L'ESSENTIEL Tout aussi essentielle qu'elle soit dans une société démocratique, la liberté d'information, y compris s'agissant de l'information relative à l'action de la police et de la justice, se heurte nécessairement à un certain nombre de restrictions, au nom de la garantie d'autres droits et libertés. Il en est ainsi des dispositions spécifiques visant à assurer le respect du secret de l'enquête et de l'instruction et de la présomption d'innocence et de celles, de portée plus générale, également applicables en la matière. La multiplication de règles restrictives ne doit cependant pas remettre en cause le souci d'équilibre des droits et des libertés. Cette seconde réflexion porte essentiellement sur le secret de l'instruction et la question des divulgations et de la communication, notamment faite par le parquet et la police, à la presse. Qui informe ? Sur quoi peut porter la communication officielle ? Existe-t-il des stratégies de communication mises en place par l'institution judiciaire ? Pour certains, le dispositif législatif s'inscrit dans l'incohérence avec, d'une part, une obligation au secret et, d'autre part, certaines dérogations comme la possibilité au parquet de communiquer sur des éléments objectifs ou le droit à la protection des sources des journalistes. Le nécessaire travail d'investigation et l'indépendance du journaliste prennent alors toute sa portée pour préserver la logique d'information et éviter les écueils d'une logique de communication, de plus en plus présente dans les médias.
Ala différence de bien d'autres systèmes ou régimes politiques et d'information, dans la tradition juridique française, la garantie des droits et des libertés est recherchée sinon pleinement assurée par l'équilibre à l'image de la balance, plus que du glaive, représentant la Justice que l'on tente d'établir entre eux. La question de la conciliation ou de la cohabitation de la liberté d'expression ou du droit à l'information, d'une part et, d'autre part, du secret de l'enquête ...
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
1er janvier 2005 - Légicom N°33
6739 mots
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(2) Pour une introduction générale à cette question,voir Lévy, J.-P., Droit à l'information et secretde l'enquête et de l'instruction : la cohabitationest-elle possible ?, Légipresse, n° 211.I.71-72.
(3) Voir notamment Derieux, E., Informationpolicière et judiciaire, Droit de la communication,LGDJ, 4e éd., 2003, pp. 473-507 ;Errera, R., dir., Justice pénale, police et presse,Editions Cujas.
(4) Continue ainsi de nous paraître totalementinfondé et injustifié le principe auquel se réfèrela Cour européenne des droits de l'homme,notamment dans son arrêt Sunday Times, selonlequel « elle ne se trouve pas devant un choixentre deux principes antinomiques, mais devantun principe la liberté d'expression- assortid'exceptions qui appellent une interprétationétroite » (CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c.Royaume-Uni, § 65, in Derieux, E., Droit de lacommunication. Droit européen et international.Recueil de textes, Victoires-Editions, 2000,pp. 139-151),
(5) Pour un traitement plus large, voirDerieux, E., Information policière et judiciaire,Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2004,pp. 473-507 ; Derieux, E., Les comptes rendusd'audience, Association française de droit pénal,Liberté de la presse et droit pénal, PUAM, pp.269-284 ; Derieux, E., L'image des procès,L'image menacée ?, Victoires Editions, pp. 96-106; Errera, R., dir., Justice pénale, police etpresse, Editions Cujas
(6) Sur cette question, voir : Albertini, J.-P.,Vers un Code de la communication, Légipresse,n° 102.II.45-56 ; Derieux, E., Le projet de Codede la communication et du cinéma, JCP1997.I.4007.
(7) Sur les apports de la loi du 15 juin 2000 dansle droit de la communication, voir : Derieux, E.,La loi du 15 juin 2000 et le droit de lacommunication, Petites affiches, 18 juillet 2000,n° 142, pp. 16-19 ; Leclerc, H., Présomptiond'innocence et droits des victimes, Légipresse,n° 174.IV.83-88 ; Louvet, M.-N., Les nouveauxdélits de presse de la loi du 15 juin 2000,Légipresse, n° 177.II.142-145.
(8) Voir ci-dessous.
(9) Et qui, en conséquence, échappent à sesparticularités de procédure, généralement trèsprotectrices des médias ce qui explique sansdoute en partie qu'elles aient été très critiquéespar eux !
(10) Auvret, P., Le droit au respect de laprésomption d'innocence, JCP 1994.I.3802 ;Robert, J.-H., La protection de la présomptiond'innocence selon la loi du 4 janvier 1993,Association française de droit pénal, Liberté dela presse et droit pénal, PUAM, pp. 105-147.
