L'ESSENTIEL La domanialité publique, entendue comme le régime juridique spécifique appliqué à certains biens, et le droit des biens culturels comportent indéniablement des caractéristiques communes. Ils établissent des modes dérogatoires d'exercice de la propriété destinés à protéger certains biens. Ils sont intégrés à la domanialité publique par une manifestation de volonté. Reste que la jurisprudence a classé certains biens culturels dans le domaine public, car ils sont la propriété de la personne publique, et affectés à l'utilité publique. Cette dernière condition est problématique en présence d'un bien meuble, car en quoi peut consister l'aménagement spécial d'une oeuvre d'art. Par ailleurs, nombre de biens culturels relèvent de la propriété privée et échappent donc à toute appréhension par la domanialité publique. Aussi, la domanialité publique n'est-elle plus la seule technique de protection des biens d'un intérêt public particulier. Il convient de protéger les biens au regard de leur nature même et de leur intérêt social et non plus au regard de la personne propriétaire ou de son affectation. Il existe des régimes spécifiques adaptés à des catégories particulières de biens.
La domanialité publique, entendue comme le régime juridique spécifique appliqué à certains biens (1), et le droit des biens culturels comportent indéniablement des caractéristiques communes.D'abord parce qu'ils tendent tous deux à établir des modes dérogatoires d'exercice de la propriété destinés à conserver, à protéger certains biens. En effet, l'une des caractéristiques essentielles des biens culturels peut être trouvée dans leur intérêt historique, artistique, ...
Franck BIGLIONE
Maître de conférences à l'IEP d'Aix-en-Provence CESPU (EA n° 3935)
1er juillet 2006 - Légicom N°36
4754 mots
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(2) Lavialle (C.), « Du domaine public commefiction juridique », JCP, éd. G, 1994, I, n° 3766.
(3) Article L. 1 du Code du patrimoine.
(4) La loi a ainsi pu établir un domaine publicmaritime naturel (Ordonnance de Colbert sur laMarine de 1681, la loi du 28 novembre 1963), undomaine public routier (actuellement consacrédans le Code de la voirie routière).
(5) Le terme de domaine public sera entendu toutau long de cette contribution dans le sens que luidonnent les administrativistes, c'est à dire commeune ensemble de biens soumis à la domanialitépublique et non le sens que retenu par lesspécialistes de la propriété intellectuelle comme lestatut juridique de créations intellectuelles lorsqueles droits patrimoniaux sont épuisés.
(6) Il est en effet difficile de défendre le caractèrenaturel des biens du domaine public comme celuides biens culturels dès lors qu'il s'agit decatégories juridiques créées et que du point de vuejuridique cette appartenance ne peut résulter qued'un acte de volonté prenant la forme d'unclassement et/ou d'une affectation.
(7) Delvolve (P.), « La protection des biensculturels en droit public français », Rev. int. dr.comp. 1986, p. 270.
(8) La loi du 9 décembre 1905 séparant les Égliseset l'État, modifiée par la loi du 13 avril 1908,règle la propriété des édifices du cultes construitsou acquis avant 1905 par des personnes publiqueset non revendiqués par des associations cultuelles.
(9) Art. L. 410-1 du Code du Patrimoine (C. Pat.)« Est considéré comme musée, au sens de laprésente loi, toute collection permanentecomposée de biens dont la conservation et laprésentation revêtent un intérêt public et estorganisée en vue de la connaissance, del'éducation et du plaisir du public »
(10) Article L. 451-5 du C. Pat : « Les biensconstituant les collections des musées de Franceappartenant à une personne publique font partiede leur domaine public et sont, à ce titre,inaliénables ».
(11) En vertu de la lecture combinée des articlesL. 622-13 et L. 622-14 du C. Pat.
(12) Cass. Civ. 2 avril 1963, Montagne contreRéunion des Musées de France, AJDA 1963,p. 486. A propos d'une étude de Seurat, la Courde cassation indique que « les biens desétablissements publics font partie de domainepublic dès lors que, leur conservation etprésentation au public sont l'objet même duservice public ».
(13) CE 10 juin 1921, Commune de Monségur,Leb. p. 573.
