L'ESSENTIEL La contraventionnalisation du téléchargement illégal, remise en cause par la censure du Conseil constitutionnel, aurait permis une répression moins sévère mais plus efficace. Elle présentait l'avantage d'élargir la répression par la possibilité de cumul des condamnations, de permettre la rapidité des décisions et la souplesse de la procédure. Néanmoins, l'existence de mesures techniques de protection et, peut-être, de l'émergence d'une responsabilité individuelle des internautes, devrait conduire à une diminution de la contrefaçon sur internet. La question de savoir si la copie privée constitue un droit ou une exception apparaît théorique. Mais force est de constater que la définition de la copie privée est interpellée du point de vue de sa portée, de sa nature et de sa teneur au regard de la réalité et de la diversité des usages. Il s'agit avant tout de savoir comment articuler la prérogative de copie privée avec le droit exclusif des auteurs, ainsi qu'avec la possibilité reconnue aux titulaires de droits d'apposer des mesures techniques de protection sur les oeuvres pour empêcher les utilisations non autorisées. Or, la loi n'a pas vraiment tranché cette question, ni articulé ces deux prérogatives antagonistes. Elle s'est déportée sur l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection, garante de l'exercice effectif de ces exceptions et chargée notamment de fixer le nombre de copies autorisées en fonction du type de support. L'Autorité sera conduite à jouer un rôle très important, juridictionnel, si elle est saisie en cas de différend, et certainement réglementaire. Elle devra assumer le rôle essentiel de conciliation des intérêts opposés des ayants droit des oeuvres protégées et des copistes privés. La coexistence des mesures techniques de protection et de la copie privée implique la recherche d'un nouvel équilibre qui, pour l'heure, demeure incertain. La loi pose les questions des nouvelles relations entre ayants droit, exploitants de services, consommateurs, et de l'avenir de la rémunération pour copie privée. Enfin, l'application du test en trois étapes conduira nécessairement à un véritable renouvellement des pouvoirs du juge.
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
1er juillet 2007 - Légicom N°39
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(2) G. Vermelle, L'immatériel et la répression, Apd,t. 43 (1999), p. 213.
(3) V. par ex. P. Sirinelli, Droit d'auteur et droitsvoisins, PI juill. 2006, no 20, p. 297.
(4) V. par ex. la description faite par TGI Bayonne,ch. corr., 15 nov. 2005, JCP E 2006, 1977,p. 1109, note A. Singh; PI avril 2006, p. 178, obs.A. Lucas.
(5) «Ces réseaux pair à pair constituent, entre desordinateurs connectés à l'internet, un système detransmission et de partage de fichiers ainsi qu'unsystème de mutualisation des puissances de traitementet des capacités de stockage»: M. Thiollière,Rapport, doc. S. no 308, 12 avril 2006, p. 41.
(6) V. aussi : J. Francillon, Piratage numérique, Rsc2006/1, p. 93 et suiv.
(7) Admise par certains juges du fond, cetteseconde hypothèse est néanmoins contestable carla communication effective de l'oeuvre supposeun acte supplémentaire, provoqué par celui quiveut en prendre connaissance. V. G. Quéruel,note au LP no 224-III, sept. 2005, p. 159. A.Singh, Réseaux P2P: essai de qualification juridiquede l'acte de téléchargement en émission,RLDI no 10, nov. 2005, p. 41.
(8) Rappelons au besoin que le Traité de l'OMPI surle droit d'auteur, adopté à Genève, le20 décembre 1996, dispose en son article 8 que:«[ ] les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiquesjouissent du droit exclusif d'autoriser toutecommunication au public de leurs oeuvres par filou sans fil, y compris la mise à la disposition dupublic de leurs oeuvres de manière que chacunpuisse y avoir accès de l'endroit et au momentqu'il choisit de manière individualisée ». Définitionreprise en termes équivalents à l'article 3 dela directive no 2001/29 du 22 mai 2001. La dualitédes droits de reproduction et représentation, « à lafrançaise», semble bien dépassée.
(9) V. par ex. P. Sirinelli et M. Vivant, Arrêt deMontpellier du 10 mars 2005: ce n'est pas le Peyrou!RLDI no 5, mai 2005, p. 8. V. A. Singh et Th.Debiesse, Réseaux P2P: pertinence et définitionde la source licite, RLDI no 18, juill. 2006, p. 77. ces derniers écartent l'argument tiré de la contrefaçonà raison de la difficulté à connaître l'illicéitéde la source de la copie, mais admettent la sanctiondu recel qui suppose pourtant qu'une tellepreuve soit rapportée!
