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Affaire dite du « Mur des cons » : réflexions autour des jugements rendus par le tribunal correctionnel de Paris
La 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris condamne l'ancienne présidente du Syndicat de la magistrature pour injures publiques envers un particulier, celle-ci étant considérée comme l'éditrice du « Mur des cons » affiché dans les locaux dudit syndicat, dont des photographies ont été publiées par des journalistes sur internet. En revanche, les hommes politiques qui ont porté plainte du chef d'injures envers un citoyen chargé d'un mandat public se voient déboutés de leurs demandes. (12 jugements rendus dans cette affaire. Certains ne sont pas définitifs)
Concluant plus de cinq années de procédure (et notamment un pourvoi en cassation), les jugements rendus le 31 janvier 2019 par la 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire dite du « Mur des cons » méritent quelques commentaires, même si, s'agissant de décisions de première instance frappées d'appel pour une partie d'entre elles(1), il convient d'éviter toute analyse définitive sur les principes dégagés dans ces procédures.
Pour mémoire, la présidente du Syndicat de la Magistrature était poursuivie à la suite de cinq plaintes avec constitution de partie civile déposées par diverses personnalités dont les photographies avaient été apposées sur un panneau intitulé « Le mur des cons » situé dans les locaux du Syndicat et que des journalistes, tournant en caméra cachée alors qu'ils effectuaient une interview de Madame Martres, avaient rendues publiques sur leur site internet quelques jours plus tard.
L'on pourrait certes considérer que dans ces affaires, la montagne a accouché d'une souris puisque, sur les cinq procédures engagées, quatre d'entre elles ont abouti à des décisions de relaxe et/ou d'irrecevabilité des constitutions de partie civile, seule une affaire ayant donné lieu à la condamnation de la Présidente du Syndicat à une amende de 500 € avec sursis pour injure publique envers particulier(2).
L'intérêt de ces jugements réside toutefois dans les raisonnements juridiques développés par le tribunal, similaires pour chacune des procédures, mais ayant abouti à des décisions sensiblement différentes en fonction des espèces.
Sans vouloir proposer au lecteur un inventaire à la Prévert de ces jugements, il faudra noter que le tribunal s'est intéressé tour à tour aux faits poursuivis par les parties civiles (I), à la nature juridique du panneau supportant le « Mur des cons » (II), à la publicité des écrits litigieux (III), à l'imputabilité des faits à la Présidente du Syndicat de la Magistrature (IV), à la prescription des actions engagées (V) et, enfin, au caractère injurieux des propos incriminés (VI).
I – L'analyse des faits poursuivis par les parties civiles
Le tribunal était saisi par cinq ordonnances de renvoi rendues à la suite de plaintes avec constitution de partie civile. Les juges ont apprécié leur saisine au regard du contenu de ces plaintes (B), tout en écartant les constitutions de partie civile intervenues en cours de procédure par d'autres personnalités (A).
A - Certaines personnalités du monde de la politique et du spectacle avaient en effet manifesté, devant le tribunal, leur volonté de se joindre aux procédures déjà engagées par d'autres parties civiles, au prétexte que leurs photographies figuraient également sur le « Mur des cons ».
Sans surprise, ces constitutions par voie d'intervention ont été rejetées par le tribunal, qui a rappelé fort logiquement qu'« en matière de presse, l'acte initial de poursuite fixe irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de celle-ci, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre ; il s'ensuit qu'aucune personne ne saurait être admise à intervenir comme partie civile dans la procédure déjà engagée à l'initiative d'une autre partie civile ».
Cette solution, conforme à l'esprit de la loi sur la presse, ne souffre ainsi d'exception qu'en matière d'injure et de diffamation aggravées dans la mesure où, par exception au régime de droit commun de la presse, le parquet peut mettre en mouvement l'action publique. Les associations qui répondent aux exigences des articles 48-1 à 48-6 de la loi du 29 juillet 1881, sont ainsi recevables à intervenir dans le cadre d'une procédure engagée par une autre partie civile, et ce, jusqu'aux réquisitions du ministère public.
