautaire devenu Règlement 207/2009/CEdu 26 févr. 2009 (RMC).
(4) À propos de l'incidence de l'ADPIC sur l'interprétationde la directive et du RMC, v. J. Passa,Traité de droit de la propriété industrielle, vol. 1,t. 1, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 69.
(5) J.-J. Burst, Cah. dr. ent. 1991, n° 3, p. 18 J. Foyer, ALD 1991, p. 57 P. Mathély, Ann.propr. ind. 1988, p. 47.
(6) Par exemple, Cass. req., 2 février 1910: D.P.1911, 1, p. 364 CA Paris, 27 mai 1921: Ann.propr. ind. 1921, p. 232 T. civ. Seine, 20 février1920: Ann. propr. ind. 1922, p. 117 Cass. crim.,23 janvier 1984: D. 1985, IR, p. 84.
(7) P. Mathély, Le droit français des signes distinctifs,JNA, 1984, p. 623 et p. 655.
(8) Cass. civ., 2 juillet 1931: Ann. propr. ind. 1932,p. 33 Cass. com., 12 juin 1956: JCP éd. G 1956,II, 9484, A. Chavanne Cass. com., 29 octobre1975: JCP éd. G 1977, II, 18616, A. Françon.V. aussi, Cass. com., 23 novembre 1993: PIBD1994, n° 561, III, p. 115, affirmant que «lacontrefaçon résulte de la reproduction des élémentscaractéristiques d'un signe protégé au titrede la marque, quelle que soit l'utilisation qui enest faite».
(9) E. Baud, «Réflexions sur la notion d'usage dusigne dans l'acquisition et dans la conservation dudroit sur la marque communautaire », Propr.indust. 2006/3, Et. 10, n° 4: «La notion d'usagedans la vie des affaires constitue une notion pivotet essentielle qui a vocation à gouverner l'intégralitédu droit national et communautaire desmarques». V. aussi, J. Monteiro et V. Ruzek,«L'usage du signe à des fins autres que celle dedistinguer les produits ou services d'un opérateuréconomique», Propr. indust. 2007/4, Et. 9 J. Passa, «Les conditions générales d'une atteinteau droit sur une marque», Propr. indust. 2005/2,Et. 2, n° 5 à 10 Y. Reboul, «L'usage non contrefaisantde la marque d'autrui»: Mélanges GertKolle et Dieter Stauder, Carl Heymanns Verlag,2005, p. 515.
(10) Par exemple, TGI Paris, 18 décembre 2009, RGn° 09/00540 CA Paris, 14 octobre 2009: PIBD2009, n° 908, III, p. 1543 CA Paris,16 novembre 2005: Légipresse 2006, n° 231, III,p. 86, E. Baud et S. Colombet CA Paris, 1er juin2005: PIBD 2005, n° 816, III, p. 587 CA Versailles,7 avril 2005: Propr. indust. 2005/11,Comm. 85, P. Tréfigny TGI Paris, 7 janvier2005: RLDI 2005/2, n° 54, L. Costes.
(11) Sur cette question, v. J. Canlorbe, L'usage dela marque d'autrui, préf. G. Bonet, Litec - IRPI,2008.
(12) M. Vivant, «Touche pas à mon filtre! Droit demarque et liberté de création: de l'absolu et durelatif dans les droits de propriété intellectuelle»,JCP éd. E 1993, I, 251.
(13) J. Passa, «Les conditions générales d'uneatteinte au droit sur une marque», précit., n° 6.
(14) Cons. 9 de la directive CJCE, 12 novembre2002, aff. C-206/01, Arsenal, point 43.
(15) Sur cette difficulté: J. Passa, op. cit., n° 261,265 et 284.
(16) J. Passa, «Les conditions générales d'uneatteinte au droit sur une marque», précit.
(17) CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal,précit., point 40 CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-48/05, Opel, point 18 CJCE, ord., 19 févr. 2009,aff. C-62/08, UDV, point 44.
