L'ESSENTIEL La lecture de la doctrine, et de façon plus ténue de la jurisprudence, fait état d'un régime juridique singulier pour l'oeuvre d'art. L'examen des prérogatives patrimoniales dont jouit l'auteur au travers du droit de suite ou d'exposition, confirme cette analyse. L'inaptitude naturelle de l'oeuvre d'art à être exploitée comme les autres oeuvres de l'esprit du fait de son incorporation dans le support qui la matérialise est corrigée par la reconnaissance de prérogatives spéciales, dont on ne sait pas si elles sont vraiment plus protectrices que celles dévolues aux oeuvres relevant d'autres genres. C'est sous l'angle du droit moral qu'il convient de se rendre compte du traitement dont jouit l'oeuvre d'art. Elle bénéficie d'un traitement de faveur lorsqu'il s'agit du droit à la paternité même si le raisonnement du juge n'est pas convainquant. En revanche, son régime est plus défavorable, à l'égard des droits de divulgation, au respect, de retrait et de repentir. Ce constat est ambiguë et finalement remet en cause ce droit moral dont le rôle est de défendre une exception culturelle en matière artistique.
Agnès MAFFRE-BAUGE
Maître de conférences à l'Université d'Avignon, Chercheur associé à ...
1er juillet 2006 - Légicom N°36
0 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(2) Ph. Gaudrat, J.-Cl. Objet du droit d'auteur,PLA, Fasc. 1134, n°6. Susceptible de multiplesdéfinitions selon qu'on l'appréhende en termesphilosophique, sociologique esthétique,politique, voire religieux (sur la pluralité desapproches possibles : J.M. Pontier, « La notiond'oeuvre d'art », RDP, 1990, p. 1403 et s., spéc.p. 1405), l'oeuvre d'art ne sera ici considérée quesous l'angle du droit d'auteur. Selon M. Duret-Robert, l'oeuvre d'art est un meuble corporeldans lequel « s'incorpore l'oeuvre de l'esprit,originale constituant une création graphique ouplastique « (Ventes d'oeuvres d'art, Dallozréférence, 2001). Cette définition a le mérite desouligner la polysémie juridique (oul'ambiguïté ?) de l'expression en évoquant à lafois l'objet corporel et la création intellectuellequ'est l'oeuvre d'art. Ainsi, même appréhendéedans sa seule acception juridique, la notion estrétive à toute définition unitaire. En ce sens : J.-M. Pontier, op. cit., spéc. p. 1408 et s.
(3) Comp. art. L. 122-1 et s., L. 123-1 et L. 451-11 C. pat. ; D. 3 mars 1981 sur la répression desfraudes en matière de transactions d'oeuvres d'artet d'objets de collections.
(4) Colombet, Propriété littéraire et artistique etdroits voisins, Dalloz, 7e éd., 1994, n°32. V. égal.A. Lucas et P. Sirinelli, « L'originalité en droitd'auteur », JCP 1993, I, 3681, n°13. V. égal. J.-M. Pontier, op. cit., spéc. p. 1421, pour qui« l'oeuvre d'art, par définition, se définit par sonoriginalité ».
(5) Desbois, Le droit d'auteur en France, Dalloz,3ème éd. 1978, n°8, p. 11.
(6) A. Lucas et P. Sirinelli, ibid.
(7) N. Walravens, « La notion d'originalité et lesoeuvres d'art contemporaines », RIDA n° 181,juill. 1999, p. 103 et s.
(8) N. Walravens, op. cit., p. 113 et s. V. égal.,A . Lucas, Propriété littéraire et artistique,Dalloz, 3ème éd., 2004, p. 22, évoquant l'artconceptuel.
(9) Où la loi ne distingue pas, nous ne devonspas distinguer ; là où est la même raison de laloi, il y a même application de cette loi.
(11) A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriétélittéraire et artistique, Litec, 1re éd., 1994, n°84 etn°220, qui évoquent l'affaire Renoir (Cass. 1reciv., 13 nov. 1973, D. 1974, 533, note Colombet).
(12) Art. 98 A CGI annexe 3, CGIAN3.
(13) Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, aff. Spoerri,RDLI 2006/14, n°394, note N. Walravens ; noteJ.-M. Bruguière, à paraître à la RDLI 2006/16. V.égal. Cass. 1re civ., 17 oct. 2000, CCE 2001,comm. 98, note Ch. Caron.
(14) En ce sens : Mme Walravens, note sous l'arrêtSpoerri, préc.
