L'ESSENTIEL À travers l'affaire Colombani, qui a connu un sort différent devant les juges européen et national, nos contributeurs s'interrogent sur les raisons de cette contradiction. Le délit d'offense envers les chefs d'État étrangers, sanctionné par l'article 36 de la loi de 1881 a donné l'occasion à la Cour européenne des droits de l'homme, dans le cadre d'une interprétation dynamique de l'article 10 de la Conv. EDH, de censurer sans nuance cette disposition en raison de sa nature et de son objet. La plupart des juridictions françaises ont refusé de reconnaître cette incompatibilité entre l'article 36 de la loi de 1881 et les dispositions de la Convention en s'appuyant sur les restrictions prévues par le deuxième paragraphe de l'article 10, nécessaires à la protection de la réputation et des droits d'autrui. Ce délit s'explique par le souci de préserver les bonnes relations entre la France et les États étrangers et protège la dignité des personnes mises en cause sans faire obstacle aux critiques de nature politique. Au-delà du simple rapport de compatibilité entre les normes, cette distinction entre la personne et la politique, est-elle réellement fiable et nécessaire dans une société démocratique? Tel est l'enjeu du débat. Les contributeurs nous montrerons la voie à suivre pour mettre un terme à la contradiction.
Patrick AUVRET
Professeur à l'Université Nice-Sophia Antipolis (Cedore)
1er janvier 2004 - Légicom N°30
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(2) Par exemple, à propos de l'article 2 de la loidu 2 juillet 1931, Cass. crim, 19 mars 1996 :Bull. crim. n° 117. Cass. crim. 14 juin 2000 :Juris-data n° 003126. Cass. crim. 16 janvier2001 : D. 2001, Somm. p. 2346, obs. de Lamy ;Légipresse 2001, III, obs. E. Derieux ; Bull. crim.n° 10 et les réf. cit. Rev. sc. crim. 2002, p. 622,add. Rapport Cour de cassation pour l'année2001, La Documentation française 2002.
(3) CEDH, 2e sect., 25 juin 2002, req.n° 51279/99, Colombani et autres c/ France :Légipresse 2002, n° 195, III, p. 159, obs.H. Leclerc ; JCP 1003, I, 126, p., obs. E. Dreyer ;D. 2002, Somm. comm. p. 2571, obs. J.-F. Renucci et 2767, obs. J.-Y. Dupeux; D.2003, J., p. 715, note B. Beignier et B. de Lamy;Rev. sc. crim. 2003, p. 116, obs. J. Francillon ;E. Derieux, Petites Affiches 2002.
(4) CEDH 10 février 1995, Alleret de Ribemont(présomption d'innocence) ; 27 avril 1995,Piermont (liberté d'expression) ; 21 janvier 1999,Fressoz et Roire (recel de documents couvertspar un secret protégé) ; CEDH 23 septembre 1999,Lehideux et Isorni (apologie des crimes et délitsde collaboration) ; 3 octobre 2000, du Roy etMalaurie (publication d'information sur uneconstitution de partie civile) ; 17 juillet 2001, ass.Ekin (interdiction de certaines publicationsétrangères) ; 25 juin 2002, Colombani, préc.
(5) CEDH, 21 janvier 1999, préc. note 3.
(6) V. note « La loi de 1881, loi du XXIe siècle »,colloque Presse-Liberté, éd. 2000, PUF coll.Politique d'aujourd'hui.
(7) P. Auvret, « La concordance entre la loi de1881 et la Convention européenne des droits del'homme », Gazette du Palais, 21-23 décembre2003.
(8) Cons. const., décision n° 84-181 DC, 10-11octobre 1984, Entreprises de presse, CEDH,7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni,A 24.
(9) B. Beignier et B. de Lamy, obs. préc. note 2.
(10) Cass. crim. 20 octobre 1998 : Bull. crim.n° 267 ; JCP G 1999, IV, 1162 ; Juris-datan° 1998-004141 ; Dr. pén. 1999, comm. n° 20,obs. M. Véron ; JCP 1999, I, n° 151, obs.M. Véron.
(11) Conformément à la jurisprudencedominante, le tribunal de Paris a d'abord estiméque l'article 36 de la loi de 1881 était compatibleavec l'article 10 de la Convention européenne(TGI Paris 20 juin 1990 : Légipresse 1991, I,p. 7 ; TGI Paris 21 novembre 1995 : Légipresse1996, I, p. 39 ; TGI Paris, 18 décembre 1996 :Légipresse 1996, I, p. 36 ; TGI Paris 18 février1997 : Légipresse 1997, I, p. 54 ; TGI Paris18 février 1998 : Légipresse, 1998, I, p. 88). Puiselle a opéré un revirement de jurisprudence (TGIParis, 17e ch. 25 avril 2001 : D. 2003, Jurispr.p. 715, 1re esp. note B. Beignier et B. de Lamy).
