Dans le mouvement souvent stigmatisé de patrimonialisation des droits de la personnalité, le régime de l'indemnisation des atteintes au droit à la vie privée s'apparente de plus en plus à une logique de peine privée ayant une fonction de dissuasion à l'égard des auteurs de ces violations. La quantification des dommages- intérêts n'en est pas moins soumise à l'appréciation souveraine du juge et peut ainsi varier très sensiblement en fonction de la territorialité de l'action. De même, même si le préjudice est toujours caractérisé in abstracto, plusieurs facteurs de minoration ou de majoration de celui-ci sont susceptibles d'être retenus in concreto par les juges.
« Mes idées sont mes catins » disait Diderot. En prolongement de cet aphorisme, on relèvera que certaines sont fort lucratives. Ainsi en est-il de la notion de peine privée en matière d'indemnisation des atteintes à la vie privée réalisées en violation des dispositions de l'article 9 du code civil.En effet, toute atteinte à la vie privée consistant en une violation des dispositions de l'article 9 du code civil, elle expose, de facto, le contrevenant à indemniser la victime de cette ...
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
1er octobre 1999 - Légicom N°20
2106 mots
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(2) Starck (Boris), Essai d'une théorie généralede la responsabilité civile considérée en sa doublefonction de garantie et de peine privée, thèse,1947, p. 359 : « la peine privée n'est pas unesurvivance, un fantôme du passé, mais l'une desforces vives de la responsabilité civile » Carval(Suzanne), La responsabilité civile dans sa fonctionde peine privée , LGDJ, coll. Bibliothèque deDroit privé, 1995, 417 pages ; Kayser (Pierre), Laprotection de la vie privée par le Droit, 3e éd.,1995, n° 197 : l'auteur observe que l'indemnisationa une double fonction, compensatoire etpénale, relevant : « longtemps considéré commeune survivance du passé, la peine privée se révèlevivace dans le Droit contemporain » ; pour unavis contraire à la notion de peine privée :Agostinelli (Xavier), la protection civile de la vieprivée, Librairie de l'Université d'Aix-en-Provence, 1994, p. 380 et 387 ; pour un avis partagé: Malaurie (Philippe), Aynes (Laurent), Lespersonnes, 3e éd., Cujas, 1994-95, n° 329 :« Aujourd'hui, il semble que l'indemnité sedétache complètement du préjudice ; qu'elle sefonde sur une idée de peine privée../..pour que lesystème soit efficace, il ne serait pas mauvais queles dommages-intérêts fussent porportionnels aubénéfice tiré par leur auteur » et n° 342 : « procédantcas par cas, la jurisprudence est parfoisarbitraire : pourquoi ici la saisie et non là ?Pourquoi des dommages-intérêts ici et non là ?Pourquoi des dommages-intérêts substantiels, etlà un franc symbolique ? Ce droit est menacéd'arbitraire ».
(3) Pour ne pas être censuré par la Cour de cassationdont le dogme est que les dommages-intérêtssont destinés à réparer le préjudice et ne doiventpas varier en fonction de la gravité de la fautecommise : civ. (2e ch.), 8 mai 1964, Gaz. Pal.,1964, 2, p. 223. Starck (Boris), par Rolland etBoyer, Droit civil, n° 1036 : « il y a des véritésque le juge ne peut pas énoncer sous peined'encourir la cassation de sa décision » ; ibid.:Boré (Louis), la défense des intérêts collectifs parles associations devant les juridictions administrativeset judiciaires, LGDJ, 1997, p. 311 et 314.
(4) C'est ce que relève Jacques Ravanas, la protectiondes personnes contre la réalisation et lapublication de leur image, LGDJ, Bibliothèque deDroit privé, 1978, p. 396 : « la gravité de la fauteétant, dans la plupart des cas, proportionnelle aupréjudice, il suffit dès lors aux juges du fond deproportionner les dommages-intérêts au préjudice,pour les proportionner en même temps etindirectement à la faute ». Pour un avis similaire,Kayser, op. cit., p. 370 ; Raymond Lindonsuggérait également une méthode proportionnantles dommages-intérêts au tirage de la publicationjugée illicite : note ss Paris, 26 avril 1983,D. 1983, p. 376.
