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Droit à l'image - diffamation
/ Cours et tribunaux


27/08/2020


De la difficulté de choisir son fondement entre atteinte au droit à l'image ou à la réputation



La Cour de cassation reproche à la cour d'appel d'avoir requalifié en action fondée sur une diffamation l'action d'une personne qui invoquait une atteinte à son droit à l'image du fait de la publication, par erreur, de sa photographie au lieu de celle de sa sœur accusée d'actes de terrorisme. Elle énonce que la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation.

Cour de cassation, (1re ch. civ.), 25 mars 2020
Julie Dejardin
Avocat au barreau de Paris, DAM Avocats
Pas d'autre article de cet auteur pour le moment.
 

Une action tendant à la seule réparation d'une atteinte au droit à l'image ne saurait être requalifiée par le juge en action en diffamation, dès lors que n'est invoquée aucune allégation ou imputation portant atteinte à l'honneur ou à la considération. L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation illustre ce principe procédural bien connu mais dont l'application au cas par cas peut se révéler délicate et difficile à anticiper pour le requérant.

Dans cette affaire, la demanderesse se plaignait de la reproduction de son image en lieu et place de celle de sa sœur, dans plusieurs articles consacrés à cette dernière, cousine du cerveau présumé des attentats du 13 novembre 2015 et décédée (en kamikaze avait-on pensé initialement) lors de l'assaut donné par le RAID dans un appartement de Seine-Saint-Denis, cinq jours après lesdits attentats. La requérante a assigné à jour fixe seize groupes de médias français et étrangers, sollicitant, au visa de l'article 9 du code civil, leur condamnation au versement d'indemnités en réparation de l'atteinte portée à son droit à l'image.

Les défenderesses ont sollicité la requalification de l'action en action en diffamation, dès lors que, selon elles, la requérante reprochait une atteinte à son droit à l'image de la requérante, mais à son honneur et à sa considération, une telle requalification entraînant la nullité de l'assignation au visa de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 à défaut de respect du formalisme imposé pour les délits de presse et de surcroît, la prescription de l'action au visa de l'article 65 de cette même loi, à défaut d'avoir été introduite dans les trois mois suivants l'acte de publication. Le 9 novembre 2016, le Tribunal de grande instance de Paris rejetait cette demande de requalification de l'action, estimant la demanderesse bien fondée à se prévaloir d'une atteinte à son droit à l'image. Sur appel de la requérante qui demandait une réévaluation des sommes indemnitaires allouées jugées insuffisantes, la Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement, relevant que la requérante était, dans les articles illustrés par le cliché litigieux, présentée comme une terroriste kamikaze(1).

La cour d'appel précisait : « le fait qu'il s'agisse d'une erreur grossière n'ôte rien au fait que la photographie litigieuse et sa légende lui impute un comportement criminel attentatoire à son honneur et à sa considération, ce comportement est susceptible d'un débat probatoire, particulièrement quant au caractère erroné de cette imputation. La diffusion de son image dans de telles conditions relève donc d'une diffamation à son égard. Il appartenait au juge de requalifier en ce sens son action et de constater la prescription de celle-ci par application des dispositions de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ».

La Cour de cassation a annulé cet arrêt rappelant que « la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation ». La Haute juridiction a considéré la requérante bien fondée en son action dans la mesure où, d'une part, elle invoquait, dans son assignation, une atteinte portée à son droit à l'image et non à son honneur ou sa considération et d'autre part, le texte accompagnant la reproduction de son image imputait des agissements criminels, non pas à elle-même, mais exclusivement à sa sœur. Les parties ont été renvoyées devant la Cour d’appel de Versailles par-devant laquelle l'affaire est actuellement pendante.

Rappel du droit applicable

Le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression implique qu'il soit exclu de recourir à des qualifications autres que celles définies aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 pour échapper aux contraintes procédurales protectrices de la liberté de la presse qu'elles instaurent si les faits à l'origine du préjudice dont il est demandé réparation caractérisent l'un des délits qui y sont prévus. Ainsi, toute action fondée sur l'article 9 du code civil mais tendant à la réparation d'un préjudice de réputation risque la requalification en action en diffamation, qui aurait alors dû respecter le formalisme et la prescription trimestrielle imposée par la loi du 29 juillet 1881.