B - Le tribunal a ensuite examiné l'étendue de sa saisine au regard du contenu des plaintes avec constitution de partie civile qui avaient été déposées. Les juges ont ainsi considéré que deux d'entre elles incriminaient la seule diffusion dans la presse des photographies issues du « Mur des cons », et non le fait que la présidente du Syndicat de la Magistrature ait permis aux journalistes d'en prendre connaissance. Or, c'était ce dernier point, et lui seul, qui figurait dans l'ordonnance de renvoi dont le tribunal était saisi.
Ainsi, après avoir énoncé que « si c'est bien l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui saisit cette juridiction, c'est l'acte initial de poursuite qui fixe définitivement la nature et l'étendue de la poursuite quant aux faits et à leur qualification et non ladite ordonnance de renvoi… », les juges ont prononcé la relaxe pour les deux plaintes concernées.
Certes, l'on ne saurait donner tort au tribunal d'avoir ainsi rappelé le principe d'intangibilité des poursuites en matière de presse, conforme à une jurisprudence constante en application de laquelle l'acte de poursuite fixe le litige(3) et le juge saisi ne peut statuer sur d'autres propos que ceux visés dans celui-ci(4).
On peut toutefois s'interroger sur le fait de savoir si les termes des deux plaintes pour lesquelles la relaxe a été prononcée à ce titre ne permettaient pas au tribunal de statuer, dès lors qu'elles semblaient bien porter en germe, au moins pour l'une d'entre elles, la référence à un accès par des tiers au « Mur des cons » dans les locaux du syndicat. Il ne fait pas de doute que cette question sera à nouveau débattue devant la cour d'appel, ces deux relaxes ayant fait l'objet d'un appel par les parties civiles.
II – L'analyse du « Mur des cons »
Préalablement à tout examen au fond, le tribunal s'est attaché à caractériser la nature du panneau litigieux. Il a ainsi retenu que celui-ci résultait « d'une accumulation réalisée durant plusieurs années et prenant tout son sens par l'effet de ces superpositions et adjonctions de portraits, composait ainsi un ensemble structuré autour d'un concept, le mur des cons, et obéissant à certaines règles ou instructions données à ceux qui souhaiteraient y apposer une nouvelle photographie », les juges concluant que « cet affichage n'est donc pas le résultat d'une série d'initiatives individuelles successives et indépendantes les unes des autres ; il est, au contraire, une composition collective, obéissant à des règles définies par les membres du syndicat ».
Cette conception n'est pas sans rappeler la notion d'œuvre collective existant en droit d'auteur, définie à l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle comme « l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ».
Par le recours à une telle analogie, le tribunal a pu mettre en jeu la responsabilité de l'éditeur du « Mur » – la présidente du Syndicat(5) – sans avoir à rechercher celle des membres du Syndicat ayant concouru à son élaboration, dont l'identification aurait sans doute été malaisée.
III – La publicité des propos litigieux
Pour retenir le caractère public du panneau litigieux, le tribunal a ensuite considéré que « le fait d'avoir sciemment mis le « mur des cons » sous les yeux de trois personnes étrangères à la communauté d'intérêt des membres du Syndicat de la Magistrature est (…) constitutif de l'élément de publicité, cet élément étant réalisé quand bien même l'un des journalistes n'aurait pas réalisé une vidéo du panneau « en caméra cachée » et quand bien même cette vidéo n'aurait pas fait l'objet d'une seconde publication sur le site Atlantico ».
Il convient ici de rappeler que le panneau litigieux se trouvait dans les locaux du Syndicat de la Magistrature, dont les membres pouvaient certes considérer qu'ils relevaient d'une communauté d'intérêts, notion qui ne résulte d'aucun texte mais que la jurisprudence et la doctrine définissent comme l'existence d'objectifs ou d'intérêts communs(6) et qui est de nature à exclure le critère de publicité au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881.
Toutefois, le « Mur » avait été rendu accessible à des journalistes à l'occasion de leur passage dans les locaux du Syndicat, dans le but d'interviewer la Présidente du Syndicat. La « communauté » se trouvait ainsi ouverte à des tiers et la publicité, par voie de conséquence, caractérisée.
Dans des circonstances similaires, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de considérer que la publicité d'une infraction de presse « pouvait être caractérisée par l'affichage de l'écrit sur un panneau accessible à des (…) tiers étrangers à la communauté », peu important que celui n'ait été accessible « qu'à l'occasion d'un passage ponctuel des tiers dans les locaux du syndicat »(7).
