Alors que de nombreuses juridictions étrangères avaient eu auparavant à examiner la question, le jugement rendu par le TGI de Paris le 23 février 1999 dans l'affaire Fabris a posé pour la première fois en France la question de l'articulation entre le droit d'auteur et le droit à la liberté d'expression proclamé par l'article 10 de la CEDH. Malgré la grande diversité des solutions dégagées, toutes les juridictions tant nationales que communautaires admettent que le droit d'auteur peut constituer une restriction à la liberté d'expression. Toutefois, les tribunaux nationaux conservent une grande marge d'appréciation pour arbitrer ce type de conflit avec, pour seule limite, l'exigence d'une prise en compte de chaque espèce dans l'appréciation de la proportionnalité de l'atteinte.
PENDANT LONGTEMPS, la question d'un conflit éventuel entre le droit d'auteur et le droit à la liberté d'expression n'a pas été envisagée en droit français. La plupart des traités de droit d'auteur sont restés silencieux sur ce point, qui ne semble pas avoir fait l'objet d'études spécifiques (1). Jusqu'au jugement du tribunal de grande instance de Paris du 23 février 1999 dans l'affaire Fabris c/ France 2 (2), la question n'avait, semble-t-il, pas été abordée par les tribunaux ...
Pascal KAMINA
Maître de conférences à l'Université de Poitiers
1er avril 2001 - Légicom N°25
5508 mots
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(2) Du moins avant C. Caron, « La Conventioneuropéenne des droits de l'homme et la communicationdes uvres au public : une menacepour le droit d'auteur ? », Comm. Comm. Elec.n° 1, octobre 1999, p. 9.
(3) 23 février 1999, D. 1999, p. 580, obs.Kamina; A. Françon, RTDC 2000, p. 96 ; RIDA2000, n° 184, p. 374, note A. Kéréver.
(4) L'article 10 CEDH avait cependant été appliquédans des affaires mettant en cause certains droitsfondamentaux comme le droit de propriété ou ledroit à la vie privée. Voir par exemple la jurisprudencecitée in M. Fabre et A. Gouron-Mazel,Convention européenne des droits de l'homme,application par le juge français: 10 ans de jurisprudence,Litec, 1998, p. 199 s.
(5) M. Vivant, « Le droit d'auteur, un droit del'homme », RIDA 1997, n° 174 ; Déclaration desdroits de l'homme, articles 2, 17 (droit de propriété); Déclaration universelle des droits del'homme, article 27 ; Protocole n° 1 à la CEDH,article 1 (protection de la propriété).
(6) E. g. A. Françon, op. cit., in fine, B. Edelman,« Du mauvais usage des droits de l'homme »,D. 2000, chron. p. 455, parlant de « contentieuxparadoxal ».
(7) Ce qui est en partie exact en droit français,si l'on considère les exceptions de parodie etd'information de l'article L.122-5 du code de lapropriété intellectuelle, qui s'expliquent parce type d'arbitrage.
(8) Eldred v. Reno, 239 F3d 372, 375 (D. C. Cir.2001). Sur ce point, voir N. W. Netanel,« Locating copyright within the first amendmentskein », Stanford, Law review, vol. 54,p. 101, et la jurisprudence citée. La présence dufair use permet sans doute un arbitrage aussicatégorique.
(9) Par contraste, le Conseil d'État a eu recourstrès tôt au principe de proportionnalité, notammentpour le contrôle des mesures de policesrestrictives des libertés publiques.
(10) À tort dans ce cas précis.
(11) Article 19 de la Déclaration universelle desdroits de l'homme ; article 19 du Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques.
(12) Article 11 Décl. dr. homme de 1789. Ledroit du public à l'information a été consacréimplicitement par le Conseil constitutionneldans sa décision n° 82-141 du 27 juillet 1982.La Cour de cassation a déduit le droit du publicà l'information d'une interprétation large del'article 1er de la loi du 30 sept. 1986 sur laliberté de communication dans son arrêt FOCAdu 6 février 1996. Voir J.-C. Galloux, « L'exclusivitéde télédiffusion des événements face audroit du public à l'information », JCP 1997, I,p. 4046 ; D. 1997, somm. p. 85, obs. Hassler.
(13) e.g. Sunday Times, 26 avril 1979, série A,n° 30 ; Barthold c/ Allemagne, 25 mars 1985,série A n° 90.
(14) Handyside, 7 décembre 1976, série A n° 24,para 48.
(15) Ibid. ; également Sunday Times, précité.
(16) Pour un panorama jurisprudentiel, voirnotamment J.-P. Costa, « La liberté d'expressionselon la jurisprudence de la Cour européennedes droits de l'homme de Strasbourg »,Actualité et Droit International, juin 2001.
(17) Jurisprudence trop nombreuse pour êtrecitée ici. La liberté de la presse est fortementprotégée. L. E. Pettiti, « La Liberté d'expression; la Convention européenne des droits del'homme et la vie politique », in MélangesValticos, Pedone, 1999, p. 459.
(18) Notamment sur le sentiment religieux (e. gWingrove c/ Royaume Uni, 25 novembre 1996,Rec. 1996, v. film vidéo blasphématoire).
(19) Voir sur ce point la remarquable étude deP. Bernt Hugenholtz, Copyright and Freedom ofExpression in Europe, Rochelle Cooper Dreyfuss,Diane Leenheer Zimmerman & Harry First(eds.), Expanding the Boundaries of IntellectualProperty. Innovation Policy for the KnowledgeSociety, Oxford, Oxford University Press (2001).