(10) La philosophie des «échangeurs» serait « toutcopier, tout télécharger, jamais rien payer» selonun commentateur: J.-E. Schoettl, La propriétéintellectuelle est-elle constitutionnellementsoluble dans l'univers numérique?, LPA, 15-16août 2006, no 162, p. 7.
(11) JCP G, II, 2006, 10124, note Ch. Caron; D.2006, p. 2676, note E. Dreyer.
(12) V. également: CA Paris, 13e ch., 20 sept. 2005,CCE 2006, comm. no 23, obs. Ch. Caron.
(13) V. toutefois les réserves émises, sur la pertinenceéconomique de cette solution, par: A. Bensamoun,Libres propos en marge de l'arrêt de lachambre criminelle du 30 mai 2006, RLDI no 18,juill. 2006, p. 83.
(14) Chiffre relayé par G. Kessler, note au: D.2005, p. 1294.
(15) M. Thiollière, Rapport, doc. S. no 308, 12 avril2006, p. 42.
(16) V. par ex. TGI Meaux, 3e ch. corr., 21 avril 2005,CCE 2005, comm. no 111, obs. Ch. Caron. TGIArras, ch. corr., 20 juill. 2004, CCE 2004, comm.no 139, obs. Ch. Caron. TGI Vannes, ch. corr.,29 avril 2004, CCE 2004, comm. no 86, obs. Ch.Caron; PI juill. 2004, no 12, p. 779, obs. P. Sirinelli.
(17) TGI Rodez, ch. corr., 13 oct. 2004, D. 2004,p. 3132, note J. Larrieu ; CCE 2004, comm. no 152,obs. Ch. Caron; PI janv. 2005, no 14, p. 56, obs.P. Sirinelli. CA Montpellier, 10 mars 2005, D.2005, p. 1294, note G. Kessler; CCE 2005, comm.no 77, obs. Ch. Caron; PI avril 2005, no 15,p. 168, obs. P. Sirinelli.
(18) V. évoquant la nécessité de faire «une applicationtrès modérée de la loi pénale»: TGI Pontoise,6e ch. corr., 2 fév. 2005, D. 2005, p. 1435, note B.Legros; CCE 2005, comm. no 35, obs. Ch. Caron;PI avril 2005, no 15, p. 168, obs. P. Sirinelli.
(19) V. soutenant que «ce droit pénal de la contrefaçon a eu comme effet pervers assez dramatiquede créer une détestation du droit d'auteurqu'on assimile à un droit liberticide, répressif, quimettrait des oeuvres de l'esprit dans un coffre-fortjuridique»: Ch. Caron, Droit pénal de la contrefaçon,CCE 2006, entretien no 1, p. 7.
(20) V. défendant et contestant ce mécanisme:I. Ganev, Conférence de presse de l'AlliancePublic-Artistes du 3 juin 2005, RLDI no 6, juin2005, p. 69-72. M. Coulaud, Droit d'auteur ettéléchargement de fichiers ou le désaccord parfait?, RLDI no 12, janv. 2006, pp. 47-50.
(21) V.-L. Benabou, Patatras! À propos de la décisiondu Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006,PI juill. 2006, no 20, p. 241.
(22) V. pour une analyse complète de l'arrêt: J.-E.Schoettl, La propriété intellectuelle est-elleconstitutionnellement soluble dans l'universnumérique?, LPA no 161, 14 août 2006, p. 4-22 et15-16, août 2006, no 162, pp. 3-15.
(23) V.-L. Benabou, Patatras! préc., p. 241. V. aussi, se réjouissant de l'échec du projet sur cepoint: Ch. Caron, La loi du 1er août 2006 relativeau droit d'auteur, JCP G 2006, I, 169, p. 1751.
(24) V. soulignant le danger présenté par le «flou»actuel dans l'opinion publique: G. Kessler, noteau: D. 2005, p. 1296.
(25) Formules de W. Capeller, Un net pas très net,réflexions sur la criminalité virtuelle, APD t. 43(1999), p. 173.
(26) Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF 2004,p. 247, no 268. V. aussi: J.-H. Robert, Droitpénal général, PUF, 2005, p. 93.
(27) V. évoquant la tribune de D. Barella, présidentde l'Union syndicale des magistrats, dans l'éditionde Libération du 14 mars 2005: Ch. Vanneste,Rapport, doc. AN no 2349, 7 juin 2005, p. 26.
(28) L. Thoumyre, Loi DADVSI: éclipse et scintillementsau Conseil constitutionnel, LP no 234-I,sept. 2006, p. 130.