(5) Le Roy (Max), L'évaluation du préjudicecorporel, Litec, 13e éd., 1996, 231 pages et not.annexe III : barème fonctionnel indicatif desincapacités en droit commun.
(6) Derieux (Emmanuel), Gras (Frédéric), Vieprivée et liberté d'informer : le rôle du juge,Légipresse, 1998-I, p. 1 à 10.
(7) Préface de Geneviève Viney, in Carval(Suzanne), La responsabilité civile dans safonction de peine privée , LGDJ, coll. Bibliothèquede Droit privé, 1995, p. XV, cf. égalementles développements de l'auteur sur lesdroits de la personnalité et la notion de peineprivée, p. 23 à 43.
(8) Chiffres obtenus auprès de la présidence dela chambre. Nos remerciements vont àM. Xavier Raguin.
(9) Certains dépassent toutefois cette moyenne :86 000 F en moyenne par affaire sur 36 contentieuxpour une première personnalité ; 75 000 F.par affaire sur 16 actions pour une seconde.
(10) Données obtenues auprès de la présidence dela 1re chambre. Nos remerciements vont àM. Alain Lacabarats.
(11) Kayser, op. cit., p. 370, note 232 : nombreusesréférences de décisions proportionnantles dommages-intérêts à la diffusion de lapublication de presse.
(12) Civ. (1re ch.), 31 janvier 1989, Bull., n° 47.
(13) On retrouverait ici l'un des critères de labonne foi exonératoire de responsabilité en casde diffamation. Pour une application jurisprudentielles'agissant de révélations sur la vieprivée d'un artiste à l'occasion de la publicationd'une autobiographie : TGI Paris, 4 février1988, JCP 1988, n° 21 107, note Agostini.
(14) Mazier (Christine), Le principe de réparationmédiatique, mémoire de DEA de Droitprivé, Université Paris X, année 1987-1988,32 pages ; Caballero (Francis), Droit de ladrogue, Dalloz, 1989, p. 173.
(15) Caballero, op. cit., p. 173.
(16) Mazier, op. cit., p. 16 ; Semmel (Eric), Lesdommages-intérêts punitifs en Droit de la presse,mémoire de DEA de Droit de la communication,Université Paris II, année 1993-1994,100 pages.
(17) Dareau, Traité des injures dans l'ordre judiciaire,Paris, Prault, 1775, p. 476.
(18) Carbasse (Jean Marie), Introduction historiqueau Droit pénal, PUF, coll. Droit fondamental,1990, p. 76-78 : la Loi salique connaissaiteffectivement le principe du Wergeld ; Beignier(Bernard), L'honneur et le Droit, LGDJ, Bibliothèquede Droit privé, 1995, p. 217 : l'auteurplaide pour une réhabilitation aménagée (1/3 à lavictime ; 2/3 à des uvres) de cette institution depréférence à l'incorporation de la notion anglosaxonnede punitive damages.
(19) Derieux (Emmanuel), Gras (Frédéric), op.cit.
(20) Cons. constit., 10-11 octobre 1984, entreprisesde presse, 181 DC in , Favoreu (Philip),Les grandes décisions du conseil constitutionnel,Dalloz, 8e éd., 1995, p. 574 et s. ; Droitde la communication. Jurisprudence, Victoireéd., 2e éd., p. 43.
(21) À titre d'ex. : Paris, 25 octobre 1982,D. 1983, p. 363 et s.
(22) Serna (Marie), L'image des personnes physiqueset des biens, Economica, 1997, p. 161 ;pour une critique de la notion de punitivedamages procédant à une commercialisationdes sentiments : Beignier (Bernard), L'honneuret le Droit, LGDJ Bibliothèque de Droit privé,1995, p. 214 à 217.