Le renforcement de la primauté de la loi sur la presse, excluant la possibilité de la contourner, a été engagé par l'Assemblé plénière de la Cour de cassation dans deux décisions du 12 juillet 2000(2), rendues fameuses par leur considérant de principe : « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil ». La solution est la même concernant le recours à l'article 9 du code civil en lieu et place de la loi sur la presse. Depuis, la jurisprudence est constante et nombreuses sont les décisions qui requalifient sur le terrain de la loi du 29 juillet 1881 des actions initialement fondées sur l'article 9 du code civil. Ici, le raisonnement est inverse : une action fondée exclusivement sur la réparation d'une atteinte au droit à l'image ne saurait être requalifiée par le juge en action en diffamation, dès lors que n'est invoqué aucun fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération.

Une fois le principe posé dans les deux sens, les décisions de justice mettent en exergue le fait que l'application est casuistique et la solution, pas toujours évidente. C'est le cas de l'arrêt du 25 mars 2020 commenté. Pour identifier ce qui fonde réellement l'action de la requérante et comme dans la plupart des affaires similaires, le juge s'est livré à l'analyse des termes de l'assignation (I) puis à l'analyse, plus objective, de l'imputation réellement faite ou non à la personne représentée par l'image (II).

I - L'analyse nécessaire des termes de l'assignation

Pour requalifier l'action en action en diffamation, la Cour d’appel de Paris a retenu que le constat d'huissier produit par la requérante à l'appui de sa demande établissait son assimilation, dans l'article litigieux, à une terroriste kamikaze(3).

La cour d'appel s'était ainsi éloignée des termes de l'assignation pour apprécier la situation selon un élément extrinsèque. La Cour de cassation a cassé cet arrêt notamment parce qu'à l'inverse, elle s'est attachée aux termes de l'assignation de la requérante, relevant qu'elle ne mentionnait pas d'atteinte à l'« honneur », ni à la « considération » ou encore à la « réputation ». Il est effectivement constant pour le juge − et somme toute logique − de se référer aux termes que le requérant emploie lui-même pour qualifier l'atteinte éventuellement subie.

A contrario, par arrêt du 8 novembre 2017, la Cour de cassation confirmait l'analyse d'une cour d'appel requalifiant une action fondée sur l'article 9 du code civil en action en diffamation dès lors que, dans son assignation, le requérant dénonçait le fait que son nom et sa profession avaient été livrés « en pâture sans qu'aucune condamnation ne soit prononcée à son égard » et présentés « de façon particulièrement négative »(4)(5).

Si ce principe ne fait pas débat, il est intéressant de relever la disparité existant à ce sujet entre des décisions rendues par des juridictions différentes dans des affaires pourtant très similaires et concernant un même requérant. L'image de ce dernier avait été exploitée par erreur sur plusieurs médias pour illustrer, a posteriori, l'avis de recherche d'une autre personne désignée nommément et, par la suite, interpellée car soupçonnée de préparer un attentat.

Dans la première affaire, le Tribunal de grande instance de Paris(6) requalifia, en référé, l'action fondée sur le droit à l'image en action en diffamation, retenant que « dès le quatrième paragraphe de l'exposé des faits de l'assignation, le demandeur indique que son visage « était présenté comme étant celui d'un autre homme, accusé de terrorisme, sa photographie était et est toujours accouplé à un nom qui n'est pas le sien ». En outre, il soutenait page 9 que son atteinte à la vie privée et à l'image « s'inscrit dans un contexte particulièrement sensible à la suite des attentats survenus » et que les « propos et accusations contenus dans les articles accompagnant la photographie de Monsieur Y … sont d'une gravité extrême puisqu'il est affirmé que l'homme sur la photographie envisageait de commettre, et ce de façon imminente, des attentats en France ». Il ajoute ensuite que « cette violation de la vie privée et de l'image de Monsieur Y… présente un caractère particulièrement intolérable en ce qu'elle le présente comme une personne suspectée d'avoir commis des actes terroristes » ».

