Quinze ans après l'édiction de la loi dite Evin, le bilan juridique en matière de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme n'est pas nécessairement des plus convaincants. Les intentions du législateur ne sont pas très claires et ne se retrouvent pas dans le texte de la loi, tandis que les intentions des tribunaux sont extrêmement claires, mais très au-delà des textes qui devraient être appliqués. Et le droit communautaire, renvoyant au droit national, n'apporte guère plus de clarté. À cela vient s'ajouter la notion de caractère incitatif que l'on retrouve très fréquemment dans l'appréciation de la conformité des visuels publicitaires alcool aux termes de l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Or, ledit article ne vise nullement le caractère incitatif comme un élément du délit et refuser à la publicité commerciale un quelconque caractère incitatif est, de fait, lui nier toute existence. À ces incertitudes conceptuelles jurisprudentielles s'ajoutent des incertitudes législatives. La loi no 94-679 du 8 août 1994, et la loi no 2005-157 du 23 février 2005 en sont des illustrations probantes. Un tel constat ne peut qu'inviter à comprendre les ressorts de ces glissements conceptuels.
« J'aime mes paysans: ils ne sont pas suffisamment instruits pour penser faux.»Tel est le propos que l'on prête à l'auteur de L'Esprit des lois, Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, sur les terres duquel on produit encore un délicat vin blanc.Quinze ans après l'édiction de la loi dite Evin, du nom du ministre de la Santé de l'époque, le bilan juridique en matière de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme n'est pas nécessairement des plus convaincants et ...
Eric ANDRIEU
Avocat au Barreau de Paris
1er juin 2007 - Légicom N°38
5087 mots
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(2) J.-H. Robert, «Cachez ce vin que je ne sauraisboire», Dr. pén., mars 1991, chron. p. 2-6: pourqui l'interdiction n'est pas la censure.
(3) D. Boyer, «La réforme de la publicité pour lesalcools: Un grand débat pour un résultat minime»,Contrats, conc. consom., 2005, étude 6.
(4) L'article L. 3323-2 du Code de la santépublique dispose «la propagande ou la publicité,directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliquesdont la fabrication et la vente ne sont pasinterdites sont autorisées exclusivement» (suit laliste des supports autorisés) tandis que l'articleL. 3323-4 énonce: «La publicité autorisée pourles boissons alcooliques est limitée » (suit laliste des mentions autorisées).
(5) Cass. crim., 3 novembre 2004, P. Dupuy, StéHachette Filipacchi Presse Automobile, no 04-81.123, Bull., Légipresse, no 220, avril 2005,http://www.legipresse.com.
(6) Les dispositions de l'article L. 3511-3 du Codede la santé publique ne bénéficient pas aux publicationsautres que professionnelles, sauf à cequ'elles soient principalement destinées à unautre marché que le marché communautaire.
(7) JO Sénat, 12 octobre 1990, p. 2697, cf. égalementJOAN doc. no 1482, 22 juin 1990, p. 50,interview Claude Evin : «L'on considère que leterme publicité recouvre une activité ayant pourobjet de faire connaître une marque alors que lemot propagande concerne un produit dans saglobalité.»
(8) G. Cohen-Jonathan, «Liberté d'expression etmessage publicitaire», RTDH, janvier 1993, no 13,p. 69 et suiv.; Commentaire de l'article 10 in L.-E.Pettiti [ss. la dir.], La Convention européenne desdroits de l'homme, commentaire article par article:Économica, 1995, p. 365 et suiv.: «Les droits decaractère commercial ou économique ne font paspartie du domaine privilégié d'attention des gardiensde la Convention européenne. Aussi ne fontilsl'objet que d'un contrôle minimum.»
(9) Cass. com., 5 avril 2005, Société Baccardi-Martini c/ Société de télévision TF1 SA et autres,no 97-21.291, Bull., Légipresse, no 222, juin 2005,note F. Gras, http://www.legipresse.com.
(10) CJCE, Grande ch., 13 juillet 2004, Bacardi, aff.C-429/02, § 23, JOCE, C 228/9, 11 septembre2004, Comm. com. électr., 2004, comm. 128, noteG. Decocq; Europe 2004, comm. 293, note L. Idot.
(11) Ibid.