(11) Dans le même esprit et de façon spécifique,l'article 8 de la Convention du 8 octobre 2001entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et lasociété Télévision française 1 rappelle que : dansle respect du droit à l'information, la diffusiond'émissions, d'images, de propos ou dedocuments relatifs à des procédures judiciairesou à des faits susceptibles de donner lieu à uneinformation judiciaire nécessite qu'une attentionparticulière soit apportée [ ] au respect de laprésomption d'innocence, c'est-à-dire qu'unepersonne non encore jugée ne soit pas présentéecomme coupable [ ] Lorsqu'une procédurejudiciaire en cours est évoquée à l'antenne,la société doit veiller à ce que : l'affaire soittraitée avec mesure, rigueur et honnêteté ;le traitement de l'affaire ne constitue pasune entrave caractérisée à cette procédure ;le pluralisme soit assuré par la présentationdes différentes thèses en présence, en veillantnotamment à ce que les parties en cause ouleurs représentants soient mis en mesure defaire connaître leur point de vue.
(12) Cour de cassation, ch. crim., 13 novembre2001, R. Thérond et autres.
(13) Voir Loi Perben II : ses incidences en droitde la communication, Légipresse, n° 210.IV.23-28, note E. Derieux ; Derieux, E., France : uneloi peut en cacher bien d'autres, Medialex,juin 2002, pp. 77-78.
(14) Derieux, E., Référé et liberté d'expression, JCP 1997.I.4053.
(15) L'arrêt du 13 novembre 2001, ne fait-il pasplutôt figure d'exception lorsque, à propos de lapublication de photographies prises, par la policejudiciaire, au cours de filatures réalisées dans lecadre de l'enquête préliminaire, il retient que« les trois photographies publiées constituent desactes de procédure au sens de ce texte, et qu'iln'importe qu'elles n'aient pas figuré dans ledossier d'instruction au moment où elles ont étérendues publiques » (Cass. crim., 13 novembre2001, R. Thérond et autres).
(16) Voir : Cour d'appel de Rouen, 20septembre1993, Légipresse, n° 131.I.148 ; Cass. civ.,1re,6 mars 1996 ; Cass. civ. 1re, 12 juillet 2001 ;Cass. civ., 2e, 20 juin 2002, M. Lhéritier,Légipresse, n° 198.III.5-6, note B. Ader ; TGIParis, réf., 31 octobre 2003, M. Tellenne c. M.-O.Fogiel et autres, Légipresse, n° 207.III.204-205 ;Cass. civ., 2e, 13 novembre 2003, X. c.Le Monde Pour un bilan général de l'application de cesdispositions, voir : Ader, B., Le respect de laprésomption d'innocence par la presse 10 ansaprès !, Légipresse, n° 203.II.95-100 ; Bureau,H., La présomption d'innocence devant le jugecivil. Cinq ans d'application de l'article 9-1 duCode civil, JCP 1998.I.166.
(17) Puisque, selon certains, le recel nepourrait concerner qu'une chose ou un objet,et non une information
(18) Voir : Derieux, E., Présomption d'innocenceet liberté d'information, note sous Cedh,21 janvier 1999, Jcp 1999.II.10120.
(19) Même si, parfois, les juridictions françaisesont pu faire un peu de résistance à l'égard de lajurisprudence de la Cour européenne. Voir :Cass. crim., 19 juin 2001, Dupuis et Pontaut,Légipresse, n° 185.III.161-168, note Y. Baudelot.Sur la résistance des juridictions françaises àl'égard de la jurisprudence de la Cour européenne,voir : Auvret, P. et Guerder, P., Le jugefrançais peut-il opposer une résistance auxsolutions dégagées par la Cour européenne desdroits de l'homme, in Le droit de la communicationà l'épreuve de l'Europe : construction etrésistance. Actes du Forum Légipresse du jeudi2 octobre 2003, Légicom, n° 30, pp. 95-116.
(20) Voir : Ader, B., Le secret de l'instruction etla presse, Légipresse, n° 183.II.87-92 ; Charon,J.-M. et Furet, Cl., Un secret si bien violé. La loi,le juge et le journaliste, Seuil ; Derieux, E.,Secret de l'instruction et droit à l'information,Petites affiches, 11 juin 1997, pp. 6-11 ; Pradel,J., Secret des procédures et presse, in Ass. fr. dedroit pénal, Liberté de la presse et droit pénal,PUAM, pp. 291-309.
(21) Voir l'arrêt Sunday Times, du 26 avril 1979.
(22) Cedh, 3 octobre 2000, du Roy et Malaurie c.France, Légipresse, n° 177.III.195-203, note M.-N. Louvet.
(23) Derieux, E., Loi Perben II' : ses incidencesen droit de la communication, Légipresse,n° 210.IV.23-28.
(24) Cass. civ., 2e, 14 décembre 2000.
(25) Cass. crim., 13 février 2001, J.-M. Sainte-Luce c. B. Wouts et autres. Rappelant le « devoirde prudence s'imposant à tout journaliste dansl'expression de sa pensée », la Cour de cassationa cependant considéré qu'avait été justifié le faitque, dans une action en diffamation, un journalisteait été privé du bénéfice de la bonne foi, dès lorsque « la présentation de l'affaire, tout comme lestyle délibérément accusateur et le recours à desformules et expressions tendancieuses manquentà la mesure nécessaire dont les auteurs auraientdû faire preuve à l'égard de personnes bénéficiantde la présomption d'innocence » (Cass.crim., 28 octobre 2003).