(18) W. Duchemin, « Réflexions sur le droitd'exposition », RIDA n°156, avr. 1993, p. 15 et s.,spéc. 27-29 (ce droit se justifie par le fait que« pour vivre de son art, l'artiste plasticien estobligé d'aliéner son oeuvre contenue touteentière) ; A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°337 ; P.-Y.Gautier, op. cit., n°185 ; M. Cornu et N. Mallet-Poujol, op. cit., n°316 et s. Comp. Desbois, op.cit., n°259.
(19) Ch. Caron, note préc. sous Cass. 1ère civ.,6 nov. 2002. V. égal., revendiquant un exerciceraisonnable de ce droit : P.-Y. Gautier, op.cit.,n°185.
(20) La question du sort de ce droit en cas decession du support matériel de l'oeuvre d'art estdélicate. Selon A. et H.-J. Lucas, le vendeurdevrait en être investi par application de l'articleL. 111-3 CPI (op. cit., n°337). V. égal. W.Duchemin, op. cit., p. 81. Contra, semble-t-il, P.-Y. Gautier, op. cit., n°185.
(21) Sur ce point, v. infra.
(22) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire etartistique, préc., qui évoque fréquemment cettequestion (par ex. n°17 et n°125). Du mêmeauteur, « L'art et le droit naturel », Arch. phil.droit, n°40, 1995, p. 206 et s.
(23) Même si bien d'autres aspects du droit d'auteurmériteraient examen sous l'angle de cetteproblématique.
(24) P.-Y. Gautier, » L'art et le droit naturel », préc.,n°7.
(25) A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°220, préfèrentparler du « substrat » plutôt que du « support » del'oeuvre d'art afin de mettre l'accent sur le matériauqui donne vie à l'oeuvre.
(26) P.-Y. Gautier, ibid., qui souligne.
(27) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique,préc., par ex. n°146.
(28) A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°505. Enjurisprudence : Cass. 1re civ., 19 janv. 1970,RTDcom. 1972, p. 103, note Desbois.
(29) Dans ce domaine, la règle énoncée par l'articleL. 131-5 CPI peut également être citée. Ce texteréserve la révision pour lésion, dans l'hypothèsed'un préjudice de plus des sept douzièmes subi parl'auteur, « en cas de cession du droitd'exploitation », ce qui revient à exclure la vente del'oeuvre d'art du bénéfice de cette disposition.
(30) Cass. 1re civ., 19 janv. 1970, préc.
(31) A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°368.
(32) Art. L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 CPI.
(33) On renverra aux ouvrages spécialisés pourune présentation plus complète.
(34) V. F. Pollaud-Dulian, « Le droit moral enFrance, à travers la jurisprudence récente », RIDAn°145, juillet 1990, p. 127.
(35) Le motif invoqué est susceptible d'êtrejudiciairement contrôlé. Cf. Cass. 1re civ., 14 mai1991, aff. Chiavarino, JCP 1991, II, 21760, noteF. Pollaud-Dulian ; RTDcom. 1991, p. 592, obs.Françon ; RIDA 1992, n° 151, p. 272, note P.Sirinelli.
(36) V. Ph. Gaudrat, Droits moraux. Le droit deretrait et de repentir, J.-CL. PLA, Fasc. 1212,2001, n°19 et s.
(37) V. toutefois Savatier, « La loi du 11 mars1957sur la propriété littéraire et artistique » : JCPG 1957, I, 1398, n° 39 et 71.
(38) A. et H.-J. Lucas, op. cit. n° 395. L'argumentest discuté : Ph. Gaudrat, op.cit., n°10.
(39) Desbois, op. cit. n° 412 et s. ; A. etH.-J. Lucas, op. cit. n° 395. V. toutefois Savatier,« La loi du 11 mars 1957 sur la propriétélittéraire et artistique » : JCP G 1957, I, 1398,n° 39 et 71 et Ph. Gaudrat, op.cit., n°10.
(40) V. F. Pollaud-Dulian, « Le droit moral enFrance, à travers la jurisprudence récente », préc.,p. 181.
(41) Cf. Paisant, cité par M. Pollaud-Dulian, ibid.
(42) V. toutefois Ph. Gaudrat, op.cit., n°10,
(43) Pour une présentation plus complète : S.Grégoire, Droits moraux. Droit au nom, J.-CL.PLA, Fasc. 1214, 2002.
(44) Soit que l'oeuvre soit attribuée à un artistequi n'en est pas l'auteur, soit qu'elle comporteune signature apocryphe.
(45) P.-Y. Gautier, op. cit., n°131.
(46) Cf. le concept de « paternité négative »évoqué par B. Edelman, JCP éd. G 1990, I, 3433,n° 8 et par P.-Y. Gautier, op. cit., n°131 et n°420.