(14) CE Ass. 11 mai 1959, Dauphin, Leb. p. 294« l'allée des Alyscamps, qui appartient à la villed'Arles, est affectée à un service public decaractère culturel et touristique, et qu'elle a faitl'objet d'aménagement spéciaux en vue de cetusage, qu'ainsi cette allée a été incorporée audomaine public communal ».
(15) Pour un panorama sur la question :Hourquebie (F.), « Le domaine public mobilier »,RDP n° 3-2005, p. 635-663.
(16) Cass. Civ. 2 avril 1963, préc. ; TA de Paris9 avril 2004, AJDA 2004, p. 1709. Ce dernierjugement est rendu à propos d'un fragment de lacolonne Vendôme, démolie en 1871, et que desparticuliers avaient pensé pouvoir s'approprier.
(17) Poli (J.F.), La protection des biens culturelsmeubles, LGDJ, Bibliothèque de droit del'urbanisme et de l'environnement, 1996, p. 271-292
(18) Cass. Civ. 2 avril 1963, préc ;
(19) Bastien (H.), « A quoi sert le domaine publicmobilier ? L'exemple des biens culturels », AJDA1993, p. 675 et s ; Hourquebie (F.), « Le domainepublic mobilier », RDP n° 3-2005, p. 635-663.
(20) En ce bornant à recenser les biens protégéspar le code du patrimoine, les collections desmusées de France, les archives historiques, lesobjets mobiliers classés au titre des monumentshistoriques.
(21) Le Conseil constitutionnel a refusé de voirexplicitement dans l'inaliénabilité de certainsbiens un principe constitutionnel ouvrant ainsi aulégislateur la possibilité d'aménager danscertaines limites le régime des biens. Cons.Const., 21 juillet 1994 - Décision n° 94-346 DC,Loi complétant le code du domaine de l'état etrelative à la constitution de droits réels sur ledomaine public ; Cons. Const., 23 juillet 1996 -Décision n° 96-380 DC, Loi relative àl'entreprise nationale France Télécom.Cependant, les biens qui relevaient du domainepublic parce qu'affectés à un service public nepourront être déclassés par le législateur que sice dernier a prévu des mécanismes permettant depréserver l'affectation de ces biens au servicepublic par lequel ils sont utilisés.
(22) Ce n'est que de façon exceptionnelle que detels édifices pourront perdre leur affectation au culteen application de la loi du 9 décembre 1905(article 13) et être retirés aux associations cultuellesqui en ont la jouissance. Cet article vise six cas defigures: pas de célébration pendant six mois (saufcas de force majeure); dissolution de l'associationcultuelle bénéficiaire, mise en cause de l'édificepour insuffisance d'entretien, détournement dedestination de l'édifice, méconnaissance desprescriptions légales relatives à la législation sur lesmonuments historiques, des obligations en matièrede dette, d'emprunts de réparations, de fraisd'assurance ou de charges. Il prévoit que ladésaffectation ou l'affectation à une autreassociation cultuelle se proposant l'exercice dumême culte sera prononcée par décret en Conseild'État (ou depuis un décret du 17 mars 1970 pararrêté préfectoral dont la légalité douteuse, lescompétences en droit ne se déléguant pas sauf textel'autorisant).
(23) CE 10 juin 1921, Commune de Monségur,Leb. p. 573. Dans cette affaire, un bénitier dans uneÉglise appartenant au domaine public communal,s'était détaché de son socle et avait blessé un enfant.Le Conseil d'État déclare la commune responsabledu préjudice subi, du fait de l'absence de travauxpublics nécessaires à l'entretien del'édifice. Les usagers de ce domaine publicimmobilier artificiel bénéficient d'un régime deresponsabilité sans faute à prouver. En cas dedommage, il reviendra à l'administration de prouverqu'elle a correctement entretenu l'ouvrage public.