(20) Maifeiern, Landgericht Berlin, [1962] GRUR1962 (retransmission d'un programme d'information); Bild Zeitung, Cour d'appel(Kammergericht), Berlin 26 novembre 1968,[1969] 54 UFITA 296 (reproduction de caricatures); Terroristenbild, Landgericht Berlin26 mai 1977, [1978] GRUR 108 (reproductionde photographies de terroristes); Monitor,Landgericht München, 21 octobre 1983, [1984]Archiv für Presserecht 118 (reproduction d'unebrochure dans un programme télévisé), cités inP. Bernt Hugenholtz, supra.
(21) Lili Marleen, Cour Suprême Fédérale,7 mars 1985, [1987] GRUR 34 (reproduction deparoles de la chanson Lili Marlene dans unarticle consacré à un film sur la vraie LiliMarlene); CB-Infobank I, Cour suprême fédérale,16 janvier 1997, [1997] GRUR 459 at 463;et CB-Infobank II, Cour suprême fédérale 16 janvier1997, [1997] GRUR 464, at 466 (abstractsd'articles de journaux réunis dans une base dedonnées), cités in P. Bernt Hugenholtz, supra.
(22) Selon P. Bernt Hugenholtz, elle aurait ainsiadmis que « dans des circonstances exceptionnelles,en raison d'un besoin urgent d'information,des limites au droit d'auteur excédant leslimitations légales expresses peuvent être prisesen considération ». Pelzversand, Cour suprêmefédérale, 10 janvier 1968, [1968] GRUR 645.
(24) Dior v. Evora, Cour suprême des Pays-Bas(Hoge Raad) 20 octobre 1995, [1996]Nederlandse Jurisprudentie 682, cité dansP. Bernt Hugenholtz, op. cit.
(25) Anne Frank Fonds v. Het Parool, Courd'appel d'Amsterdam, 8 juillet 1999 [1999]Informatierecht/AMI 116, cité dans P. BerntHugenholtz, op. cit.
(26) Op. cit. au D. 1999.
(27) Voir la jurisprudence reproduite in M. Fabreet A. Gouron-Mazel, Convention Européennedes droits de l'homme, application par le jugefrançais, 10 ans de jurisprudence (et le CDRomjoint), Litec, 1998.
(28) Paris, 4e Ch. 1, 30 mai 2001, Dalloz 2001n° 30, p. 2504, note C. Caron et Légipresse184-III, p. 137, commentaire Vincent Varet.
(33) France 2 contre France, Requêten° 30262/96, disponible sur le site de la Cour.Sur cette affaire, voir également ci-après.
(34) TGI Paris, 15 mai 1991, JCP G 1992, II21868 note Tricoire ; D. 1992 p. 146 noteDebbasch et somm. p. 74, obs. Hassler ; Paris7 juillet 1992, D. 1993, somm. p. 91, obs.Colombert ; RIDA 4/1992, p. 161 ; civ. 1re,4 juillet 1995, JCP G. 1995, II 22486 noteGalloux, RIDA 1/1996, p. 263.
(35) Comme l'a justement rappelé la Courd'appel de Paris, le droit d'auteur est couvertpar les dispositions de l'article 1 du protocolen° 1 à la CEDH qui protège le droit de propriété.Mais le droit de propriété lui-même n'est pasexclu des dispositions de l'article 10.
(36) Müller c/ Suisse, 24 mai 1988, série An° 133 (exposition d'art).
(37) Groppera Radio AG c/ Suisse, 28 mars1990, Série A n° 173.
(38) Voir par exemple l'arrêt Fressoz et Roirec/ France (affaire de la publication de la déclarationd'impôt de Jacques Calvet dans le journal LeCanard Enchaîné), 21 janvier 1999, Rec. 1999-I:« Si, comme le gouvernement l'admet, les informationssur le montant des revenus annuels deM. Calvet étaient licites et leur divulgation autorisée,la condamnation des requérants pour enavoir simplement publié le support, à savoir lesavis d'imposition, ne saurait être justifiée auregard de l'article 10. Cet article, par essence,laisse aux journalistes le soin de décider s'il estnécessaire ou non de reproduire le support deleurs informations pour en asseoir la crédibilité.Il protège le droit des journalistes de communiquerdes informations sur des questions d'intérêtgénéral dès lors qu'ils s'expriment de bonne foi,sur la base de faits exacts et fournissent desinformations fiables et précises dans le respectde l'éthique journalistique » (para. 58).
(39) Confirmé par Comm. Dr. H., France 2c/ France, précitée.
(40) Confirmé par Comm. Dr. H., France 2c/ France, précitée. Notez que le texte del'art. 10 ne requiert pas que la restriction soitexercée par l'État lui-même (ce qui aurait poureffet de soustraire l'exercice des droits privatifsdu champ d'application de la Convention).
(41) Confirmé par Comm. Dr. H., France 2c/ France, précitée.
(42) Garanti par l'article 1 du protocole n° 1.
(43) À ce propos, on rappellera que, bien que laCommission et l'ancienne Cour aient été suppriméesau profit d'une cour unique et permanentepar la réforme de la CEDH opérée par leProtocole n° 11, entré en vigueur le1er novembre 1998, l'appréhension de la CEDHpar la nouvelle Cour reste guidée par la jurisprudenceélaborée par les anciens organes.La distinction adoptée par la Commission estégalement suggérée dans la décisionNederlandse Omroepprogramma Stichtingc/ Pays-Bas de la Commission du 11 juillet1991 (pourvoi n° 13920/88, cité in P. B.Hugenholtz, op. cit.) relative aux exigences derémunération formulées par les propriétaires deterrains de sport auprès des organismes deradiodiffusion pour la retransmission des rencontressportives s'y déroulant.