L'ESSENTIEL Le droit du patrimoine influence à des degrés variables le régime juridique des biens culturels. L'indisponibilité juridique en est le principal attribut, qui désigne l'ensemble des techniques qui altèrent ou neutralisent la circulation juridique de certains biens distingués pour leur valeur d'art ou d'histoire, au premier rang desquels prend place le principe d'inaliénabilité. L'affectation du bien culturel à une institution ou à un patrimoine déterminé peut également remettre en cause sa circulation. Ces procédés ont pour point commun de mettre hors commerce des biens culturels. Ils permettent de travailler au rapprochement du statut des biens publics et privés. Cependant, la propriété publique demeure en l'état des textes, la plus performante. Sa posture dominante la met aussi en position de diffuser ses modèles, qui notamment déterminent le statut des biens culturels, comme éléments d'un patrimoine collectif.
Patrick TAFFOREAU
Professeur à lUniversité de Nancy II, Membre du CRDP de Nancy II
1er juillet 2006 - Légicom N°36
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(2) Pour une vue générale de la domanialitépublique culturelle appliquée aux élémentsmobiliers et immobiliers, F. Biglione,Domanialité publique et protection des biensculturels, Supra, p. 57).
(3) La question intéresse aussi la disponibilité dubien, puisque l'État peut, dans certains cas forcerla vente (en matière de fouilles archéologiquesterrestres ou de biens cultuels maritimes) ou sesubstituer à l'acquéreur (droit de préemption)mais le statut d'indisponibilité résulte alors dufait que le bien a rejoint le domaine public etc'est cette dimension sur laquelle nous nousattardons. On peut encore citer ici la procédured'achat encadré prévue à l'article L 121-1 duCode du patrimoine. Le refus de vendresignifiant l'immobilisation du bien sanscontrepartie, le propriétaire est sérieusementincité à vendre ; on peut presque considérer qu'ils'agit d'une forme d'expropriation.
(4) Au sens de l'article L 111-1 du Code dupatrimoine, ce sont « Les biens appartenant auxcollections publiques et aux collections desmusées de France, les biens classés enapplication des dispositions relatives auxmonuments historiques et aux archives, ainsi queles autres biens qui présentent un intérêt majeurpour le patrimoine national au point de vue del'histoire, de l'art ou de l'archéologie sontconsidérés comme trésors nationaux ».
(5) Bien sûr, de façon indirecte, les interdictionsd'exportation ferment l'accès au marchéinternational mais le propriétaire peut tout demême vendre.
(6) D'une façon plus généraliste, la doctrineciviliste s'intéresse à la question, voir à ce sujetF. Paul, Les choses qui sont dans le commerce ausens de l'article 1128 du Code civil, thèse Paris2, 2001 et I. Moine, Les choses hors commerce,une approche de la personne humaine, LGDJ,Bib. de droit privé, tome 271, 1997.
(7) En ce sens, à propos de stalles d'une églisevendues par le maire d'une commune à unantiquaire, CE 17 février 1932, Commune deBarran, D. 1933, p. 49, note René Capitant.
(8) Dans une affaire récente, on a vu ressurgir unfragment de la colonne Vendôme pillé lors deson déboulonnage au moment de la Communede Paris. Elle se trouvait depuis ce temps enpossession de personnes privées. L'actuelpropriétaire s'est vu opposer un refus decertificat au motif que la colonne Vendôme« dédiée initialement à la gloire de l'arméefrançaise puis à celle de Napoléon premier, chefde l'État, elle faisait partie, par sa nature même,du domaine public de l'État au moment de sadémolition ». Les juges estiment encore que sices éléments ont perdu leur caractère immobilier,ils ont « acquis le caractère de biens meubles dudomaine public. En raison de l'imprescriptibilitédu domaine public, la requérante n'est paspropriétaire du fragment pour lequel elledemandait un certificat d'exportation et c'estlégalement que le ministre de la culture l'arefusé ». TA Paris, 9 avril 2004, AJDA,20 septembre 2004, actualité jurisprudentielle,p. 1709, note O. de Bot, décision confirmée parCAA Paris 4 avril 2006, Inédit. En l'espèce, étaitdiscutée la question de la délivrance du certificatet rien ne dit que la collectivité publiqueentreprendra une action en revendication. Mais sitel est le cas, la restitution se fonderait surl'appartenance au domaine public.
(9) La règle d'inaliénabilité est centrale dans lerégime de la domanialité publique mais il fautaussi la compléter par la règle del'imprescriptibilité qui lui est intimementrattachée et la règle d'insaisissabilité qui écartele risque d'une dispersion du fait d'un tiers.