(18) J. Canlorbe, op. cit., n° 220 et s.
(19) Accueillant une action en contrefaçon contreune association, v. par exemple, CA Paris,31 octobre 2001; Ann. propr. ind. 2002, p. 27.
(20) La Cour d'appel de Paris s'est laissée prendreà ce piège en décidant que «l'usage dans la viedes affaires, qui renvoie à l'univers économique,suppose l'existence d'un lien avec un client»: CAParis, 1er juin 2005, précit. Cette interprétationn'a pas été consacrée par la Cour de cassation qui,tout en rejetant le pourvoi contre cet arrêt, s'estprononcée par une substitution de motifs sur cepoint: Cass. com., 10 juillet 2007: D. 2007,p. 2112, J. Daleau.
(21) Comme le relève Madame Durrande au sujetdu dépôt d'une demande d'enregistrement, unetelle demande «vise en effet à procurer au déposantun avantage économique en lui réservantl'exclusivité du signe objet du dépôt pour identifierles produits ou les services qu'il a désignés»:J-Cl Marques, fasc. 7511, n° 3. Pour une autreapproche, v. C. de Haas, «Le non-sens d'unemarque sans usage ou le vice fondamental dudroit des marques français et européen», Propr.indust. 2010/1, Et. 1, spéc. n° 25.
(22) CJCE, 12 novembre 2002, aff. C-206/01, Arsenal,précit., point 51 V. toutefois, CJCE, ord.,20 mars 2007, aff. C-325/06 P, Galileo.
(23) Notamment pour détention (TGI Paris, 3 mars1992: PIBD 1992, n° 526, III, p. 401) ou pourimportation (CA Paris, 18 octobre 2006: PIBD2007, n° 843, III, p. 26 Cass. crim., 30 mars1994: Bull. crim. n° 12) de marchandises illicitementrevêtues d'une marque.
(24) CA Paris, 30 avril 2003: RIPIA 2003, n° 212,p. 7. Sur cette affaire, v. not. V.-L. Bénabou,«Liberté d'expression et droit des marques, lajurisprudence dans tous ses états»: Propr. intell.2003, n° 8, p. 322 B. Edelman, «L'exception deparodie appliquée au droit des marques»: Légicom2001/2, n° 25, p. 97.
(25) CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L'Oréal,point 58. Dans un ordre d'idées comparable,v. aussi, CJCE, 23 avril 2009, aff. C-59/08, Dior,CJCE, 4 novembre 1997, aff. C-337/95, Dior.
(26) Concl. Av. gén. D. Ruiz-Jarabo Colomer surCJCE, 12 novembre 2002, aff. C-206/01, Arsenal,point 62.
(27) Assez souvent, les juges du fond prennentsoin de relever que l'usage est accompli dans lavie des affaires, sans toujours s'expliquer sur lesraisons de cette appréciation: par exemple, CAParis, 14 oct. 2009, précit. À propos de l'usaged'une marque par un intermédiaire commercialdans des documents d'affaires, v. CJCE, ord.,19 février 2009, aff. C-62/08, UDV North America,précit., point 46: la Cour de justice considèrequ'un tel usage s'apparente à un usage dans la viedes affaires, peu important qu'il n'ait pas étéeffectué pour accompagner la vente des propresproduits de cet intermédiaire.
(28) CPI, art. L. 716-7, al. 1er.
(29) Sur les rapports entre l'exigence d'un usagedu signe dans la vie des affaires et les solutionsjurisprudentielles relatives au transit de marchandisesrevêtues d'une marque, v. J. Canlorbe, op.cit., n° 263 à 278.
(30) Cass. com., 11 janvier 2005: LP 2005, n° 221,III, p. 77, J. Passa Cass. com., 10 juill. 2007,précit.
(31) En ce sens, X. Buffet-Delmas, Propr. intell.2005, n° 15, p. 203 G. Teissonière, RLDI 2005/4,n° 109.