C'est ce raisonnement que semble avoir transposé le tribunal en l'espèce. Cette analyse mérite à notre sens d'être approuvée, dès lors que l'accès de tiers aux écrits litigieux, même en faible nombre et dans un temps très réduit, était de nature à constituer la publicité des infractions de presse poursuivies.
IV – L'imputabilité des faits à la Présidente du Syndicat de la Magistrature
Sur ce point, le tribunal a énoncé que si l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 édictait une responsabilité de plein droit à la charge du directeur de la publication et de l'éditeur en matière d'infractions de presse commises dans la sphère médiatique et de l'écrit, il y avait lieu d'établir, en matière d'infractions commises par affichage, « la participation personnelle du prévenu à la conception, la réalisation, la publication ou la diffusion du support de l'injure ».
Les juges ont ainsi relevé en premier lieu que la prévenue, en sa qualité de présidente du Syndicat de la Magistrature, « avait la possibilité de faire mettre à l'ordre du jour des réunions du bureau et du conseil syndical le sujet de l'enlèvement du panneau litigieux, ce qu'elle n'a jamais fait » et qu'elle « a ainsi contribué, par cette inaction, au maintien de cet affichage ».
Les juges ont en second lieu souligné le rôle plus spécifique de la prévenue à l'égard du journaliste ayant pris connaissance du panneau : « En lui ouvrant la porte, en le faisant pénétrer dans la pièce principale où se trouvait le panneau du « mur des cons », en commentant avec le journaliste les différentes photographies, elle a participé personnellement et activement à rependre cette image et a permis que l'affichage devienne public, indépendamment de sa diffusion ultérieure dans les médias qui ne lui est pas imputable ».
Au terme de cette analyse, le tribunal a ainsi conclu que « dès lors qu'elle a personnellement contribué au maintien de cet affichage et participé à sa diffusion, Madame Françoise Martres doit être considérée comme l'éditrice, et ce nonobstant le fait qu'elle n'y ait, elle-même, apposé aucune photographie ou aucun commentaire ».
Certes, le responsable légal d'une association apparaît désormais clairement, en jurisprudence, comme le responsable de droit des infractions de presse commises par celle-ci(8).
Néanmoins, on peine ici à comprendre la référence à une responsabilité « de plein droit », quand le tribunal a ensuite semblé rechercher une « participation personnelle » de la prévenue aux faits en cause, tout en soulignant le fait que cette dernière n'avait « elle-même, apposé aucune photographie ou commentaire ». Cette difficulté tient, à notre sens, à la nature assez exceptionnelle de ce « mur des cons », sorte d'espace contributif hors ligne qui ne peut être appréhendé avec efficacité par aucun texte et qui semble avoir ce faisant contraint le tribunal à de délicats exercices de gymnastique, voire de contorsion intellectuelle, notamment illustrés par la référence à la notion d'œuvre collective, pourtant propre au domaine du droit d'auteur.
V – L'absence de prescription des actions engagées
S'interrogeant sur les règles de prescription applicables au panneau litigieux, les juges ont énoncé que « s'agissant en l'espèce d'un délit commis par le moyen d'un affichage exposé au regard du public, il convient de rappeler les particularismes de ce mur, constitué non d'une juxtaposition de photographies individualisées, mais d'un ensemble cohérent et organisé formant un tout structuré et modifié, remanié et renouvelé par chaque apposition de nouvelle image », pour en conclure que « compte tenu de ces éléments, un nouveau fait distinct d'affichage est constitué par chaque ajout » et que « par ailleurs, chaque nouvel acte de publication fait courir un nouveau délai de prescription ».
Ainsi, chaque rajout d'une photographie sur le « Mur » était, pour le tribunal, de nature à faire courir un nouveau délai de prescription pour l'ensemble des autres clichés y figurant, celui-ci apparaissant comme un ensemble indivisible soumis à une prescription unique.
Une telle analyse n'est pas sans rappeler la notion de « nouvelle publication » utilisée à plusieurs reprises ces dernières années par la Cour de cassation en matière de réactivations ou d'agrégation de nouveaux contenus sur internet(9). Toutefois, n'aurait-on pas pu plus simplement considérer que, quelle que soit la date d'affichage des photographies en cause sur le tableau, c'est bien l'accès à celui-ci par des tiers, modifiant la nature de l'infraction de presse (puisque de non publique, elle devenait publique), qui faisait courir un nouveau délai de prescription ?