(29) J. Toubon, Introduction aux enjeux de la pénalisationde la vie économique, dans Les Enjeux dela pénalisation de la vie économique, dir. M.-A.Frison-Roche, Dalloz, 1997, p. 4.
(30) G. Levasseur, Le nouveau régime des contraventions,D. 1959, chron., p. 121.
(31) V. not. M. Thiollière, Rapport, doc. S. no 308,12 avril 2006, p. 191.
(32) V. TGI Paris, 31e ch., 8 déc. 2005, D. 2006, p. 933, note C. Castets-Renard.
(33) V. les inquiétudes de L. Thoumyre: P2P: un«audiopathe» partageur relaxé pour bonne foi,RLDI no 16, mai 2006, p. 26.
(34) V. par ex. Ch. Caron, Droit pénal de la contrefaçon,préc., p. 7. Admettant au contraire l'idée:P.-Y. Gautier, Le droit d'auteur en général et lacopie privée en particulier, interview, D. 2006,p. 2157.
(35) «Ils ont contribué pour beaucoup au coursdes récentes années, à l'engouement pour internet,et constituent un des principaux facteurs deson développement»: M. Thiollière, Rapport, doc.S. no 308, 12 avril 2006, p. 41.
(36) V. G.-B. Ramellon, Napster et la musique enligne, dans Droit d'auteur et numérique, Rev.Réseaux, Hermès éd., 2002, p. 148, qui évoque les«émules» de Napster et indique: «Quasimenttous les systèmes cités ont adopté une architectureP2P, décrétant ainsi le succès total de l'architectured'échange non hiérarchique sur le web. À lapréférence des utilisateurs s'ajoute la naturemême de l'internet qui, en tant que tel, rend propicecette structure.»
(37) J. Vincent, La loi du 30 juin 2006: une loiéphémère et virtuelle?, RLDI no 18, juill. 2006,p. 58.
(38) J.-E. Schoettl, La propriété intellectuelle estellesoluble , no 162, préc., p. 6.
(39) G. Kessler, Le peer to peer dans la loi du1er août 2006, D. 2006, chron. p. 2168.
(40) M. Thiollière, Rapport, doc. S. no 308,12 avril 2006, p. 188.
(41) V. cependant: J.-E. Schoettl, La propriété intellectuelleest-elle soluble , no 162, préc., p. 3.
(42) Sans parler du fait que bon nombre de délinquantssur les réseaux de pair à pair sont mineurs.Or, les peines, sanctions et mesures éducativesprévues contre eux par l'ordonnance du 2 février1945 auraient encore contrarié la prétendue sévéritéde la matière correctionnelle. Au contraire, eton peut le déplorer, les dispositions de cetteordonnance ne sont pas applicables aux mineursqui commettent les contraventions des deux premièresclasses (ord. 2 fév. 1945, art. 1, al. 2. CPP, art. 524, 2o). La vraie sévérité aurait été deles leur appliquer !
(43) V. les doutes finalement exprimés par V.-L.Benabou, Patatras! préc., p. 241.
(44) G. Kessler, note au : D. 2005, p. 1295.44.V. par ex. le numéro spécial de la revue Réseaux:Droit d'auteur et numérique, Hermès éd., 2002.
(46) Et pour cause: l'industrie de la musique devra seréorganiser et limiter le nombre des intermédiairesdans la gestion des droits (V. par ex. Recommandationde la Commission européenne sur la gestion desdroits en ligne des oeuvres musicales, du 18 oct.2005, no 2005/737/CE, LP no 226-IV, nov. 2005,p. 61), afin de proposer des offres attrayantes.
(47) Il y a peu, le constat suivant avait été dressé:«Face aux difficultés, l'attitude du monde de la productiona été en partie défensive, dans l'espoir defiger le scénario qui lui est favorable, et en partieoffensive, dans l'espoir d'acquérir de nouveaux privilègeset de nouvelles rentes à partir des nouvelleslois» (G.-B. Ramellon, Napster et la musique enligne, préc., p. 150). La loi du 1er août 2006 a fourniaux producteurs les moyens qu'ils attendaient. Il fautespérer que, maintenant, le marché va s'organiser.
(48) V. aussi, T. Moreau, P2P: vers une révolutionjuridique?, LP no 227-I, déc. 2005, p. 186.
(49) J. Huet, Pour une réforme équilibrée du droitd'auteur (ou comment concilier mesures techniquesde protection et P2P), CCE mars 2006, p. 2-3.
(50) Une charte a été signée en ce sens, le 28 juillet2004, qui devrait conduire à la généralisation desmesures de filtrage du peer to peer «via des solutionssur le terminal du client»: CSPLA, avisno 2005-2 sur la distribution des oeuvres en ligne,LP no 228-IV, janv. 2006, p. 8.