(12) Op. cit., § 27
(13) C'est d'ailleurs ce qu'avait retenu, dans uneautre affaire, le Tribunal de grande instance deBordeaux en relevant que les émissions téléviséesretransmettant des événements sportifs au coursdesquels apparaissent des panneaux publicitairesne sauraient être par là même assimilées à desécrans publicitaires dès lors que les sociétés dediffusion ne font que retransmettre des imagescaptées à l'étranger, dont elles n'ont pas la maîtrise,qu'elles ne poursuivent pas un but publicitaireet ne perçoivent pas une rémunération: TGIBordeaux, réf. 11 mars 1995, CIVB c/ TF1,France 2 et France 3: Légipresse, 1995, I, p. 35.
(14) La juridiction communautaire emploie,comme le faisait la question préjudicielle, lanotion de publicité indirecte. Ceci est toutefoisimpropre en droit français car de telles apparitionsd'affiches ne correspondent pas à la définition dela publicité indirecte donnée par l'article L. 3323-3 du Code de la santé publique.
(15) G. Péninou, Expression publicitaire des boissonsalcoolisées sous l'égide de la loi Evin,décembre 1991 [dactyl.], 44 p.
(16) CA Paris, 13e ch., 10 novembre 1992, GazPal. 6 février 1993; CA Paris 13e ch., 17novembre 1992, Gaz Pal. 6 février 1993, CAParis 13e ch., 20 mai 1994, Bruneau c/ ANPA:Juris-Data no 1994-021382 ; Contrats, conc.,consom., 1994, comm. 233 confirmé par Cass.crim., 31 mai 1995; TGI Paris, réf., 18 mars 2004,ANPA c. CIVB, Légipresse no 211, mai 2004,http://www.legipresse.com; TGI réf., 10 juillet2006, ANPAc/ Interprofessions des vins du Val deLoire, Légipresse no 236, novembre 2006,http://www.legipresse.com: ces deux décisionsdistinguent la publicité licite sur le produit de lapublicité sur le boire, par nature illicite. Une telledistinction n'apparaît pas manifestement à la lecturede la loi. Est ainsi sanctionnée «une campagnepublicitaire Bourgognes révélation utilisantun langage évocateur et des visuels féminins,évoquant un univers riche fait d'élégance, delégéreté et de modernité» (TGI Paris, réf. 6 janv.2004, ANPA c/ BIVB, Légipresse no 209, mars2004, http://www.legipresse.com).
(17) JO, 10 janvier 1991.
(18) TGI Paris, réf., 23 juin 2006, Kronenbourg,France Rail Publicité & Prisma Presse c/ ANPAA,définitif, Légipresse no 235, octobre 2006,http://www.legipresse.com (ce qui n'interdit pasau juge de condamner la publicité en l'espèce!) ;ibid. : TGI Paris, réf., 18 mars 2004, ANPA c.CIVB, Légipresse no 211, mai 2004,http://www.legipresse.com.
(19) TGI Paris, 31e ch, 5 mars 2004, deux jugementsANPA c/ Martini et Grant's, Légipresseno 211, mai 2004, http://www.legipresse.com.
(20) JO Sénat., Déb., séance du 19 janvier 2005,art. 4A.
(21) Cette modification législative a pu être dénoncée comme une victoire du lobby de l'alcool, l'affichage incitant à la consommation: Contrats, conc., consom.,1994, comm. 178; G. Raymond relève que «le lobby de l'alcool l'a emporté sur le déficit de la Sécurité sociale ». F. Gras, «La réforme de la loi Évin, un affichagealcool en tous lieux», Légicom 1994, no 5, p. 46 et suiv.
(22) Greffe, La Publicité et la Loi, Litec ;Jurisclasseur communication-commerce électronique,fasc. 3460, « Publicité en faveur du tabac ».
(23) TGI Paris, réf. 6 janvier 2004, ANPAc/ BIVB,Légipresse no 209, mars 2004, http://www.legipresse.com; TGI Paris, réf., 18 mars 2004, ANPAc/ CIVB, Légipresse no 211, mai 2004,http://www.legipresse.com.
(24) JO Sénat, déb., séance du 5 mai 2004, amendementno 169; JOAN, doc. no 1828, 6 octobre2004, rapport de la commission des affaires économiques,art. 4A.