L'ESSENTIEL Le fait devance le plus souvent le droit. Le phénomène de fond qui voit l'explosion de la diffusion de musique en ligne qu'il s'agisse d'échanges peerto- peer, de web radios ou de téléchargement payant, contraint le droit à s'adapter. Des web radios diffusent en effet des programmes exclusivement sur le réseau Internet ( streaming), la plupart des radios hertziennes diffusent, elles, l'intégralité de leurs programmes en simultané ( simulcasting), enfin des sites proposent, moyennant le paiement d'un prix, des morceaux de musique pour une seule ou plusieurs écoutes. Plusieurs qualifications juridiques, qui ne sont pas nécessairement concurrentes, apparaissent de nature à se superposer pour ces nouveaux modes de diffusion ; elles empruntent avant tout au droit de la propriété intellectuelle et au droit civil. Les diffusions en simulcastingconstituent indéniablement des communications au public et sont donc soumises au droit de représentation. Pour s'affranchir de l'obligation d'autorisation, les distributeurs de musique ne peuvent invoquer le bénéfice du système de la licence légale que si le mode de diffusion peut être qualifié de radiodiffusion. Or celui-ci est difficilement attribuable aux web radios par exemple. À côté des considérations du droit de la propriété intellectuelle, le droit civil a vocation à régir les relations entre le diffuseur et le consommateur de musique en ligne. Ces rapports pourront ainsi être qualifiés selon les cas, de contrat d'entreprise ou de louage d'ouvrage ou encore de contrat de location.
« Le galet n'est pas une chose facile à bien définir.Si l'on se contente d'une simple description l'on peut dire d'abord que c'est une forme ou un état de la pierre entre le rocher et le caillou.Mais ce propos déjà implique de la pierre une notion qui doit être justifiée. Qu'on ne me reproche pas en cette matière de remonter plus loin même que le déluge. » Francis Ponge, Le parti pris des choses (2) LE DÉLUGE, lorsque l'on se propose de qualifier la musique en ligne, n'est point ...
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris Varet Près société d'avocats
1er septembre 2004 - Légicom N°32
6619 mots
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(2) L'auteur tient à remercier chaleureusementAlain Hazan et Stéphane Pessina pour leurrelecture attentive de cet article et leurssuggestions plus qu'utiles à cette occasion.
(4) Au passage, relevons que la nature même dela musique en ligne exclut, à notre sens, des'arrêter, sous l'influence d'une perception issuedu commerce traditionnel, à une conceptionétroite du terme de distribution, qui évoque lesproduits matériels. Si le vocabulaire juridique del'association Henri Capitant définit ladistribution comme la « fonction économiqueconsistant à assurer l'écoulement des produitsdu stade de la production à celui de laconsommation », il est évident que c'estl'essence de l'opération qui importe (VocabulaireJuridique H. Capitant, sous la direction deG. Cornu, PUF 8e éd. 2000). On pourranéanmoins lui préférer, à l'avenir, le terme dediffusion, qui présente l'avantage d'être plusconforme aux concepts de la propriétéintellectuelle et en particulier d'éviter le risquede confusion avec le nouveau droit dedistribution créé par la directive 2001/29 du22 mai 2001 (article 4).
(5) Le 15 octobre 1999, Le Monde publiait unarticle intitulé « L'industrie du disque réagit face àla consommation en ligne sur Internet » (LeMonde, vendredi 15 octobre 1999, p. 30). Quatreannées et demi et des dizaines d'articles plus tard,parus dans toute la presse, il titrait en une :« Musique: crise du disque, succès dutéléchargement » (Le Monde, jeudi 29 avril 2004).
(6) V. par ex. l'article de Y. Eudes, « Envoyez lamusique ! », Le Monde, jeudi 29 avril 2004,p. 29.
(7) Étude citée par Y. Eudes, ibid.