(51) V. le rappel fait par P. Sirinelli, L'évolutionjuridique du droit d'auteur, dans Droit d'auteur etnumérique, Rev. Réseaux, Hermès éd., 2002, p. 43.
(52) C. Bernault, La tentation d'une régulation techniquedu droit d'auteur, RLDI no 15, avril 2005, p. 58.
(53) V. parlant de « quasi-contrefaçon » : Ch.Caron, La loi du 1er août 2006 relative au droitd'auteur, préc., p. 1751.
(54) V. E. Papin, Le droit d'auteur face au peer topeer, LP no 199-II, mars 2003, p. 30.
(55) V. aussi les objections de J. Farchy, Le droitd'auteur est-il soluble dans l'économie numérique?,dans Droit d'auteur et numérique, Rev.Réseaux, Hermès éd., 2002, p. 36.
(56) V. cependant J. Francillon, Piratage numérique,préc., p. 99 et suiv.
(57) V. aussi: G. Kessler, Le peer to peer dans laloi du 1er août 2006, préc., p. 2169.
(58) V. F. Sardain, Du déplombage aux logicielspeer to peer: l'histoire sans fin ?, D. 2004, p. 331.
(59) V. évoquant des «éditeurs de logiciels dont lemodèle économique est fondé sur l'incitation à lacontrefaçon»: P. Sirinelli, Droit d'auteur et droitsvoisins, préc., p. 334.
(60) Idem, p. 339.
(61) Logiciels «open source» évoqués par: G.Kessler, Le peer to peer dans la loi du 1er août2006, préc., p. 2169.
(62) V. l'objection de J. Vincent, La loi du 30 juin2006, préc., p. 57.
(63) G.-B. Ramellon, Napster et la musique enligne, préc., p. 148.
(64) E. Papin, Le droit d'auteur face au peer to peer,préc., p. 29.
(65) P. Sirinelli, L'évolution juridique du droitd'auteur, préc., p. 57. qui ajoute: «Il ne fautcertes pas accabler les différents prestatairesmais il convient de garder présente à l'espritl'idée que, avec les réseaux, les pertes subies parles ayants droit peuvent être colossales enquelques heures. La carrière d'une oeuvre (ou laréputation d'une personne) peut être ruinée en unjour. Eu égard à ces enjeux, on ne voit pas pourquoicertaines personnes seraient moins responsablesdans l'univers numérique que dans lemonde analogique.»
(66) P.-Y. Gautier, Le droit d'auteur en général et lacopie privée en particulier, préc., p. 2157.
(67) Ch. Caron, Droit pénal de la contrefaçon,préc., p. 7.
(68) G.-B. Ramellon, Napster et la musique enligne, préc., p. 148.
(69) Comp. E. Dreyer, La protection des mineursaccédant à l'internet: adopter la loi française commemodèle?, RTDH, avril 2003, no 54, pp. 581-625.
(70) V. P. Sirinelli, Droit d'auteur et droits voisins,préc., p. 300.
(71) V. E. Dreyer, La responsabilité des internauteset éditeurs de sites à l'aune de la loi pour laconfiance dans l'économie numérique, LP no 214-II, sept. 2004, pp. 91-99.
(72) Cité par: G. Kessler, Le peer to peer dans laloi du 1er août 2006, préc., p. 2168.
(73) V. cependant V.-L. Benabou, Patatras! préc.,p. 241.
(74) V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel Droit pénal général, Cujas, 1997, 7e éd., p. 527,no 405.
(75) V. G. Vermelle, L'immatériel et la répression,préc., p. 217 qui, après avoir relevé que: «leréseau banalise et multilatéralise le phénomènede diffusion», constate que «la conscience decommettre une infraction ou de la tenter est diffuse» et que «la criminalité devient un jeu».
(76) En l'état, la circonstance aggravante généraleprévue à l'article 132-79 du Code pénal, qui supposequ'un moyen de cryptologie ait été utilisépour préparer, faciliter ou commettre un crime ouun délit, n'est pas applicable, faute de peine privativede liberté encourue.
(77) Rappelons que cette convention à laquelle43 États sont parties, dont l'Afrique du Sud, leCanada, le Japon et les États-Unis, a été ratifiéeou approuvée par 14 d'entre eux. En France, uneloi no 2005-493, du 19 mai 2005, a autorisé sonapprobation et celle de son protocole additionnelrelatif à l'incrimination des actes de nature racistecommis par le biais de systèmes informatiques.Deux décrets du 23 mai 2006 ont permis sonentrée en vigueur.