Dans la deuxième affaire similaire, le Tribunal de grande instance de Nanterre(7) puis la Cour d’appel de Versailles(8) ont adopté, quelques mois plus tard, le même raisonnement, les décisions citant toutes deux plusieurs extraits de l'assignation du requérant selon lesquels la publication le présentait comme une personne suspectée de préparer un attentat.

En revanche, dans la troisième affaire concernant le même requérant, la Cour d’appel de Bordeaux(9), dont la décision a été confirmée par la Cour de cassation, a seulement estimé que le requérant fondait son action sur l'article 9 du code civil, sans nécessairement analyser les termes de l'assignation (lesquels étaient sans nul doute similaires aux termes des assignations délivrées dans les deux affaires précédentes, les assignations des trois affaires concernées ayant toutes été délivrées en août 2016 et les décisions rendues dans les deux premières affaires faisant comprendre que les termes y afférentes étaient similaires).

Une chose reste certaine : pour éviter tout risque de requalification de son action fondée sur l'atteinte au droit à l'image en action en diffamation, il faut s'abstenir de toute référence dans son assignation à une éventuelle atteinte à l'honneur, à la considération ou encore, terme plus générique, à la réputation.

Après analyse des termes de l'assignation, le juge se livre à une appréciation plus objective de ce qui est serait reproché ou non au requérant.

II - L'analyse objective mais parfois aléatoire de l'extension ou non à la personne représentée, de l'imputation des actes décrits dans l'article

Comme dans toutes les décisions concernant ce genre d'affaires, la Cour de cassation s'est posée la question de savoir si, au-delà des termes de l'assignation, le texte accompagnant le cliché litigieux imputait la commission d'actes criminels à la requérante ou uniquement à sa sœur. C'est la deuxième hypothèse qu'elle a retenue, dès lors que l'article ne mentionnait pas le nom de la requérante mais uniquement celui de sa sœur, à qui elle imputait exclusivement d'avoir eu des agissements répréhensibles et ce, en application du principe expressément rappelé : « la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation ».

Ce considérant de principe était déjà invoqué dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 février 1999 dans le cadre d'un litige similaire, la Cour ayant considéré bien fondée la requérante en son action au visa de l'article 9 du code civil. Cet arrêt semblait alors avoir une portée limitée puisque, d'une part, il était antérieur aux fameux arrêts d'Assemblée plénière du 12 juillet 2000 évoqués plus haut (faisant primer la loi de 1881 sur le droit commun), et que d'autre part, l'éditeur en défense dans cette affaire avait, en amont, reconnu publiquement une violation du droit à l'image, reconnaissance relevée par la Cour de cassation dans sa motivation. Mais l'arrêt du 25 mars 2020 reprend cette solution. Cet arrêt est également conforme aux décisions susmentionnées rendues par la Cour d’appel de Bordeaux le 5 juillet 2018 et, après pourvoi, par la Cour de cassation le 12 septembre 2019 dans l'affaire concernant le requérant dont un cliché a été exploité pour illustrer, en aval, un avis de recherche précédemment publié concernant une autre personne désignée nommément et soupçonnée de préparer un attentat.

Dans cette affaire et par un considérant assez étonnant, la Cour d’appel de Bordeaux précisait : « la demande tendant à obtenir réparation du préjudice consécutif à l'utilisation de l'image d'une personne, même faite par erreur, pour illustrer des faits imputés à une autre personne ne relève pas d'une action en diffamation régie par la loi du 29 juillet 1881, mais d'une action distincte en réparation de droit commun, peu important que le préjudice constitue le cas échéant pour partie une atteinte à sa réputation du fait de son identification par des personnes qui le connaissent ». Et la cour d'ajouter : « il ne peut être considéré, comme le soutient la société intimée, que le fait que la diffamation puisse être commise par l'image, même si le nom de Monsieur Y… n'est pas mentionné dès lors qu'il est identifiable, suffirait à donner à cette publication d'image le caractère d'une diffamation ».