(47) V. par ex. : Paris, 17 déc. 1986, JCP 1987, II,20899, note B. Edelman ; Trib. corr. Paris, 9 mai1995, RIDA janv. 1996, p. 282 (aff. Renoir) ; TGIParis, 29 mars 1989, Gaz. Pal. 1990, 1, somm. p.185 ; TGI Paris, 23 nov. 1988 : Gaz. Pal. 1990, 1,somm. p. 185 ; JCP 90, 1, 3433,n. 8, obs. B. Edelman (aff. Massenet) ; Paris, 23mars 1992 : RIDA janv. 1993, n° 155, p. 181 (aff.Rodin).
(48) V. par ex. Desbois, op. cit., n°424 ; A. et H.-J.Lucas, op. cit., n°407 ; P.-Y. Gautier, op. cit., n°420.
(49) Pour l'aspect pénal : loi des 9 et 12 fév.1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loiBardoux, modifiée par L. n° 94-102 du 5 févr.
(1995) Sur cette question, et sans soucid'exhaustivité : S. Durrande, « L'artiste, le jugepénal et le faux artistique, Plaidoyer pour une loiméconnue », Rev. sc. crim. 1989, p. 682 ;D. Gaudel, « Droit d'auteur et faux artistique »,RIDA janv. 1994, p. 103 ; P. Hénaff, « Les lacunesde la loi de 1895 sur le faux artistique », CCE fév.2006, étude n°5. Pour l'aspect civil : v. S.Lequette de Kervenoaël, L'authenticité desoeuvres d'art, LGDJ, tome 451, 2006.
(50) La Cour de cassation exclut tout recours surle fondement du droit moral lorsqu'il s'agit dedéfendre la réputation de l'artiste (Cass. 1ère civ.,3 déc. 1968, aff. Bergerot, D. 1969, p. 73, concl.R. Lindon ; RIDA avr. 1969, p. 135, concl.R. Lindon).
(51) Paris, 23 mars 1992, préc., énonçant quel'attribution à Rodin, par l'usurpation de sonnom, d'un bronze qui n'est pas de lui constitueune atteinte au respect du nom du sculpteur. Pourl'identité artistique : Cass. crim. 11 juin 1997,D. aff. 1997, 1043, a contrario (la reproductionde la signature de Renoir ne porte pas atteinte audroit moral de cet auteur lorsque, comme enl'espèce, il n'y a pas de confusion entre l'originalet sa copie.
(52) Paris, 23 mars 1992, préc.
(53) La fausse signature opère un rattachementtrompeur et préjudiciable à l'ensemble de l'oeuvre.
(54) D. Lefranc, note sous Cass. 1re civ., 18 juill.2000, JCP éd. G. 2002, II, 10041.
(55) Cf. P. Hénaff, « Les lacunes de la loi de1895 sur le faux artistique », préc.
(56) Cass. 1ère civ., 18 juill. 2000, préc., D. 2001,jurispr. p. 541, note E. Dreyer ; D. 2001, p. 2080,obs. Ch. Caron ; Propr. intell. 2001, n° 1, p. 64,obs. P. Sirinelli.
(57) Sur la notion d'atteinte à l'esprit de l'oeuvre,voir infra.
(58) Cass. 1re civ., 3 déc. 1968, préc.
(59) Cf. l'analyse très critique de P.-Y. Gautier,op. cit., n° 146.
(60) Concernant le droit moral, la règle ne sauraitsurprendre au regard des articles L. 121-1 CPI et1404 C. civ.
(61) Et on a dit combien l'exploitation dumonopole était aléatoire pour l'artiste, qui tireradavantage profit de la vente du support et del'exercice, le cas échéant, de son droit de suite.Mais celui-ci ne peut pas être considéré commeun droit d'exploitation. Il n'est donc pas soumis àl'article L. 121-9, et n'est donc pas considérécomme un bien propre.
(62) En sens, notamment, Colombet, op. cit., n°257.
(63) A. et H.-J. Lucas, op. cit., n°152, et les référencescitées. V. égal. A. Colomer, Droit civil Régimesmatrimoniaux, Litec, 12ème éd., 2004, n° 767.
(64) P.-Y. Gautier, « L'art et le droit naturel »,préc., n°11. V. égal. Desbois, op.cit., n°227 :« L'esprit, sinon la lettre, de la loi de 1957conduit à considérer comme des propres lesoeuvres d'art par analogie avec les droitsd'auteur, dont elles constituent le support. »
(65) Pour une présentation des différentes thèses :F. Pollaud-Dulian, Droits moraux, régimesmatrimoniaux et successions, J.-CL. PLA, Fasc.1225, 2000, n°32 et s.
