L'ESSENTIEL La loi du 29 juillet 1881 est silencieuse quant aux critères de la bonne foi. Il s'agit pourtant d'une notion essentielle au procès de presse qui rappelle par ses éléments constitutifs la déontologie journalistique. La jurisprudence a dessiné les contours de cette notion indispensable à l'effectivité du principe constitutionnel de liberté de la presse, en élaborant une vraie théorie de ce fait justificatif, articulée autour de quatre exigences distinctes et cumulatives au vu desquelles doit s'effectuer la démonstration journalistique. Il paraît difficile de répondre catégoriquement à la question de la hiérarchisation des critères de la bonne foi. Toutefois, il est loisible de relever que le fait de satisfaire à tel critère donné dans une proportion considérable pourra autoriser une certaine insuffisance par rapport à tel autre. La Cour suprême exerce un contrôle rigoureux sur la manière dont les juridictions du fond appliquent ces critères de la bonne foi du journaliste. L'élaboration de cette notion prétorienne, très vivante, rappelle les méthodes et la réflexion de la CEDH, dont la jurisprudence affiche en cette matière une proximité révélatrice de l'influence exercée sur les juridictions nationales. De la même façon, l'appréhension de la pratique journalistique traduit l'influence de cette notion sur la production éditoriale.
Dans son Traité des injures dans l'ordre judiciaire, publié en 1775, Me Dareau, avocat au Parlement et au Praesidial de la Marche à Guéret relevait : « il est de première maxime en ce genre qu'il n'y a point d'injure où il n'y a point d'intention d'injurier./..si au contraire, je m'attache à tourner quelqu'un en ridicule./..je deviens coupable.Je ne le suis pas si, dans ce que je dis ou ce que je fais, il n'y a que de la bonne foi./..il faut que cette bonne foi se présume d'elle-même ...
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
1er avril 2006 - Légicom N°35
3007 mots
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(2) L'auteur précise toutefois que « si les imputationsn'ont point trait à une accusation judiciaire,il faut encore distinguer entre les imputationspar écrit et les imputations verbales ; cellesqui sont consignées dans des libellés ne reçoiventpoint d'excuses de la vérité du fait, la choseserait de trop grande conséquence, à moinsqu'elles n'aient été provoquées par d'autres imputations de la même nature ».
(3) Cass. Crim., 21 juill. 1953, Bull. n° 254.
(4) Qui lui-même se décompose en dolus generalis(volonté de tenir un discours dont on perçoitle caractère diffamatoire) et dolus specialis(conscience du préjudice que le discours diffamatoireva produire) : cf. sur ce point Mimin, note sscrim., 27 oct. 1938, D. 1939, I, p. 77-80.
(5) Mimin, note ss crim., 27 oct. 1938, D. 1939, I,p. 79.
(6) Cass. crim. 15 mars 1821, Bull. Crim n° 36.
(7) Cass. crim., 19 févr. 1870, D. 74, 5, 392.
(8) Portalis, Choix de rapports, T. XVI, p. 99.
(9) Le principe de cet élément intentionnel futrappelé lors de la publication d'un article parMe Isambert dans la Gazette des tribunaux du 14sept. 1826 dénonçant les arrestations arbitrairesau motif que les gendarmes ne pouvaient arrêterqu'en cas de flagrant délit. Le Parquet poursuivitet la Cour d'appel de Paris releva, par arrêt du 27 mars 1827, que « l'exposition de cette doctrinene contient pas intentionnellement de provocationà la rébellion ou à la désobéissance auxlois ». De même, la Cour de cassation rappelleraque « la loi du 17 mai 1819 n'a pas dérogé auxprincipes généraux du droit suivant lesquels, àmoins d'une disposition expresse de la loi, il nepeut exister de délit qu'autant que le fait matérielqui le constitue a été commis avec l'intention denuire ». (Cass., 12 août 1842, Aubry-Foucault ;
(10) Cass., 15 mars 1821, Augé c/ Hondrat ; Cass.,18 juillet 1851, Antoinette Chomat ; Cass. crim.,20 juill. 1855, Bull. ; ibid. : Cass. crim.,30 juin 1893, Bull. n° 173.
(11) Le Poittevin Gustave, Traité de la Presse,Tome 2, Larose 1903, § 732, p. 270.
(12) CAAix, 19 février 1869, D. 69, 1, 83. LePoittevin approuve la solution au motif qu'ilconvient de distinguer le mobile de l'intention etque le travail de telles agences peut échapper à ladiffamation par l'absence de publicité des rapports.Op. cit., T 2, § 738, p. 282-283.
(13) Cass. crim., 29 août 1846, D.P. 46/1/382.
(14) Cass. crim. 10 nov. 1876, D.1877, 1, 44.
(15) Le Poittevin Gustave, Traité de la Presse,Tome 1, Larose, 1902, § 545, p. 615-616. Pourun avis contraire : Chavegrin Ernest, note sscass., 23 oct. 1886, S. 87.1.441 ; P. 87.1.1 077.
(16) Le Poittevin Gustave, Traité de la Presse,Tome 2, Larose 1903, § 730, p. 269. Enpage 291, l'auteur est encore plus vif en relevant« nous pensons donc que les journalistes nejouissent d'aucune immunité spéciale, en raisonde leur prétendue mission de renseigner le public ; s'ils veulent publier des informations,c'est à leur risque et périls, et le droit commundoit leur être appliqué purement et simplement ».
(17) Blin, Chavanne, Drago, Traité du Droit de lapresse, Litec, 1969, p. 252, § 357 et les auteursde préciser justement que les décisions jurisprudentielles« confondent l'intention de nuire etl'absence de motif légitime de diffamer, ce quin'est pas la même chose./..l'intention de nuiren'est qu'un mobile ».
(18) Cass. crim., 27 juin 1851, D. 51, 5, 416.
(19) Cass. crim., 15 mars 1821, Bull. ; crim.,16 mars 1850.
(20) Cass. crim., 25 avril 1885, D. 1885, 1, 479.
(21) La 2e édition paraîtra après la mort deBarbier et l'ouvrage sera actualisé par deuxmagistrats : Paul Matter qui deviendra 1erPrésident de la Cour de cassation et J. Rondelet.
(22) Barbier, op. cit., p. 423, § 417 citantBordeaux, 17 juin 1891, Gaz Pal. 91, 2, 91 ;Lyon, 11 mai 1887, Mon. Lyon, 30 août ; Paris, 6déc. 1890, D. 91, 2, 366 et la note.
(23) Cass., 8 févr. 1909, Gaz Pal., 12 févr., citépar Barbier en p. 282 de son ouvrage.
(24) Cass. crim., 27 juin 1851, D. 51, 5, 416.
(25) CA Montpellier, 4 juin 1861, D. 1862, I,385, : erreur d'un journaliste annonçant la poursuitecriminelle de faits réellement commis maisfaisant soupçonner, contre la volonté du journaliste,une personne étrangère à la réalisation del'infraction.
(26) CA Paris, 13 mai 1887, D. 1888, 2, 275 : révélation,par un actionnaire, des antécédents commerciauxd'un administrateur lors d'une assembléegénérale, sans animosité personnelle maisdans le souci de la situation de la société, des antécédentscommerciaux d'un administrateur. Il a étéjugé qu'il n'y avait pas délit de diffamation.
(27) Note sous Cass. Crim., 30 déc. 1904, DP1906.1.361.
(28) CA Paris, 17 juillet 1874, D.P. 75.5.345.
(29) Mimin, note ss crim., 27 oct. 1938, D. 1939,I, p. 80.