(8) Selon le site journaldunet.com, la relationpeer-to-peer (de pair à pair) est une relationd'échanges réciproques qui unit directementdeux acteurs de même statut (des pairs, donc). Àl'origine, l'expression désigne une technologied'échange de fichiers entre internautes,permettant à deux ordinateurs reliés à Internet decommuniquer directement l'un avec l'autre sanspasser par un serveur central. Au-delà, elledésigne le modèle économique qui y est associéet permettant une mise en commun à une vasteéchelle de données ou de capacités, débouchantainsi sur une réduction spectaculaire des coûts.Napster a été le modèle le plus spectaculaire dela réussite technologique du P2P et de sonéchec économique.
(9) O. Cayla, « La qualification, ou la vérité dudroit », in La qualification, Droits n° 18, 1993, p. 2.
(10) Ibid., p. 3/4.
(11) O. Cayla, ibid., p. 9.
(12) Et encore, malgré toute la vigilance(faillible) à laquelle s'efforcera le juriste àl'égard de ses a priori, l'exercice comporteratoujours du jeu, puisque la matière même dudroit est les mots et leur interprétation.
(13) La nature d'Internet imposerait presque demener une étude comparative systématique.Nous avouerons néanmoins qu'une telle étudedépasse nos compétences, et en laisserons le soinà d'autres. En relevant toutefois que les quelqueslueurs des droits étrangers que nous avons puapercevoir et dont nous ferons, à l'occasion, étatdans les lignes qui suivent, laissent penserqu'une certaine convergence se fait jour.
(14) Ressource du droit pour faire face à lacomplexité des choses ?
(15) Bien entendu, le droit d'auteur et le droitdes artistes-interprètes comportent également undroit moral, qui pose une problématiquedistincte, que nous laisserons ici de côté.
(16) Comp. articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI.
(17) Seul le principe de la nécessité d'uneautorisation se trouve ainsi posé ; les modalitésde celle-ci peuvent encore varier selon le modede distribution en cause et les qualifications ensous-ordre que l'on pourra, le cas échéant, luiappliquer : cf. infra, B.
(18) Article L. 122-5, 2° et L. 211-3, 2° du CPI.
(19) Articles 1er et 2 du projet, qui ajoutentrespectivement un 6° et un 5° aux articlesL. 122-5 et L. 211-3 du CPI.
(20) Voir, en ce sens, le considérant (33) de ladirective 2001/29 en date du 22 mai 2001.
(21) En ce sens, le considérant (33) cité noteprécédente.
(22) À cet égard, les différents accords mis enplace par les sociétés de gestion collective desdroits d'auteur et de droits voisins pour permettreaux diffuseurs de musique en ligne de solliciter unelicence unique multi-territoire / multi-répertoire,s'ils facilitent heureusement le travail de cesderniers, ne suppriment pas la nécessité d'obtenirdes autorisations distinctes selon les droits encause. En effet, il existe des accords pour le droitd'auteur (les accords de Santiago deseptembre 2002, sur lesquels v. T. Desurmont,Auteurs et médias, 2002, n° 2, p. 135-139 et ceuxde Barcelone) et d'autres pour les droits voisins(l'accord réciproque type soumis à la Commissioneuropéenne par les sociétés de gestion collectivesous l'égide de l'IFPI et ayant donné lieu unedécision d'exemption de la Commission en date du8 octobre 2002). Ces accords sont au demeurantmenacés par le droit de la concurrence, malgré ladécision de la Commission précitée relative auxaccords concernant les droits voisins et un premierexamen, en 2001, des accords de Santiago. Eneffet, celle-ci vient d'annoncer qu'elle lançait uneprocédure d'enquête sur les accords de Santiago(communiqué IP/04/586 du 3 mai 2004).
