L'ESSENTIEL Cette contribution traite de la coopération entre la Commission et l'autorité nationale chargée des questions de concurrence. En effet, deux systèmes de contrôle des concentrations distincts et exclusifs l'un de l'autre cohabitent au sein de l'Union européenne: le système communautaire d'une part, et les systèmes nationaux d'autre part. Des passerelles ont néanmoins été prévues par le Règlement communautaire concentrations, procédant de mécanismes de renvoi des affaires devant l'une ou l'autre des autorités selon la nature du marché concerné. Le Règlement concentrations prévoyait à l'origine un mécanisme de guichet unique, qui permettait aux entreprises de soumettre le contrôle de l'ensemble de leurs opérations de fusions-acquisitions à une seule autorité de concurrence, la Commission. Ce système, tempéré par les mécanismes de renvoi, n'a toutefois pas empêché le développement des notifications multiples, se heurtant à la réticence des États membres à abdiquer une part de leur compétence en matière de contrôle des concentrations. Aussi, le Règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ouvre-t-il de nouvelles perspectives dans le cadre d'un système de renvoi simplifié, à condition qu'une harmonisation des procédures et des critères de contrôle communautaire et nationaux intervienne dans les plus brefs délais.
DANS UNE AFFAIRE RÉCENTE VUP/Lagardère, la Commission européenne (ci-après, la Commission) a refusé de renvoyer l'opération de concentration aux autorités françaises de concurrence (2). Le 14 mai 2003, les autorités françaises de concurrence ont déposé une demande de renvoi partiel au titre de l'article 9 du Règlement concentrations. À l'appui de leur demande, elles ont fait valoir que l'opération menaçait de créer des situations de position dominante en France sur un ...
François BRENET
Maître de Conférences à la Faculté de droit de Tours
1er janvier 2004 - Légicom N°30
5807 mots
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(2) Les auteurs remercient Hugues Parmentier pour son aide à la préparation de cet article.
(3) Décision de la Commission du 23 juillet 2003dans l'affaire COMP/M.2978,Lagardère/Natexis/VUP, disponible sur le siteInternet de la Commission européenne :www.europa.eu.int/comm/competition/mergers/cases/decisions/m2978_fr.pdf.
(5) Décision Lagardère/Natexis/VUP précitée,point 209. Pour caractériser la dimension nationaledu marché, la Commission a constaté que « lemarché français de la vente de livres scolaires estcaractérisé par des produits de nature et auxcaractéristiques distinctes, un fonctionnement demarché très particulier, par de fortes barrières àl'entrée et par des parts de marché très différentesentre la France et la Belgique et le Luxembourg ».
(7) Décision Lagardère/Natexis/VUP précitée,points 255, 262 et 265.
(8) Règlement CEE n° 4064/89 du Conseil du21 décembre 1989 relatif au contrôle desopérations de concentration entre entreprises,JOCE du 30 décembre 1989, L 395, p. 1, modifiépar le Règlement CE n° 1310/97 du Conseil du30 juin 1997, JOCE du 9 juillet 1997, L 180, p. 1.
(9) Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du20 janvier 2004 relatif au contrôle desconcentrations entre entreprises, JOCE du29 janvier 2004, L 24, p. 1. Le NouveauRèglement concentrations se substituera auRèglement 4064/89 à compter du 1er mai 2004.
(10) XXXIIe Rapport de l'Union européenne sur lapolitique de concurrence, 2002, §266, p. 64.Décision de la Commission du 16 avril 2002dans l'affaire COMP/M.2698, Promatech/SulzerTextil ; décision de la Commission du 17 avril2002 dans l'affaire COMP/M.2738, GEES/Unison ;décision de la Commission du 5 décembre 2003dans l'affaire COMP/M.3136, GE/AGFA.
(11) Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du20 janvier 2004 relatif au contrôle desconcentrations entre entreprises, JOCE du29 janvier 2004, L 24, p. 1.
(12) Au sein de l'EEE, coexistent en réalité17 systèmes nationaux de contrôle desconcentrations. Avec l'accession de 10 nouveauxÉtats membres en mai 2004, cette multiplicitédes systèmes de contrôle n'en sera qu'exacerbée.Voir C. Bright et M. Persson, « Article 22 of theEC Merger Regulation : An Opportunity Not toBe Missed ? », ECLR, n° 10, p. 490.
(13) L'article 21§2 du Règlement concentrationprévoit en effet que les « États membresn'appliquent pas leur législation nationale sur laconcurrence aux opérations de concentration dedimension communautaire ».