(24) Ainsi, à propos des collections des musées deFrance, le code du patrimoine vient rappeler cetteinvitation dans son article L. 441-2 « Les muséesde France ont pour missions permanentes de : a)Conserver, restaurer, étudier et enrichir leurscollections ». De même les archives publiques sontl'objet de procédures spécifiques de conservation(notamment art. L. 212-2, Art. L. 212-16,Art. 212-10 du C. Pat.). Une même obligation pèsesur la personne publique propriétaire des biensmeubles classés. L'article L. 622-9 du C. Pat.indique que les personnes publiques « sont tenuesd'assurer la garde et la conservation des objetsclassés ( ) dont ils sont propriétaires ».
(25) AJDA septembre 2000 N° spécial, Culture etservice public.
(26) A titre d'illustration, il est possible dereprendre l'exemple cité par Hervé Bastien(préc. p. 677) de l'hôpital de Melun, qui pouracquérir un scanner, avait mis en vente deuxtableaux flamands du XVIIe siècle dont il étaitpropriétaire. N'ayant jamais été affectées àl'usage du public ou d'un service public, ellesrelevaient du domaine privé de l'établissement etétait donc aliénables. C'est le seul classement autitre des monuments historiques qui est venulimiter les possibilités de cession (Clochemerlepour deux chefs d'oeuvres, Le Figaro,28 décembre 1992).
(27) Cette limite n'est toutefois pas applicable dèslors que la loi elle-même a classé le bien dans ledomaine public indépendamment de toute idéed'affectation.
(28) Préc. p. 488.
(29) Cette « rigidité excessive » est égalementsoulignée par Hervé Bastien (article précité, p. 679)
(30) Art. L. 111-1 et s du C. Pat. fixant le régimede circulation des biens culturels.
(31) Art. L. 451- 3 du C. Pat. 31. Art. L. 451-3 du C. Pat.
(33) Si des interrogations ont pu naître sur lespossibilités de transfert de biens du domainepublic entre personnes publiques (Douence (M.),« L'inaliénabilité du domaine public, De lanécessité de revoir la règle de l'indisponibilité desdépendances domaniales entre personnespubliques », AJDA 2006, p. 238-246), la questiondes biens culturels qui n'est pas abordée parl'auteur, est réglée dans un sens positif).
(34) Bastien (H.), préc. p. 675.
(35) Section I: Des destructions, dégradations etdétériorations ne présentant pas de danger pourles personnesArticle 322-1; La destruction, la dégradation ou ladétérioration d'un bien appartenant à autrui estpunie de deux ans d'emprisonnement et de30000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résultéqu'un dommage léger.( )Article 322-2 ; L'infraction définie au premieralinéa de l'article 322-1 est punie de trois ansd'emprisonnement et de 45000 euros d'amende etcelle définie au deuxième alinéa du même articlede 7500 euros d'amende et d'une peine de travaild'intérêt général, lorsque le bien détruit, dégradéou détérioré est : (...)3º Un immeuble ou un objet mobilier classé ouinscrit, une découverte archéologique faite aucours de fouilles ou fortuitement, un terraincontenant des vestiges archéologiques ou un objetconservé ou déposé dans un musée de France oudans les musées, bibliothèques ou archivesappartenant à une personne publique, chargéed'un service public ou reconnue d'utilitépublique;4º Un objet présenté lors d'une exposition àcaractère historique, culturel ou scientifique,organisée par une personne publique, chargéed'un service public ou reconnue d'utilité publique
(36) Duguit (L.), Traité de droit constitutionnel,tome III, de Boccard, 1923.
(37) CE 17 février 1932, Commune de Barran,D. 1933, III, p. 49 Note Capitant (R.).
(38) Art. L. 451-10 du C. Pat.
(39) Mais on la trouve aussi développée pourd'autres catégories de biens affectés à des servicespublics. La loi du 20 avril 2005 transforme lestatut juridique d'Aéroports de Paris (ADP),d'établissement public il devient société anonymeperdant ainsi toute possibilité de disposerd'un domaine public. Cependant le législateur apris soin de maintenir l'affectation légale desédifices confiés au nouveau gestionnaire. Cettetechnique avait déjà été utilisée lors de la transformationen société anonyme de France télécompar la loi du 26 juillet 1996.Fatome (E.), « Le régime juridique des biensaffectés à un service public », AJDA 2006, p. 178-183.