(23) Parmi une abondante littérature, nousciterons : C. Chamagne, « L'utilisation de musiquesur Internet, aperçu des premières interrogationset des premières décisions », Légicom n° 21,janvier 2000, pp. 11-27; S. Nikoltchev et F. J.Cabrera Blázquez, « MP3: usage loyal oudéloyal? », in Iris Focus : Le droit d'auteur àl'ère du numérique, publication de l'observatoireeuropéen de l'audiovisuel, Victoires-Éditions,2000, pp. 21-27 ; A.-M. De Matos, « Musique enligne et droit d'auteur », Légipresse n° 179,mars 2001, pp. 21-25; D. Lefranc, Le nouveaupublic (réflexions comparatistes sur les décisionsNapster et MP3.com), D. 2001, chron. 107 ets. ; E. Chevrier, « Synthèse du Forum Dalloz:pour ou contre le droit de copier des fichiersprotégés sur Internet », D. 2001, Forum, p. 459-460; E. Papin, « Le droit d'auteur face au peer-topeer,l'échange de fichiers musicaux surInternet », Légipresse n° 199, mars 2003, p. 26 ets. ; Y. Gaubiac, « Logiciels de distribution demusique peer-to-peer. Affaire RIAA c/ Verizon »,CCE mars 2004, chron. 11.
(24) Qualification qui, nous l'avons dit plushaut, nous semble, dans son esprit, concerner detoutes autres situations.
(25) Les premières décisions sont moins tranchéesqu'on le dit parfois: TGI Paris, ord. réf. 14 août1996, D. 1996, J. 491 et s., note P.-Y.; Gautier; TGIParis, ord. réf. 5 mai 1997, www.legalis.net; en senscontraire, la seconde décision Queneau, critiquée:TGI Paris, ord. réf. 10 juin 1997, Expertisesaoût/septembre 1997, p. 283 et s., obs. F. Olivier.
(26) La position française n'est pas toujourspartagée à l'étranger ; ainsi, une Cour fédéralecanadienne a, le 31 mars 2004, refusé de délivrerune injonction sollicitée par l'Associationcanadienne de l'industrie de l'enregistrement àl'encontre de divers fournisseurs d'accès à Internetaux fins d'identifier des internautes ayant effectuédes téléchargements de fichiers sans autorisation,au motif qu'il n'était pas établi qu'une infractionprincipale était constituée. V. Michel Solis,Musique en ligne, Direction informatique, jeudi6 mai 2004. Selon ce commentateur, lesjuridictions supérieures pourraient cependantinfirmer cette solution. Pour un état du droitaméricain, nous renverrons aux articles deD. Lefranc et Y. Gaubiac, cités supra, note 22.
(27) En ce sens, parmi une abondante littérature,voir par ex. : P. Sirinelli, « Internet et droitd'auteur », Droit et patrimoine n° 55, déc. 1997,p. 74 et s. ; J. Passa, « La protection des droitspatrimoniaux d'auteur sur l'Internet en droitfrançais », Revue de recherche juridique, 1999,1, pp. 79-120, spécialement n° 28 et s. ; et, dumême auteur, « Internet et droit d'auteur »,Juriscl. PLA, fasc. 1970, notamment n° 85 et s.
(28) En ce sens, par exemple, J. Passa, « Ladirective du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur etles droits voisins dans la société del'information », JCP 2001, I, 331.
(29) CJCE, 18 mars 1980, Coditel, aff. 62/79,Rec. p. 833, RIDA n° 105, juill. 1980, 156, obs.A. Françon.
(30) L'une des qualifications de droit civilenvisageable pourrait, dans l'absolu, remettre encause cette analyse, pourtant établie de manièreferme en droit communautaire de la propriétéintellectuelle. En effet, si le téléchargementpayant d'un fichier peut s'analyser comme unevente, alors il peut être qualifié de distributionplutôt que de communication au public et,comme tel, être soumis à l'épuisement du droit.Au terme de l'analyse, il nous est apparu,cependant, que la qualification de vente n'étaitpas pertinente cf. infra, II, A-).
(31) Celle de diffusion par câble simultanée etsans changement, voir infra, 2°.