(10) Pour une analyse de la règle d'inaliénabilitédans la propriété publique, P. Yolka, La propriétépublique, éléments pour une théorie, LGDJ,Bibliothèque de droit public, tome 191, p. 388.
(11) La tendance trouve une confirmation nettedans le Code de la propriété des personnespubliques. Sur la consécration d'un domainepublic culturel mobilier, H. Bastien, À quoi sertle domaine public mobilier, l'exemple des biensculturels, ADJA, 1993, p. 675
(12) Sur la question, voir Y. Gaudemet,« Domanialité publique et biens cultuels », in Lepatrimoine culturel religieux, (dir. B. Basdevant,M. Cornu, J. Fromageau) coll. Droit dupatrimoine culturel et naturel, L'harmattan, 2006,p. 117 ainsi que Brigitte Basdevant, « Propriétépublique et affectation cultuelle, fondementshistoriques », op. cit., p. 77.
(13) La règle est aujourd'hui codifiée à l'articleL 212-1 du Code du patrimoine.
(14) Pour une analyse du dispositif, P. Galan,« Les Musées de France », Droit et ville,n° 55/2003, doctrine, p. 246.
(15) Le CGPP a été adopté au mompent où cetarticle est sous presse, nous n'entrons donc pasdans l'analyse du dispositif, donnant simplementla définition très large, suggérée par le Code dela domanialité publique.Art. L 2112-1 Code général des propriétés despersonnes publiques : « Sans préjudice desdispositions applicables en matière de protectiondes biens culturels, font partie du domainepublic mobilier de la personne punliquepropriétaire les biens présentant un intérêtpublic du point de vue de l'histoire de l'art, del'archéologie, de la science ou de la tehcnique,notamment :1° Un exemplaire identifié de chacun desdocuments dont le dépôt est prescrit aux fins deconstitution d'une mémoire nationale parl'article L. 131-2 du code du patrimoine ;2° Les archives publiques au sens de l'article L.211-4 du code du patrimoine ;3° Les archives issues de fonds privés entréesdans les collections publiques par acquisition àtitre onéreux, don, dation ou legs ;4° Les découvertes de caractère mobilierdevenues ou demeurées propriété publique enapplication du chapitre 3 du titre III du livre Vdu code du patrimoine ;5° Les biens culturels maritimes de naturemobilière au sens du chapitre 2 du titre III dulivre V du code du patrimoine ;6° Les objets mobiliers classés ou inscrits autitre du chapitre 2 du titre II du livre VI du codedu patrimoine ou situés dans un immeuble classéou inscrit et concourant à la présentation aupublic de parties classées ou inscrites duditimmeuble ;7° Les objets mobiliers autres que ceuxmentionnés au 6° ci-dessus, présentant un intérêthistorique ou artistique, devenus ou demeuréspropriété publique en application de» la loi du 9décembre 1905 concernant la séparation desÉglises et de l'État ;8° Les collections des musées ;9° Les oeuvres et objets d'art contemporainacquis par le Centre national des arts plastiquesainsi que les collections d'oeuvres et objets d'artinscrites sur les inventaires du Fonds nationald'art contemporain dont le centre reçoit lagarde ;10° Les collections de documents anciens, raresou précieux des bibliothèques ;11° Les collections publiques relevant duMobilier national et de la Manufacture nationalede Sèvres. »
(16) Dans cette mise forme de la loi sur les muséesde France, le caractère inaliénable est tiré de leurappartenance au domaine public. Lors des débatsparlementaires, un amendement avait été proposépar l'Assemblée nationale dissociant la règled'inaliénabilité du domaine public, le reliant plusdirectement à la nature des collections, mais lasolution n'a pas été retenue, doct; Ass. nationale2001, n 3036, p. 22.
(17) Le terme a été évoqué lors des débatsparlementaires précédant l'adoption de la loi sur lesmusées de France du 4 janvier 2002. M. Richert,rapporteur pour le Sénat de la commission mixteparitaire indiquait que l'affirmation d'un principed'inaliénabilité absolue n'était posée par un aucuntexte jusque-là et relevait donc d'un fantasmejuridique, Compte rendu analytique officiel de laséance du 20 décembre 2001.
(18) La technique est surtout utilisée pour lesouvrages récents.
(19) En ce sens, P. Richer, rapporteur de lacommission mixte paritaire, compte renduanalytique du 20 décembre 2001.
(20) En ce sens, CE, 30 décembre 2002, Rec.2002, dès lors qu'une commune n'établit pasavoir pris une décision expresse de déclassement« la seule circonstance que l'église Saint-Paulait cessé d'être affectée au culte n'a pu avoirpour effet de retirer à cette dernière soncaractère de domanialité publique ».