(32) Par exemple, TGI Paris, 7 janvier 2005, précit.
(33) CA Paris, 1er juin 2005, précit. Cass. com.,10 juillet 2007, précit.
(34) TGI Paris, 7 janvier 2005, précit. TGI Paris,28 mars 2003: JCP éd. E 2003, 1554, A. Singh.
(35) Par exemple, CA Paris, 1er juin 2005, précit.
(36) CA Paris, 27 septembre 2006: D. 2007,p. 500, C. Manara TGI Paris, 28 janvier 2005:PIBD 2005, n° 808, III, p. 292.
(37) A. Bouvel, RLDC 2005/3, n° 234.
(38) Par exemple, CA Paris, 25 juillet 1986: Ann.propr. ind. 1986, p. 242 Cass. com., 21 février1995: Légipresse 1995, n° 121, III, p. 69 TGIParis, 21 mars 2000: CCE, 2000/8, Comm. 88,C. Caron En contrepoint, quelques décisionsavaient toutefois considéré que l'action en contrefaçondoit être écartée lorsque l'usage est effectuédans un contexte étranger à la compétition économique:CA Riom, 15 septembre 1994: D. 1995,p. 429, B. Edelman TGI Paris, 22 février 1995:PIBD 1995, n° 587, III, p. 257.
(39) M. Vivant, «Touche pas à mon filtre! Droit demarque et liberté de création: de l'absolu et durelatif dans les droits de propriété intellectuelle»,précit. B. Edelman, «L'exception de parodieappliquée au droit des marques», précit.
(40) Cass. civ. 1re, 8 avril 2008 et Cass. com., 8 avr.2008 : Légipresse 2008, n° 253, III, p. 123,J. Canlorbe Cass. 2e civ., 19 octobre 2006: JCPéd. G 2006, II, 10195, F. Pollaud-Dulian.
(41) CA Paris, 16 novembre 2005, précit. CAParis, 17 novembre 2006: Propr. indust. 2007/1,Comm. 6, P. Tréfigny.
(42) La Cour d'appel de Paris a ainsi sanctionné ledéposant de la marque «Ça lèche» pour des produitsde parfumerie en relevant que le fait qu'ils'agisse d'une «marque de dérision» n'est pas denature à écarter la contrefaçon du célèbre Calèchede Hermès: CA Paris, 21 novembre 1989: PIBD1990, n° 481, III, p. 422. V. aussi, TGI Nanterre,4 novembre 2002: Propr. indust. 2003/5, Comm.40, P. Tréfigny CA Paris, 9 septembre 1998:D. aff. 1998, p. 1960 TGI Paris, 5 juillet 1988:PIBD 1989, n° 450, III, p. 118.
(43) CA Paris, 31 janvier 2003: Gaz. Pal. 28-29avr. 2004, p. 32: «Le texte qui accompagne lapromotion d'autres produits provenant de lasociété Guigal n'a pas pour seul but l'informationdu public mais également un but publicitaire [ ].En conséquence, la société Cora ne pouvait citerle nom de produits correspondant à des marquessans l'autorisation préalable de son titulaire».
(44) TGI Paris, 22 février 1995, précit.
(45) CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L'Oréal,précit. Pour une application, v. TGI Strasbourg,4 juin 1997: PIBD 1997, n° 638, III, p. 472: dansune affaire où il était reproché à des agences detourisme d'avoir fait paraître des annonces publicitairespour promouvoir l'organisation d'unevisite des usines d'un célèbre fabricant de prêt-àporter,dont les marques étaient citées sans autorisation,le TGI de Strasbourg a constaté l'usage illicitede marque en relevant qu'«en organisant,moyennant finances, des voyages en attirant laclientèle par l'utilisation desdites marques, cesdeux sociétés en ont fait un usage dans le seul butde profiter, à des fins commerciales propres, deleur notorié pour en tirer un bénéfice commercial».