(32) En ce sens, C. Chamagne, op. cit. supra,note 22. Nous n'avons pas trouvé de prise deposition récente des intéressés sur le sujet, maisles sites web des différentes sociétés de gestioncollective ne proposent pas de tarifs spécifiquesau mode de diffusion considéré. Signe que laquestion n'est peut-être pas totalement réglée ?
(33) En ce sens, V.-L. Bénabou, « La décisionSimulcasting: gestion collective, Internet etconcurrence, trois ingrédients pour une nouvellerecette », Légipresse n° 200, avril 2003, II, 35 et s.
(34) Sur le régime fort complexe du droitaméricain, v. la veille de droit anglo-américainde P. Kamina, CCE déc. 2003, Actualités, p. 5.
(35) Les travaux préparatoires de la loi du3 juillet 1985, loi dont est issu l'article L. 214-1,montrent en tout cas que la volonté dulégislateur a été d'intégrer tous les systèmescâblés existants à l'époque, indépendamment del'existence, ou non, d'une interactivité. Celle-cine saurait donc devenir un critère discriminantpour Internet. En ce sens, C. Colombet, « Lesdroits voisins », in Droit d'auteur et droitsvoisins, la loi du 3 juillet 1985, colloque del'IRPI, 21 et 22 novembre 1985, LITEC - IRPI1986, p. 125 et s.
(36) Ainsi, l'accord type soumis à laCommission européenne par l'intermédiaire del'IFPI en vue de l'obtention d'une exemption surle fondement de l'article 81 § 3 du traité CE, quia donné lieu à une décision de la Commission du8 octobre 2002. Sur cette décision, voir lespassionnantes observations de V.-L. Bénabou,ibid., et de P. Boiron et B. Honorat, « Ladécision simulcast : vers la mise enconcurrence des sociétés de gestion collective »,CCE janvier 2004, chron. 19.
(37) En ce sens, V.-L. Bénabou, ibid.
(38) V. supra, I, A.
(39) Dans le même sens, à propos dutéléchargement d'un logiciel, A. et H. J. Lucas,Traité de propriété littéraire et artistique, Litec,2e édition, 2001, n° 686.
(40) Cf. supra, I, A.
(41) Un droit de location est expressémentreconnu par le CPI au profit des producteurs dephonogrammes (article L. 213-1, al. 2) mais nondes artistes-interprètes. On sait, en effet, que ladirective 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre1992, relative au droit de location et de prêt et àcertains droits voisins du droit d'auteur dans ledomaine de la propriété intellectuelle (JOCE n° L346 du 27 novembre 1992 p. 0061-0066)reconnaissant cette prérogative n'a pas ététransposée en droit français. Le gouvernementfrançais avait estimé que la rédaction du code dela propriété intellectuelle satisfaisait aux objectifsdu texte européen (En ce sens, P.-Y. Gautier,Propriété littéraire et artistique, PUF, 4e éd.,2001, n° 96, p. 160, note 1 ; v. aussi V.-L.Bénabou, Droits d'auteur, droits voisins et droitcommunautaire, Bruylant, 1997, n° 491;P. Sirinelli, Propriété littéraire et artistique,Mémentos, Dalloz, 2e éd., 2003, p. 186).Néanmoins, la directive est directementapplicable en France depuis le 1er juillet 1994 etles juges français sont donc censés s'y référerpour interpréter les dispositions du CPI.
(42) En ce sens, toujours au sujet des logiciels,A. et H.-J. Lucas, ibid.
(43) Cf. supra, A.
(44) Il ne s'agit bien évidemment pas de donnerun blanc seing aux pratiques illicites. Audemeurant, il semble qu'aux États-Unis, lesprocédures engagées ont eu un effet dissuasif, aumoins temporaire : v. l'article « Musique enligne, 17 millions d'Américains ont abandonnéle P2P », Le Journal du Net, jeudi 6 mai 2004.