(21) Nous doutons qu'un usager puisse combattrele déclassement d'un bien ordinaire au motif queson affectation publique obéit à une nécessitépublique et que, partant, l'administration est dansl'obligation de la maintenir.
(22) La prise de décision intervient à l'intérieurd'un délai de deux mois.
(23) Le texte précise donc que « Les oeuvrescontrefaisantes visées par la loi du 9 février1895 précitée et confisquées dans les conditionsprévues par les articles 3 et 3-1 de ladite loi sontsoit détruites, soit déposées dans les musées
(24) Par exception, certaines personnes privéespeuvent être productrices d'archives publiques,mais en ce cas, leurs documents ne relevant de lapropriété publique ne peuvent alors être considéréscomme appartenant au domaine public. C'est lecas des officiers ministériels ou encore desassociations investies d'une mission de servicepublic (art. L 211-4 du Code du patrimoine).
(25) Loi n° 89-874 du 1er décembre 1989, codifiéeaux articles L 532-1 et s. du Code du patrimoine.
(26) Art. L 510-1 et s. du Code du patrimoine.
(27) Cette solution, selon laquelle les objetstrouvés dans le sous-sol appartiennent à l'État, esten vigueur dans un grand nombre d'États..
(28) Art. L 451-7 du Code du patrimoine.
(29) Il s'agirait d'éviter que les collectivitésbénéficiant de financements d'État ne soienttentées de spéculer. Compte tenu de l'esprit et del'économie du texte, déjà très protecteur pour lescollections, on se demande si cette mesure étaitbien utile.
(30) Plusieurs hypothèses peuvent se présenter,aliénations consenties avant l'ordonnance deMoulins de 1 566 (encore que le caractèreinaliénable du domaine est déjà dans certainstextes, par exemple l'ordonnance de Philippe Vdu 29 juillet 1318) ou après 1 566 puisquecertaines causes d'aliénations sont admises ycompris en ce qui concerne le grand domaine, surune application jurisprudentielle de cette dernièrehypothèse, voir Concl. J-F Coënt, commissairedu gouvernement, « Du bon usage desordonnances de Moulin », note sous CAA Nantes,14 octobre 2003, AJDA, n° 43/2003, p. 2318. Onpeut encore citer le cas de la vente des biensnationaux après la Révolution. Sur lesnombreuses entorses à la règle d'inaliénabilité,voir Annie Héritier, La genèse de la notion depatrimoine artistique, L'harmattan. Pour une vuehistorique savante de la question, GuillaumeLeyte, Domaine et domanialité publique dans laFrance médiévale, Presses Universitaires deStrasbourg, Strasbourg, 1996, spécialementp. 263-291 et 324 et s.
(31) C'est le cas notamment dans les muséesaméricains, qui, en l'occurrence rechignent à sedéfinir comme des collections, c'est-à-direcomme des entités formées par des ensemblesd'oeuvres.
(32) La technique avait été introduite dans un desétats de la loi musée. Un amendement émanantde l'Assemblée nationale prévoyant quel'inaliénabilité ne jouait pas avant une période detrente ans. Le délai de latence était inspiré desystèmes en vigueur dans d'autres pays. Lasuggestion a cependant été refoulée par le Sénatet dans le texte définitif. Il semblerait que le droitfrançais ait connu une règle similaire évoquée defaçon diffuse dans l'article 2 de l'Édit de Moulinset plus explicitement dans l'ordonnance de Bloisde 1579, consistant à distinguer : un domaine fixeabsolument inaliénable d'un domaine dit casuel,composé de biens acquis par le roi qui peuventêtre aliénées pendant un délai de 10 ans, délai àl'expiration duquel lesdits biens sont intégrésdans le domaine fixe et deviennent définitivementinaliénables. Je remercie vivement LaurentPfister pour les précieuses informations fourniessur ce sujet.
(33) Art. L 622-17 du CP.
(34) Encore qu'on aurait sans doute pu accueilliraussi l'hypothèse de l'échange.
(35) Pour un exemple de transfert, voir avis duHaut Conseil à propos des collections affectées aumusée du sel; propriété de la commune de Marsaltransférées au département de la Moselle, JO,13 août 2004, p. 14459.
(36) C'est ce qu'a démontré la situation des objetsdes collections nationales mises en dépôt depuisle XIXe siècle dans toutes sortes d'administrationset d'institutions. Une commission a été constituéeafin de procéder au récolement des objets, décretn° 96-750 du 20 août 1996 portant création de lacommission de récolement des dépôts d'oeuvresd'art de l'État, prorogée jusqu'au 31 décembre2007 par décret n° 2002-1546 du 24 décembre2002 modifiant le décret du 20 août 1996,JO,28 décembre 2002.
