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Chroniques et opinions
01/06/2013
Retour sur la licéité du marché secondaire des biens culturels numériques à partir de la décision américaine ReDigi c/ Capitol Records du 30 mars 2013
Près d'un an après l'arrêt rendu le 3 juillet 2012 par la Cjue dans l'affaire Usedsoft en matière de logiciel, et alors qu'observateurs et ayants droit, tous secteurs de la création confondus, s'interrogent ou redoutent la transposition de la théorie de l'épuisement du droit de distribution à l'ensemble des fichiers numériques incluant un objet protégé au titre du droit d'auteur ou des droits voisins, un juge fédéral américain vient de refuser le bénéfice de la First sale doctrine à ReDigi, premier service de revente de fichiers musicaux d'occasion lancé fin 2011. Cette décision du 30 mars 2013, confrontée aux enseignements et aux motifs de l'arrêt Usedsoft, est l'occasion de faire un état des lieux au moment même où le dépôt de brevets par d'importants acteurs tels qu'Amazon et Apple, incontournables sur le marché primaire, confirme leur intention d'investir le marché secondaire.
L'arrêt rendu le 3 juillet 2012 par la Cour de justice de l'Union européenne (Cjue) dans l'affaire Usedsoft (1) relatif à la revente d'une licence d'utilisation de logiciel a concentré l'attention des observateurs, cristallisé la tension de l'ensemble des acteurs du marché des biens culturels et agité la réflexion des commentateurs.L'enjeu économique est majeur puisque se pose désormais explicitement la question de l'application aux supports immatériels d'oeuvres et objets de droits ...
Stéphane CHERQUI
Avocat associé Cabinet Twelve
1er juin 2013 - Légipresse N°306
6600 mots
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(2) Cjue (gde ch.), aff. C-128/1V. notamment le commentaire de A. Lefèvre, « Lamise à disposition de copies de logiciels par téléchargement sur internet épuisele droit exclusif de distribution de l'éditeur sur ces copies », Rldi 2012, n° 85, pp.21 et s. ; Ch. Caron, « Le programme d'ordinateur selon la Cour de justice (II) : lavente d'une copie immatérielle de programme vaut épuisement du droit ! », Cceoct. 2012, commentaire n° 106. ; L. Idot, « Programme d'ordinateur et épuisementdu droit de distribution », Europe, août 2012, comm. 345. ; A. Lucas, Propriétésintellectuelles, n° 44, p. 333. ; V. Varet, « De distorsions le droit (de reproduction)s'est épuisé », Propriétés intellectuelles, n° 45, oct. 2012, p. 384 et s. ; Cabinet GillesVercken, « Vers un marché de l'occasion des biens culturels numériques », Légipressen° 303, mars 2013, p. 146 et s.
(3) Sur laquelle : A. Lucas, « Le droit de distribution et son épuisement », Cce n° 11,novembre 2006, étude 25.
(4) L'article 4.2 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protectionjuridique des programmes d'ordinateur dispose que « la première vente d'unecopie d'un programme d'ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ouavec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté,à l'exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programmed'ordinateur ou d'une copie de celui-ci ».
(5) V. Varet, art. préc., p. 384 : « Passons sur la notion de vente, qui découlerait d'unesorte de sens juridique commun ne s'appuyant sur aucune autre référence que sonaffirmation par la Cour. L'assimilation du droit d'utilisation du logiciel, pourtantpersonnel et incessible selon les contrats de licence en cause, à un droit de propriété(sur la copie sic), au seul motif qu'il est d'une durée indéterminée et qu'il a été acquismoyennant le paiement d'un prix, suscite l'interrogation. Le sens commun auquel laCour se réfère s'agissant de la vente admet-il également que le droit de propriété nesoit pas un droit réel, opposable à tous ? Ainsi encore, l'absence d'effet entre les partiesde la clause d'incessibilité du contrat de licence est inexpliquée ».
(6) Sans que le contrat de maintenance conclu par le premier acquéreur nevienne limiter d'ailleurs la portée de ce transfert, puisque selon la Cjue « lesfonctionnalités corrigées, modifiées ou ajoutées sur la base d'un tel contrat font partieintégrante de la copie initialement téléchargée et peuvent être utilisées par l'acquéreurde celle-ci sans limitation de durée » : point 67.
(7) Dont un commentateur a estimé qu'elle révélait la Cjue « grande prestidigitatrice», V. Varet, préc., p. 385, 2e colonne.