(66) M. Contamine-Raynaud, « De l'existence dudroit moral des artistes mariés sous le régime dela communauté » : D. 1971, p. 37 ; A. et H.-J.Lucas, op. cit., n°152, et les références citées.
(67) Cass. 1re civ., 4 juin 1971 : D. 1971, p. 585,concl. Lindon ; JCP 1972, II, 17164, noteJ. Patarin ; RTD civ. 1972, p. 121, obs. Nerson ;RTD com. 1972, p. 90, obs. Desbois. V. égal.
(68) Par ex. : R. Sarraute, « Que reste-t-il du droitmoral de l'artiste ? » : Gaz. Pal. 1971, 2, doctr.p. 542. Telle n'avait pas été la conception retenuedans l'arrêt Bonnard, la Cour de cassationréservant assez largement l'exercice desprérogatives morales de l'auteur (Cass. 1re civ.,4 déc. 1956, JCP 1959, II, 11141, note Weill).
(69) Pour une présentation complète de cetteprérogative, on se reportera aux ouvragesspécialisés.
(70) L'auteur reste seul investi des droits d'auteur(art. L. 111-3 al. 2 CPI). Le droit de propriété ducorpus est régi par l'art. 544 C. civ., auquel il fautajouter l'article L. 111-3 al. 2 CPI en vertu duquell'auteur ne peut exiger du propriétaire de l'objetmatériel, pour l'exercice de ses droits, la mise àdisposition du support.
(71) Cass. 1re civ., 6 juill. 1965, II, 14339, concl.Lindon.
(73) C'est souvent le cas des oeuvresarchitecturales, des oeuvres monumentales particulièrement dans le cadre dit du « 1%artistique » ou de celles qui relèvent des artsappliqués.
(74) En ce sens : Cass. 1re civ., 3 déc. 1991, préc.,énonçant que le propriétaire de l'oeuvre est tenud'effectuer les travaux d'entretien normaux denature à éviter ou retarder sa dégradation.
(75) La question est discutée. Posant, à la chargedu propriétaire, l'obligation de veiller à la nondégradation de l'oeuvre et celle de la restaurer :Conseil de Préfecture de Montpellier, 9 déc. 1936,Gaz. Pal., 1937, 1, 34, cité par M. Cornu et N.Mallet-Poujol, Droit, oeuvres d'art et musées,Protection et Valorisation des collections, éd.CNRS, 2001, n°236, note 104. Toutefois, MmesCornu et Mallet-Poujol remarquent que cettedécision est isolée et que de manière générale, lajurisprudence n'impose pas d'obligation légale derestauration si l'intervention dépasse laconservation en l'état. Par ex. : Paris, 10 juillet1975, RIDA janv. 1977, p. 114, note A. Françon ;Cass. 1ère civ., 3 déc. 1991, préc. ; Versailles,4 avril 1996, JCP 1996, II, 22741, obs. Bécourt.
(76) En revanche, s'il s'agit de réparer lesconséquences d'un défaut de conception ou deréalisation de l'auteur (et a fortiori lorsque cesdéfauts impliquent la réfection totale del'ouvrage), l'atteinte est licite et l'auteur ne pourrapas s'en plaindre en se fondant sur son droit moral.Cass. 1re civ., 3 déc. 1991, préc.
(77) TA Grenoble, 18 fév. 1975, RIDA, janv. 1977,p. 117, note Françon. En l'espèce, il y avait aussiune faute de l'auteur, mais l'impératif de sécuritépublique suffit à justifier la solution.
(78) Paris, 11 juillet 1990, D. 1992, somm. 17-18,obs. Colombet.
(79) M. Cornu, L'espérance d'intangibilité dans lavie des oeuvres, Réflexions sur la longévité decertains biens, RTD civ. 2000, p. 697 et s., spéc.n° 24 et s. ; M. Cornu et N. Mallet-Poujol, op. cit.,n° 240. Il a néanmoins le droit d'être informé desmodifications ainsi apportées à son oeuvre : Paris,24 juin 1994, D. 1995, som. com. p. 56, obs.Colombet ; Versailles, 4 avr. 1996, préc.
(80) N. Walravens, La protection de l'oeuvre d'artet le droit moral de l'artiste, préc., spéc. p. 27 et s.
(81) RIDA n° 173, juillet 1997, p. 373.
(82) N. Walravens, op. cit., p. 49 : l'espaceenvironnemental de l'oeuvre est en effet unélément caractérisant l'esprit de l'oeuvre .V. égal.P.-Y. Gautier, op. cit., n° 138, p. 260, spéc. note 1.