Par ailleurs, la prévenue soutenait que le panneau avait déjà été rendu public à l'occasion d'une précédente conférence de presse, intervenue en 2012, de sorte que la prescription se trouvait acquise. À cet égard, le tribunal a rappelé qu'en cas de contestation sur la diffusion des propos poursuivis, « il appartient à la prévenue, demandeur à l'exception de prescription soulevée, d'établir que celle-ci est acquise et qu'une précédente publication du panneau, strictement identique à celui filmé le 5 avril 2013, a été réalisé plus de trois mois avant le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile » – confirmant ainsi la jurisprudence applicable – et que cette preuve n'étant pas rapportée « avec certitude », l'exception de prescription soulevée par la prévenue devait être rejetée.
VI – Le caractère injurieux des propos poursuivis
À ce stade du raisonnement développé par le tribunal, seules trois plaintes sur les cinq restaient encore soumises à l'examen : deux plaintes déposées pour injure envers un citoyen chargé d'un mandat public, et une troisième visant l'injure envers un particulier.
Le caractère injurieux du terme « con » ne faisait guère de doute – cela n'était même pas réellement discuté en défense – et ne pouvait pas être justifié par le recours à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, le tribunal rappelant que le panneau litigieux ne s'inscrivait « dans aucun débat d'idées lisible, aucune polémique syndicale ou même politique qui permettrait une appréciation des plus larges des limites admissibles de la liberté d'expression ».
Restait à savoir quelle était la qualité de la personne visée par les écrits. La question présentait un intérêt évident, dès lors que la juridiction saisie est liée par la qualification choisie par la partie civile et ne peut y substituer aucune autre, la Cour de cassation rappelant à cet égard que « les faits doivent être appréciés au regard de la qualification fixée irrévocablement à l'acte initial des poursuites et que toute erreur sur ce point, qu'il appartient aux juges du fond de relever d'office, si elle est dénuée d'influence sur la validité de la citation, fait en revanche obstacle à la condamnation ».
S'agissant en premier lieu des demandes formées par les deux hommes politiques, le tribunal a prononcé la relaxe au motif qu'il était « dans l'incapacité de déterminer si l'injure était dirigée contre la partie civile à raison de ses fonctions de député ou de sa qualité d'homme politique ou si elle concernait la personne privée ».
On peut ici encore s'étonner de « l'incapacité » dans laquelle déclare se trouver le tribunal : ne pouvait-il réellement pas déterminer si l'injure visait l'homme politique ou la personne privée ? Les juges auraient en effet pu considérer que l'injure visait davantage la personne privée que l'homme politique, en se plaçant ainsi dans le sillage d'un récent arrêt de la Cour de cassation ayant retenu que le qualificatif de « connasse » visant une femme politique s'appliquait à « sa personne » et non à « la fonction publique qu'elle incarnait », de sorte que seule l'injure envers particulier pouvait être invoquée. Mais les magistrats auraient aussi pu considérer, au contraire, que la présence des parties civiles sur le « Mur des cons » apparaissant liée à leurs prises de positions publiques et politiques, la qualification d'injure envers une personne chargée d'un mandat public était justifiée. Dans une telle hypothèse, même si l'injure devait également toucher l'homme privé, le principe d'indivisibilité aurait dû conduire à retenir l'injure envers l'homme public, ainsi qu'il est habituellement jugé en la matière. Quoi qu'il en soit, le tribunal disposait bien, à notre sens, de la matière lui permettant de retenir l'une ou l'autre des qualifications applicables.
S'agissant en second lieu du père de la jeune fille assassinée en 2007 (dont, il faut le dire, on percevait avec difficulté la présence sur le « Mur »), la qualification de particulier ne faisait en revanche aucun doute. C'est donc dans cette seule procédure que la condamnation, somme toute assez modeste comme il a été rappelé en introduction, a été prononcée à l'égard de la présidente du Syndicat de la Magistrature.
Toutefois, ce dernier jugement ayant lui aussi fait l'objet d'un appel, l'ensemble des questions évoquées au long de ces quelques lignes auront une nouvelle fois à se poser. À n'en pas douter, les arrêts à venir ne manqueront pas de susciter l'intérêt.