(37) La date correspond à la date d'adoption despremiers textes encadrant les dépôts.
(38) Voir à ce sujet le communiqué de presse duministère de la Culture du 28 mars 2006 quidresse un état des transferts d'oeuvres au profit descollectivités territoriales : « Décentralisation,l'État remet près de 3 000 oeuvres d'art et biensculturels à près de 250 collectivités ». L'opérationpeut être neutralisée soit parce que la collectivitéterritoriale s'oppose au transfert, soit encore parceque le label n'a pas été attribué. La garantie deconservation dans une institution reconnue faisantdéfaut, on exclut cette mutation. Un grand nombrede transferts ont d'ores et déjà été réalisés.
(39) Il y avait grand besoin de clarification de cepoint de vue comme en attestent les travaux dela commission de récolement crée pour lacirconstance et reconduite à deux reprises, tant latâche s'est révélée ardue. Pour l'instant, 100 000ont été vérifiées, 10 % ne sont pas localisées.Voir sur la question, « Récolement, moded'emploi », J.-P. Bady, président de lacommission interministérielle du récolement desdépôts d'oeuvres d'art, La Gazette de l'hôtelDrouot, n° 34, 8 octobre 2004. Voir égalementSophie Flouquet, « État recherche oeuvres d'artet mobilier égarés », Journal des Arts,4-7 février 2005, p. 5.
(40) Sur la détermination de cet intérêt, voir les réflexions éclairantes du rapport Rémond, remis au ministre de la Culture le lundi 17 novembre 2003.
(41) Article L 211-4 du Code du patrimoine. 41. La réduction d'impôt est subordonnée à l'agrément du ministre de l'Économie et desFinances qui se prononce après avis de la
(43) Sur cette procédure, voir supra. Il semblecependant que ce levier n'ait guère eu de succèsjusqu'à présent.
(44) Ce sont encore là des traces du traumatismede l'affaire Walter pour laquelle l'État a étécontraint de verser 145 millions de francs aupropriétaire au titre d'une indemnisation du faitd'un classement. Le préjudice invoqué était danscette affaire la chute du prix de l'oeuvre sur lemarché international.
(45) Les seuls registres admissibles se réalisentsur un mode incitatif, par exemple en matièrefiscale lorsque des monuments sont ouverts à lavisite, sur ces points voir notamment, Jean-Raphaël Pellas, La fiscalité du patrimoineculturel, LGDJ, coll. Systèmes, 2003
(46) Sur le statut de la recherche archéologique,voir V. Négri, « Recherche archéologique », Juris-Classeur administratif, 2003, fasc. 466.
(47) Dans le cas de l'archéologie préventive (art.L 523-12 du Code du patrimoine).
(48) Dans le cas de fouilles exécutées par l'État(art. L 531-11 du Code du patrimoine) ou dedécouvertes fortuites (art. L 531-16 du Code dupatrimoine).
(49) Pour les autres objets mobiliers classés enmain privée, l'aliénation est libre. Le propriétairea une simple obligation d'information, de sorteque l'administration puisse connaître la situationjuridique du bien et la personne qui l'a sous sagarde. L'obligation d'information est mentionnéeà l'article L 622-16 du Code du patrimoine.
(50) La technique de l'affectation irrévocable estconnue du droit privé, en particulier dans le droitdes fondations qui se définit précisément commeun « acte par lequel une ou plusieurs personnes( ) décident l'affectation irrévocable des biens,droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvred'intérêt général et à but non lucratif » (loi du23 juillet 1987) ; mais dans le cas qui nousintéresse c'est l'intérêt général et non la volontéprivée qui est à la source de l'affectationpublique.
(51) Dans les collections publiques, ces bienssont indéclassables, voir plus haut sur la raisond'être de la règle
(52) Son accord est notamment requis en cas dedemande anticipée d'accès aux documents. Pardérogation, la loi admet qu'un utilisateur puissesolliciter à titre individuel l'accès à certainsdocuments encore couverts par le secret. La loiprévoir aussi des dérogations accordéescollectivement.
(53) Idée que conforte cette fois-ci dans la sphèrepublique la reconnaissance d'une domanialitépublique par nature, voir plus haut.
(54) Même si l'on peut soumettre à débat cetteproposition.
(55) Sur cette double perspective, voir J. CorderoSanchez, La protection des biens culturels précolombiens,LGDJ, 2004.
(56) Ce texte prévoit un double volet d'une partsur le retour des biens illicitement exportés etd'autre part sur la restitution des biens culturelsvolés. Le possesseur doit restituer un bien culturelvolé et peut simplement prétendre à uneindemnisation s'il démontre qu'il a exercé lesdiligences requises lors de l'acquisition.