(8) Ce qu'une étude du Copyright office, remise au Congrès américain en applicationde l'article 104 du Digital Millenium Copyright Act de 1998, évoquait voiciplus d'une décennie à propos d'une possible évolution de la Firt sale doctrine) :Dmca Section 104 Report, p. 94 et 95 : http://www.copyright.gov/reports/studies/dmca/sec-104-report-vol-1.pdf
(9) V. A. Lucas, obs. sous l'arrêt, préc., p. 336.
(10) V. Cabinet Gilles Vercken, préc, p. 146 et.
(11) V. Is Amazon ready to sell used digital products ? : http://onforb.es/YbcLmH
(12) P. Fontaine, « Apple : un brevet pour revendre d'occasion son contenu achetésur Itunes », 01net.com, 8 mars 2013, http://www.01net.com/editorial/588501/apple-un-brevet-pour-revendre-d-occasion-son-contenu-achete-sur-itunes/
(13) La doctrine dite de First sale est née d'un arrêt de la Cour suprême américaineBobbs-Merrill Co. v. Straus de 1908 ayant jugé qu'accorder au titulaire du copyrightle droit d'empêcher ou de restreindre les reventes subséquentes de copiesd'oeuvres « accorderait un droit qui n'est pas inclus dans les dispositions de la loi sur lecopyright et ( ) étendrait ses effets, par interprétation, au-delà de son véritable sens ».
(14) « The world's first pre-owned digital Marketplace ».
(15) « Notwithstanding the provisions of section 106(3), the owner of a particularcopy or phonorecord lawfully made under this title, or any person authorized by suchowner, is entitled, without the authority of the copyright owner, to sell or otherwisedispose of the possession of that copy or phonorecord ».
(16) V. sur le site même de ReDigi : « ReDigi has structured its Cloud storage systemand Marketplace to ensure that(Firt sale doctrine's) exact qualifications are met » :www.redigi.com/legal.
(17) « Put another way, the first sale defense is limited to material items, like records,that the copyright owner put into the stream of commerce. Here, ReDigi is not distributingsuch material items; rather, it is distributing reproductions of the coyrighted codeembedded in new material objects, namely, the ReDigi server in Arizona and its user'shard drives. The first sale defense does not cover this any more thant it covered the saleof cassette recordings of vinyl in a bygone area ».
(18) Maria A. Pallante, « The next great copyright act », Columbia journal of Law andthe Arts, mars 2013, p. 332 : « More than a decade later, the doctrine of first sale maybe difficult to rationalize in the digital context, but Congress nonetheless could chooseto review it, much as it considered the issues of renewal registration and terminationin 1976.88 On the one hand, Congress may believe that in a digital Marketplace, thecopyright owner should control all copies of his work, particularly because digitalcopies are perfect copies (not dog-eared copies of lesser value) or because in onlinecommerce the migration from the sale of copies to the proffering of licenses hasnegated the issue. On the other hand, Congress may find that the general principle offirst sale has ongoing merit in the digital age and can be adequately policed throughtechnologyfor example, through measures that would prevent or destroy duplicativecopies. Or, more simply, Congress may not want a copyright law where everythingis licensed and nothing is owned ».
(19) Ainsi par exemple, les règles d'utilisation des conditions générales de ventesd'iTunes store.
(20) Cspla, Avis du 23 octobre 2012, § 11.
(21) V. Civ. 1re, 7 mars 1984, « affaire Rannou-graphie », Jcp éd G., 1985, II 20351, notePlaisant et Rtd com., 1984, p. 677, obs. Françon.
(22) Le service de « casier personnel » est défini par le Cspla dans son avis du 23 octobre2012 comme un service dont l'objet est le stockage et l'accès à des contenusdéjà détenus par l'utilisateur et leur reproduction sur une pluralité d'appareils.
(23) Les services de synchronisation associés à un service de vente (iTunes in theCloud, Google Play, etc.) sont définis par le Cspla dans son avis du 23 octobre2012 comme permettant de se voir remettre, de manière instantanée aumoment de l'acte initial d'achat ou de manière différée à partir d'un historiqued'achats, des reproductions du contenu acquis.
(24) V. Varet, préc., 385 : « Car la Cjue se révèle une grande prestidigitatrice : la copie quidoit circuler librement par reventes successives en raison de l'épuisement du droit dedistribution y afférent ne circule pas, tandis que ledit épuisement permet les reventessuccessives d'un droit d'usage de nature immatérielle dont le titulaire a pourtantstipulé l'incessibilité. Et comme ce droit d'usage serait aussi inutile qu'un couteau àune poule sans accès au logiciel, la Cjue sort de son chapeau une nouvelle copie issuedirectement du titulaire du droit, qui ne peut opposer son droit de reproduction auxacquéreurs successifs du droit d'utilisation de son logiciel. En sorte que, de distorsionen distorsion, c'est bien le droit de reproduction du logiciel qui s'épuise ».