(14) Le nouveau Règlement concentrations retientune définition analogue : « Une concentration estréputée réalisée lorsqu'un changement durable ducontrôle résulte : a) de la fusion de deux ou deplusieurs entreprises ou parties de tellesentreprises, ou b) de l'acquisition, par une ouplusieurs personnes détenant déjà le contrôled'une entreprise au moins ou par une ou plusieursentreprises, du contrôle direct ou indirect del'ensemble ou de parties d'une ou de plusieursautres entreprises, que ce soit par prise departicipations au capital ou achat d'élémentsd'actifs, contrat ou tout autre moyen ». Parailleurs, « la création d'une entreprise communeaccomplissant de manière durable toutes lesfonctions d'une entité économique autonome,constitue une concentration ».
(15) Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 publiée auJORF du 16 mai 2001. La notion de concentrationest inscrite à l'article L. 430-1 du code decommerce.
(16) Voir F. Brunet et I. Girgenson, « Lenouveau régime de contrôle des concentrations :les ambivalences d'une révolution antitrust àla française », JCPE, 2002, n° 46, p. 1802.
(17) Règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil du30 juin 1997 modifiant le règlement (CEE)n° 4064/89 relatif au contrôle des opérations deconcentration entre entreprises, JO du 19 juillet1997, L 180, p. 1. Conformément à l'article 1er§3 du Règlement modifié, une opération deconcentration était de dimension communautairelorsque (i) le chiffre d'affaires mondial réalisépar l'ensemble des parties était supérieur à2,5 millions d'euros, (ii) dans chacun d'au moinstrois États membres, le chiffre d'affaires réalisépar l'ensemble des parties était supérieur à100 millions d'euros, (iii) dans chacun d'aumoins trois États membres inclus aux fins dupoint ii, le chiffre d'affaires réaliséindividuellement par au moins deux des partiesétait supérieur à 25 millions d'euros et (iv) lechiffre d'affaires réalisé individuellement dans laCommunauté par au moins deux des parties étaitsupérieur à 100 millions d'euros (à moins quechacune des parties ne réalise plus des deux tiersde son chiffre d'affaires total dans laCommunauté à l'intérieur d'un seul et mêmeÉtat membre).
(18) Article 9§2a du Règlement concentrations.
(19) Décision de la Commission du 5 mai 2000dans l'affaire COMP/M. 1920, Nabisco/UnitedBiscuits ; décision de la Commission du29 septembre 1999 dans l'affaire COMP/M.1383,Exxon/Mobil.
(20) Articles 9§3b et 9§8 du Règlementconcentrations.
(21) Article 9§2b du Règlement concentrations.
(22) Cet assouplissement des conditions derenvoi, introduit à la suite de la modification duRèglement de 1997, s'explique par le fait que laCommission ne pouvait interdire une opérationde concentration que dans la mesure où elle créeou renforce une position dominante dans unepartie substantielle du marché commun(article 2§3 du Règlement).
(23) Règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil du30 juin 1997 modifiant le règlement (CEE)n° 4064/89 relatif au contrôle des opérations deconcentration entre entreprises, JO du 19 juillet1997, L 180, p. 1.
(24) Voir le Livre vert concernant la révision durèglement sur les concentrations du 31 janvier1996, COM/96/0019 final.
(25) La Commission fait état de cet échec dansson Livre vert du 11 décembre 2001 sur larévision du Règlement (CEE) n° 4064/89 duConseil, COM(2001) 745/6 final, disponible surle site Internet de la Commission européenne :http://europa.eu.int/comm/competition/mergers/review/green_paper/fr.pdf. Elle constate aupoint 24 du Livre vert qu'en 2000, 20 opérationsont été notifiées en application de l'article 1er §3du Règlement, tandis que dans le même temps,75 opérations ont fait l'objet de notificationsdans au moins trois États membres.
(26) Considérant 11 du nouveau Règlementconcentrations.
(27) Voir les considérants 11 à 13 du nouveauRèglement concentrations.
(28) Article 4§5 du nouveau Règlementconcentrations.
(29) Article 4§4 du nouveau Règlementconcentrations.
(30) Voir l'article 2§3 du nouveau Règlementconcentrations, en vertu duquel « lesconcentrations qui entraveraient de manièresignificative une concurrence effective dans lemarché commun ou une partie substantielle decelui-ci, notamment du fait de la création ou durenforcement d'une position dominante, doiventêtre déclarées incompatibles avec le marchécommun ». Le nouveau critère de contrôle estdonc celui d'entrave significative à laconcurrence, une notion synonyme de celle desubstantial lessening of competition adoptée parla plupart des pays anglo-saxons.