(26) Cass. civ., 1re, 12 juillet 2001.
(27) Cedh, 18 mai 2004, Sté Plon c. France,Légipresse, n° 215.II.173-179, note E. Derieux.
(28) Cass., ass. plén., 12 juillet 2000, ConsortsErulin, Légipresse n° 175-III, p. 153 + conclusionsde M. Joinet ; Petites affiches, 14 août2000, note E. Derieux. Cette formule a étéreprise dans de nombreux arrêts de la 2e chambrecivile sans qu'une telle répétition, qui n'apparaîttoujours pas davantage fondée, emportevéritablement la conviction !
(30) La liaison avec le présent sujet tient au faitque, poursuivis pour recel de violation du secretde l'instruction, des journalistes « contestaientavoir obtenu les informations de façon inexacte,mais refusaient de révéler leurs sources » (Cass.crim., 19 juin 2001). Sur cette question, voir :Derieux, E., Le secret professionnel desjournalistes, Légipresse, n° 57, pp. 82-88 ;Derieux, E., Le droit au secret des sourcesd'information en droit français, Légipresse,n° 149.II.17-23 ; Guedj, A., La protection dessources journalistiques, Bruylant ; Jacquemin,M., La protection des sources des journalistes,CFPJ éditions.
(31) Derieux, E., Loi Perben II : sesincidences en droit de la communication,Légipresse, n° 210.IV.23-28.
(32) Voir : Derieux, E., La protection dessources d'information des journalistes,Droit européen et international des médias,LGDJ, 2003, pp. 153-182.
(33) Cedh, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, Légipresse, n° 132.III.70-80, note E. Derieux.
(34) Cedh, 25 février 2003, Roemen et Schmit c.Luxembourg, Légipresse, n° 2003.III.110-116,note E. Derieux.
(35) Prenant en compte l'ensemble des droitset libertés consacrés par ladite Convention, laRecommandation Rec(2003)13 du 10 juillet2003 du Comité des ministres aux Etatsmembres sur la diffusion d'informations par lesmédias en relation avec les procédures pénalesévoque cette exigence de conciliation et d'équilibrede ces droits et libertés. Dans son préambule,elle rappelle « le droit fondamental à laliberté d'expression et d'information tel qu'il estgaranti par l'article 10 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme [ ] quiconstitue un des fondements essentiels d'unesociété démocratique », mais aussi que « lesdroits à la présomption d'innocence, à un procèséquitable et au respect de la vie privée etfamiliale, garantis par les articles 6 et 8 de laConvention, constitue des exigencesfondamentales qui doivent être respectées danstoute société démocratique » et considère, enconséquence, « les intérêts éventuellementconflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10de la Convention et la nécessité d'assurer unéquilibre entre ces droits au regard des circonstancesde chaque cas individuel » (Légipresse,n° 206.IV.85-90, note B. Ader et F. Gras).
(36) Pour une analyse de cette jurisprudence etde son influence en droit français des médias,voir : Cohen-Jonathan, G., La libertéd'expression dans la Convention européenne desdroits de l'homme, Légipresse, n° 108.VI.1-10 etn° 110.VI.13-22 ; Derieux, E., Libertéd'expression et responsabilité des médias dansla jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l'homme, Droit européen etinternational des médias, LGDJ, 2003, pp. 193-205; Garcia San José, I., La liberté d'expressiondans la jurisprudence de la Cour européennedes droits de l'homme. Analyse critique,Légipresse, n° 207.II.159-162 ; Leclerc, H., Lesprincipes de la liberté d'expression et la Coureuropéenne des droits de l'homme, Légipresse,1999, n° 167.II.145-150 ; Louvet, M.-N.,Incidence de l'article 10 sur la loi française,Forum Légipresse, Le droit de la presse de l'an2000, Victoires Editions, pp. 99-108 ; Ruet, C.,Expression par l'image et Cedh : confrontationdes approches interne et européenne, Légipresse,n° 198.II.1-6.
(37) Voir : Pech, L., La liberté d'expression etsa limitation. Les enseignements de l'expérienceaméricaine au regard d'expériences européennesAllemagne, France et Convention européennedes droits de l'homme, LGDJ.
(38) Ne serait-ce que par référence à l'article 10de la Convention de sauvegarde des droits del'homme, considéré dans son intégralité, on nesaurait partager le point de vue exprimé par laCour européenne qui, dans plusieurs de sesarrêts, considère qu'« elle ne se trouve pasdevant un choix entre deux principesantinomiques, mais devant un principe laliberté d'expression assorti d'exceptions quiappellent une interprétation étroite» (voirnotamment arrêt Sunday Times, du 26 avril1979, § 65).