(12) Cf. E. Dreyer, Droit des médias, Litec,2002, n° 154.
(13) Cass. crim. 20 octobre 1998, préc. note 9.V. égal. Cass. crim. 22 juin 1999 : Légipresse,1999, n° 165, III, 138 ; D. 1999, IR, p. 193.
(15) Cass. crim. 22 juin 1999, préc. note 12. TGIParis 20 mars 1970 : D. 1970, Jur. p. 487, noteF. Chabas.
(16) Par exemple, B. Beignier et B. de Lamy,obs. préc. notes 2 et 10. E. Derieux, note préc.note 2.
(17) Note Francillon, obs. préc. note 2.
(18) CA Paris 3 juillet 2002 : Légipresse 2002,n° 195, III, p. 163 (2° esp.) ; D. 2002, somm.2767, obs. J.-Y. Dupeux; Rev. sc. crim. 2003,p. 116, obs. J. Francillon (L'ingérence est« nécessaire, les incriminations existantes, enl'état actuelle de leur rédaction, n'étant pas denature à permettre aux chefs d'État d'obtenirréparation »).
(19) TGI Paris, 25 avril 2001, préc. note 10.
(20) « Si l'ouvrage se veut résolument militant, ilne trahit cependant pas son objectif de critiquedes systèmes politiques des États africainsévoqués et du fonctionnement des relationsinternationales avec la France. À ce titre, etcompte tenu de la plus large liberté d'expressionconsacrée par la Convention européen des droitsde l'homme en la matière, il n'apparaît pas quela démarche de V soit critiquable.Si la critique politique du fonctionnement del'État atteint nécessairement l'homme et, danscertains cas constitue même une critique de lapersonne, cette circonstance est imputable à lastructure même des États analysés et au rôleprimordial qu'y joue le président. Cettecirconstance ne saurait être retenue contre lesprévenus, sauf à les priver de tous droitsd'examen et de critique des institutions et dufonctionnement de certains pays. »
(21) Elle est coutumière du fait. V. not. CA Paris,31 octobre 2001 : Légipresse, 2002, III, p. 31.
(22) J. Francillon, obs. préc. V. égal. sur un autresujet, J. Pradel : obs ; D. 2001, Somm. comm.p. 515.
(23) V. note H. Leclerc, obs. préc. note 2.
(24) « La Cour considère qu'en l'espèce, lerapport de l'OGD n'était pas contesté quant àson contenu et pouvait légitimement être regardécomme crédible pour ce qui est des allégationslitigieuses. Pour la Cour, lorsqu'elle contribueau débat public sur des questions suscitant unepréoccupation légitime, la presse doit enprincipe pouvoir s'appuyer sur des rapportsofficiels sans avoir à entreprendre desrecherches indépendantes. Sinon la pressepourrait être moins à même de jouer son rôleindispensable de chien de garde [ ] ellen'aperçoit aucune raison de douter que lesrequérants aient agi de bonne foi à cet égard etestime donc que les motifs invoqués par lesjuridictions nationales ne sont pasconvaincants. » (§ 65).
(25) La jurisprudence de la Cour européenne n'estpas totalement nouvelle. Déjà la Commissioneuropéenne des droits de l'homme avait insistésur la nécessité d'accorder aux journalistes le droitde prouver leurs imputations (rapp. 29 novembre1995, aff. De Haes c/ Belgique, req. 19983/92).Quant à la Cour européenne, elle récuse lessystèmes qui écartent l'exception de vérité sansraison valable. Au contraire, elle admet que ledroit interne puisse imposer la vérité desaccusations lancées par l'auteur des propos saufen matière d'injure (CEDH 8 juillet 1986, An° 103, aff. Lingens c/ Autriche, § 46. CEDH23 mai 1991, A n° 204, aff. Oberschlick c/Autriche, § 63. CEDH 28 août 1992, A n° 242-B,aff. Schwabe c/ Autriche, § 34.). Elle estimecependant qu'une preuve imparfaite peut justifierla mise en cause (aff. Schwabe, préc., § 33-34).L'exigence de la preuve ne doit pas placer l'auteurdes propos devant « une tâche déraisonnable,voire impossible ». Il suffit de récuser « lecaractère entièrement faux ou inventé del'information » (CEDH, 25 juin 1992, A n° 239, T.Thorgeirson c/ Islande, § 165).
(26) Cf. Dreyer, obs. préc. note 2.
(27) TGI Paris, 25 avril 2001, préc. note 10.
(28) V. CA Paris 27 juin 1995 : D. 1995, IR,p. 195. Cass. crim. 22 juin 1999, préc. note 12.
(29) « Dans le cas d'offense envers les chefsd'État ou d'outrage envers les agentsdiplomatiques étrangers, la poursuite aura lieusur leur demande adressée au ministre desaffaires étrangères, et par celui-ci au ministre dela justice. »
(30) CA Paris 3 juillet 2002, préc. note 17.