(25) Considérants 42 à 46.
(26) Considérant 61.
(27) « En effet, l'acquéreur initial qui procède à la revente d'une copie matérielle ouimmatérielle d'un programme d'ordinateur pour laquelle le droit de distribution appartenantau titulaire du droit d'auteur est épuisé, conformément à l'article 4, paragraphe 2,de la directive 2009/24, doit, aux fins d'éviter la violation du droit exclusif à la reproductiond'un programme d'ordinateur appartenant à l'auteur de celui-ci, prévu à l'article4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/24, rendre inutilisable sa propre copie aumoment de la revente de celle-ci » (Cjue, 3 juillet 2012, Usedsoft, préc., consid. 70).
(28) Cjue, aff. C-5/08 du 16 juillet 2009, Infopaq International A/S c. Danske DagbladesForening, considérant n° 62 : « La sécurité juridique des titulaires de droitsd'auteur impose en outre que la conservation et la suppression de la reproduction nesoient pas tributaires d'une intervention humaine discrétionnaire, notamment cellede l'utilisateur des oeuvres protégées. En effet, dans un tel cas, il ne serait nullementgaranti que la personne concernée procède effectivement à la suppression de lareproduction créée ou, en tout état de cause, qu'elle supprime celle-ci dès lors que sonexistence ne se justifie plus au regard de sa fonction visant à permettre la réalisationd'un procédé technique. »
(29) « In a sense, the only reason the issue of first sale arises in the U.S. is because wechose to implement the making available right through, inter alia, the distributionright » : Dmca Section 104 Report, p. 94 et 95 : http://www.copyright.gov/reports/studies/dmca/sec-104-report-vol-1.pdf.
(30) Dans un contexte plus européen, l'article 9 de la directive 2006/115/CE du12 décembre 2006 relative au droit de location et de prêt comporte une dispositionanalogue sans qu'aucune réserve n'ait d'ailleurs été émise puisqu'il définit ledroit de distribution comme « le droit exclusif de mise à la disposition du public ( )par la vente ou autrement ».
(31) Déclaration commune n° 6 du Traité Ompi du 20 décembre 1996 sur le droitd'auteur et n° 7 du Traité Ompi du 20 décembre 1996 sur les interprétations etexécutions et les phonogrammes.
(32) E. Lauvaux, « Le cloud et la copie privée », Légipresse n° 301, p. 49, janvier 2013.
(33) La notion de bien matériel implique-t-elle d'ailleurs nécessairement l'existenced'un support tangible susceptible d'être appréhendé physiquement oudoit-on considérer qu'un fichier numérique n'est jamais totalement immatérielcar nécessairement accessible sur un support : serveur, disque dur, clé Usb ? Danscette dernière hypothèse, l'objection de la matérialité du support serait contournée.La suite du considérant qui évoque immédiatement la limite du droit dedistribution à travers son épuisement ne reprend d'ailleurs plus cette notion debien matériel, mais simplement de vente.
(34) CA Paris, P5.C1, 7 mars 2012, Spedidam c/ iTunes, Virgin Mega et a.
(35) Cf. le considérant 63 de l'arrêt Cjue.
(36) Déjà en 2001, le Dmca Section 104 Report du Copyright office, évoqué plushaut concluait que l'impact de la Firt sale doctrine sur les titulaires de droit estlimité dans le monde hors ligne par un certain nombre de facteurs, incluantla géographie et la dégradation progressive des livres et oeuvres analogues »( ) ajoutant : « (p)hysical copies of works degrade with time and use, making usedcopies less desirable than new ones. Digital information does not degrade, and canbe reproduced perfectly on a recipient's computer. The used copy is just as desirableas (in fact, is indistinguishable from) a new copy of the same work. Time, space, effortsand cost no longer act as barriers to the movement of copies, since digital copies canbe transmitted nearly instantaneously anywhere in the world with minimal effort andnegligible cost. The need to transport physical copies of works, which acts as a naturalbrake on the effect of resales on the copyroght owner's market, no longer exists in therealm of digital transmissions. The ability of such used copies to compete formarket share with new copies is thus far greater in the digital world ».