(31) Article 9§2 du nouveau Règlementconcentrations.
(32) Article 9§2 du nouveau Règlementconcentrations.
(33) Article 9§6 du nouveau Règlementconcentrations.
(34) Voir notamment la décision de laCommission du 26 novembre 1999 dans l'affaireCOMP/M.1628, TotalFina/Elf ; la décision de laCommission du 25 janvier 2000 dans l'affaireCOMP/M.1684, Promodès/Carrefour ; la décisionde la Commission du 12 décembre 2002 dansl'affaire COMP/M.2898, Leroy Merlin/Brico.
(35) Décision de la Commission du 8 janvier2002 dans l'affaire COMP/M.2621,SEB/Moulinex.
(36) Décision de la Commission du 14 août 2002dans l'affaire COMP/M.2845, Sogecable/CanalSatélite Digital/Via Digital.
(37) Décision de la Commission du 16 avril2002 dans l'affaire COMP/M.2698,Promatech/Sulzer Textil ; décision de laCommission du 17 avril 2002 dans l'affaireCOMP/M.2738, GEES/Unison ; décision de laCommission du 5 décembre 2003 dans l'affaireCOMP/M.3136, GE/AGFA.
(38) Considérant 15 du Règlement (CE) n° 1/2003du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise enuvre des règles de concurrence prévues auxarticles 81 et 82 du traité, JOCE du 4 janvier 2003,L 1 p. 1. Ce règlement remplacera, à compter du1er mai 2004, le Règlement n° 17/62 du Conseil du6 février 1962, JO du 21 février 1962, L 13, p. 204.Sur le fonctionnement du réseau européen de laconcurrence (REC), voir le Projet decommunication de la Commission relative à lacoopération au sein du réseau d'autorités de laconcurrence, disponible sur le site de laCommission:www.europa.eu.int/comm/competition/antitrust/legislation/procedural_rules/cooperation_network_fr.pdf.
(39) Article 11§1 du Règlement n° 1/2003précité.
(40) Articles 12, 13 et 14 du Règlementn° 1/2003 précité.
(41) Le renvoi à plusieurs autorités nationales deconcurrence sur la base de l'article 9 du Règlementconcentrations est susceptible de remettre en causele principe de guichet unique et peut conduire laCommission et les autorités compétentes des Étatsmembres à adopter des décisions contradictoires,voire inconciliables. Voir l'arrêt du TPICE du 3 avril2003 dans l'affaire T-119/02, Royal PhilipsElectronics NV et al. c/Commission (en cours depublication), points 350 et 380-381.
(42) Ce problème avait déjà été abordé par laCommission dans le Livre vert de 1996 au point 94:« dans l'hypothèse où les seuils ne seraient pasréduits, toute modification de l'article 9 devrait êtrelimitée de manière à éviter de compromettrel'équilibre fragile établi par les dispositionsactuelles en matière de renvoi et d'annuler lesavantages du principe du guichet unique. Une tropgrande utilisation de l'article 9 risquerait deréduire la sécurité juridique offerte aux entrepriseset ne pourrait se concevoir sans une harmonisationdes principales caractéristiques des systèmesnationaux de contrôle des concentrations ».
(43) Articles 4§4 et 4§5 du nouveau Règlementconcentrations.43.Voir notamment C. Bright et M. Persson,« Article 22 of the EC Merger Regulation : AnOpportunity Not to Be Missed ? », ECLR, 2003,n° 10, p. 490 ; D. Pérez et R. Burnley, « Thearticle 9 Referral Back Procedure : A Solution tothe Jurisdictional Dilemma of the EuropeanMerger Regulation ? », ECLR, 2003, n° 8, p. 364.
(45) À cet égard, le nouveau Règlementconcentrations constate au considérant 14 que « laCommission et les autorités compétentes des Étatsmembres devraient former ensemble un réseaud'autorités publiques utilisant leurs compétencesrespectives en étroite coopération à l'aide demécanismes efficaces d'échange d'informations etde consultation, en vue de garantir qu'une affaireest traitée par l'autorité la plus appropriée, à lalumière du principe de subsidiarité et de manièreà garantir que des notifications multiples d'uneconcentration donnée sont évitées dans toute lamesure du possible ».