(31) § 69, cité supra.
(32) V. note P. & J. Auvret, « Lacomplémentarité des systèmes juridictionnels deprotection des libertés publiques », in MélangesJean Waline, Dalloz 2002.
(33) V. supra.
(34) TGI de Paris du 25 avril 2001, préc. note 10.
(35) Note B. Beignier et B. de Lamy, obs ; préc.note 2.
(36) CA Paris 3 juillet 2002, préc. note 17.
(38) Les chefs d'État étrangers ne peuventévidemment pas entrer, en l'état actuel de lalégislation, dans la catégorie des personnesénumérées aux articles 31 et 33 de la loi de1881.
(39) Cass. ass. plén., 12 juillet 2000, 2 esp. :Juris-data n° 002950 et 002951.
(40) C'est la solution qui semble retenue par lessénateurs pour les articles 36 et 37 de la loi de1881.
(41) Articles 32 et 33, 2° al.
(42) Articles 30, 31 et 33, 1° al., de la loi de1881.
(43) Il en est de même pour l'article 26 ou pourl'article 37 en ce qui concerne l'outrage. Lelégislateur emploie le terme offense à deuxreprises dans la loi de 1881 : à l'article 36 relatifaux chefs d'État, chefs de gouvernement etministres des Affaires étrangères et à l'article 26,en ce qui concerne le président de la Républiquefrançaise. La notion d'outrage, au sens del'article 37, de la loi de 1881 est à rapprocher del'offense visée par l'article 36. Les proposcomportent nécessairement un caractèreméprisant ou infamant.
(44) CA Paris 11 mars 1991 : Gaz. pal. 1992, 1,somm. 225 ; CA Paris 11 mars 1991 :Légipresse 1991, n° 85, I, p. 100 ; TGI Paris 17ech., 19 septembre 2000 : Légipresse 2001,n° 178, I, p. 9.
(45) CA Paris, 1re ch. sect. A, 11 mars 1991 :Gaz. Pal. 1992, 1 somm. p. 225.
(46) Cass. crim., 22 juin 1999, préc. note 12.Cass. 2e civ. 28 septembre 2000 : Juris-datan° 006030. CA Paris, 17 décembre 1992 : Jurisdatan° 023936. TGI Paris, 27 octobre 1993 :Juris-data n° 048543. TGI Paris, 17e ch.,18 décembre 1996, préc. note 10. TGI Paris, 17ech., 18 février 1997, préc. note 10.
(47) V. supra.
(48) TGI Paris, 25 avril 200, préc. note 10.
(49) CA Paris, 3 juillet 2002, préc. note 17.
(50) V. P. Auvret, « Diffamation, Injure », Jur-cl.Droit de la communication, fasc. 3130 et 3140.
(51) Ni d'ailleurs des articles 26 ou 37. V. Vitu,Rev. sc. crim. 1970, p. 863, pour l'article 36.
(52) Cass. crim. 31 mai 1965 : D. 1965, J. p. 645,note J.-L. C. Cass. crim. 21 décembre 1966 :Bull. crim. n° 300 ; Rev. sc. crim. 1967, p. 450,obs. Vitu, pour le délit d'offense au Président dela République.
(53) Par exemple, TGI Paris, 21 novembre 1995,préc. note 10.
(54) CA Paris 3 juillet 2002, préc. note 17.
(55) Ainsi, l'absence d'intention délictueuse peutse déduire de la prudence dans l'expression(Cass. crim. 22 juin 1999, préc. note 12) ou dumanque d'objectivité (Cass. 2e civ., 28 septembre2000 : Juris-data n° 006030) car l'on considéreraque l'imprudence, comme le parti pris, apportela preuve de la conscience de commettre uneoffense ou un outrage.
(56) Pour la détermination de l'intentioncoupable du délit de l'article 36, l'élément moralest constitué, dès que le prévenu a conscience,au sens du droit pénal, de commettre une offenseou un outrage. Ainsi, l'élément moral del'infraction a pu être déduit de la légèretéparticulièrement blâmable avec laquelle a étéréitérée une accusation (TGI Paris, 17e ch.,18 février 1997, préc. note 10). Affirmer, àl'occasion de l'arrestation d'un gourou, qu'unchef d'un gouvernement étranger auraitentretenu des relations étroites avec celui-ci, etillustrer l'article, notamment, par la photographiede cette notabilité, qualifiée de chevalier dulotus d'or est révélateur de la volonté d'attaquerl'homme politique (Cass. 2e civ. 28 septembre2000, préc. note 13). L'emploi des termes« étrange attelage » suppose également uneintention délictueuse (TGI Paris, 17e ch.,18 décembre 1996, préc. note 10).
(57) V. note P. Auvret, « Diffamation », Jur-cl.Droit de la communication, fasc. 3130.
(58) Par exemple, CEDH 8 juillet 1986, Ligens, et23 mai 1991, Oberschlick, préc. note 24.