La Cour de cassation a jugé cette décision bien fondée, précisant même qu'elle était compatible avec la reconnaissance, par la cour d'appel, du fait que le préjudice subi par le requérant résulte de « son assimilation à une personne appréhendée et mise en examen pour des faits en lien avec le terrorisme ». Cette solution diffère totalement de celles déjà mentionnées plus haut et adoptées par les Tribunaux de grande instance de Paris et de Nanterre, puis par la Cour d’appel de Versailles concernant le même requérant et des faits similaires. Ces juridictions ont, au contraire, retenu (outre les termes de l'assignation) le fait que le requérant était assimilé par l'image à la personne suspectée d'actes terroristes, engendrant la requalification de l'action en action en diffamation.

Dans sa décision qui est à rapprocher de l'arrêt de la Cour d’appel de Paris cassée par la décision du 25 mars 2020, le Tribunal de grande instance de Paris précisait : « l'image est indissociable du texte ou des propos, qui imputent à la personne identifiable sur la photographie d'être suspectée d'avoir commis des actes terroristes (…). Dès lors, le fondement de l'action n'est pas une atteinte au droit à l'image mais une atteinte à son honneur ou à sa considération (…), peu important que le nom de Monsieur Y… ne soit pas mentionné, la photographie permettant de l'identifier et la diffamation est possible par image en vertu de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ».

À notre sens, la solution adoptée par l'arrêt du 25 mars 2020 pose difficulté. La Cour de cassation rejette la requalification de l'action au motif que les accusations éventuellement diffamatoires portées à l'égard de la sœur de la requérante n'auraient pas été étendues à cette dernière, même par voie d'insinuation, par la publication d'un cliché la représentant. L'absence de mention, dans l'article de presse concerné, du nom de la requérante représentée sur le cliché et la mention d'un autre nom suffisent-elles à considérer qu'aucun fait ne lui est reproché ? Pourtant, en publiant ce cliché, l'éditeur de l'article (même s'il s'est trompé) a nécessairement voulu représenter l'image de la personne désignée coupable d'agissements répréhensibles. Et le public assimile sans nul doute la personne représentée sur le cliché à celle décrite dans l'article comme coupable d'agissements fautifs.

Certes, dans ce genre d'affaires, il s'agit, non pas d'analyser le caractère diffamatoire ou non de la publication mais de déterminer sur quel fondement ladite publication doit être poursuivie. Néanmoins, la solution du 25 mars 2020 semble tordre certains principes jurisprudentiels établis concernant l'appréciation d'une diffamation : d'une part, le fait de devoir prendre en considération l'article dans sa globalité et dont on peut penser que l'image litigieuse est « indissociable » pour reprendre un terme employé par le Tribunal de grande instance de Paris et, d'autre part, le fait que le caractère diffamatoire doit être apprécié de manière objective c'est-à-dire en fonction de ce que le public peut comprendre à la lecture de la publication.

Enfin, le fait de reconnaitre que le préjudice découlant d'une action faite au visa de l'article 9 du code civil peut être l'assimilation de la personne représentée sur le cliché à celle à qui la commission d'actes répréhensibles est imputée ne serait-il pas contradictoire avec le principe selon lequel une action autonome sur le fondement de l'article 9 du code civil ne peut exister que si ses éléments sont distincts d'éléments constitutifs d'une infraction de presse ?

***

Ainsi si les principes régissant l'articulation entre article 9 du code civil et loi du 29 juillet 1881 sont clairement posés, il n'en demeure pas moins que leur application par les juridictions est délicate à anticiper. Ceci est d'autant plus problématique que les conséquences d'une requalification sont particulièrement lourdes puisqu'elle entraîne la nullité de l'assignation pour non-respect du formalisme sur la loi de la presse et la prescription de l'action généralement introduite plus de trois mois après l'acte de publication incriminé.

Il sera donc intéressant de suivre l'évolution de cette jurisprudence qui devrait sans cesse s'étoffer dès lors que la course à l'information que nous connaissons aujourd'hui conduit parfois les rédactions de tout support à des publications dans l'urgence, faisant l'économie des vérifications requises.

27 août 2020 - Légipresse N°384
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