Cour d'appel, Paris, 4e ch. civ. Ss, 22 avril 2005, S. Perquin et Association UFC Que choisir c/ Sté Universal Pictures Vidéo France, SA Films A. Sarde et autres
Michel VIVANT
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l'Université de Montpellier ...
(2) Ainsi, outre le jugement dont appel, Paris, 4e ch., 25 fév. 2004 : Propr. intell.2004, n° 13,p. 917, obs. Lucas ; qui juge que la reproduction de photographies dans un dossier non publiémais destiné aux seuls organisateurs d'une exposition en projet, relève de l'exception commefaite « dans un cadre privé» ; Ou TGI, ch. corr., Rodez, 13 oct. 2004 : Comm. Com. électr.2004, comm. n° 152, note Caron, et, sur appel, Montpellier, 3e ch. corr., 10 mars 2005 :Légipresse 2005, n° 222, III, p. 120, note Wekstein ; JCP G 2005, II, 10078, note Caron ;D. 2005, Jurisp. p. 1294, note Kessler ; RLDI2005, mars, n° 86 p. 21; Rev. Lamy dr. aff.2005,avril, n° 5086, obs. Costes ; Comm. Com. électr.2005, comm. n° 77, note Caron ; et l'articleP. Sirinelli et M. Vivant, «Arrêt de Montpellier du 10 mars 2005 : Ce n'est pas le Peyrou ! »,Rev. Droit de l'immatériel2005, mai, p. 6; qui relaxe l'internaute dont il n'était pas démontréqu'il s'était livré à autre chose que du téléchargement pour lui et quelques « copains». D'autresdécisions, nombreuses, concernent le peer to peeret il n'est pas rare qu'au passage la questionde la copie privée ait été soulevée. Mais l'échange de fichiers va beaucoup plus loin. Letribunal de grande instance de Pontoise en fait une juste analyse quand il observe qu'« il s'agitd'un acte de reproduction, chaque fichier d'une oeuvre numérisée étant copié pour être stockésur le disque dur de l'internaute qui le réceptionne et d'un acte de représentation consistantdans la communication de l'oeuvre au public des internautes par télédiffusion» (TGI Pontoise,ch. corr., 2 fév. 2005, www.foruminternet.org).
(3) V. Légipresse2004, n° 214, III, p. 148, note Vivant et Vercken.
(4) Paragraphe n° 7.
(5) V., très symptomatique, Y. Gaubiac et J. Ginsburg, « L'avenir de la copie privée numériqueen Europe », Comm. Com. électr. 2000, chron. p. 9.
(6) Supranote n° 1.
(7) Tel était le cas de l'affaire portée d'abord devant le tribunal de Rodez et, en appel, devantla cour de Montpellier.
(8) À commencer par nous-même.
(9) Notre commentaire Légipresseprécité, n° 6. Pour une vision autrement ouverte, V., parmiles classiques, Renouard qui déclare refuser de sacrifier les intérêts du public (Renouard, Traitédes droits d'auteurs, Renouard et cie, 1838, spéc. T. 1, p. 437) ou, dans la jeune doctrine,C. Geiger, Droit d'auteur et droit du public à l'information, (Thèse Montpellier 2003) Litec,2004 ; et S. Carre, L'intérêt du public en droit d'auteur, Thèse Montpellier 2004.
(10) En ce sens notamment, en notre matière, M. Vivant, « De la finalité sociale des droits depropriété intellectuelle », in Les Grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2004,comm. n° 1.
(11) La cour de Paris juge l'invocation de ces textes dépourvue de pertinence au motif qu'ilsseraient trop généraux. Et elle a certainement raison. Mais, seraient-ils plus précis, même lefait qu'un droit serait affirmé dans un texte comme ceux cités ou bien dans un texte constitutionnelne conférerait pas à ce droit un caractère absolu, ne serait-ce que sur la considérationqu'en cas de textes de même valeur proclamant deux droits différents en conflit, il faudrait bienarbitrer entre eux. Sur cette nécessité d'arbitrage, cf. par exemple les travaux du Séminairedu Max Planck Institute, tenu à Berlin, en novembre 2004, sur le thème : Interessenausgleichim Urheberrecht (La balance des intérêts en droit d'auteur).
(12) Selon le Trésor de la Langue française(TLF).
(13) L'idée est, au demeurant, présente dans la définition du mot retenue par le Vocabulairejuridique, publié sous la direction du doyen Cornu, qui, parlant d'une « action de supporter»,laisse bien entendre qu'il est toujours possible de choisir de ne pas supporter.
(14) V. Paris, 4e ch., 7 mars 2001 : JCP E 2002, n° 1164, n° 10, obs. Boespflug, P. Greffe etBarthélémy ; PIBD 2001, 723, III, 343.
(15) S. Dusollier «Droit d'auteur et protection des oeuvres dans l'univers numérique droitset exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des oeuvres » Larcier2005 n° 619.
(16) V. déjà notre note sous le jugement du tribunal de Paris du 30 avril 2004, précitée, n° 6.
(17) S. Dusollier, op. cit., n° 622.
(18) P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963. Mme Dusollier s'appuie,elle, sur une thèse namuroise récente : T. Léonard, Conflits entre droits subjectifs, libertés civileset intérêts légitimes : un modèle de régulation basé sur l'opposabilité et la responsabilitécivile,Thèse 2004.
(19) S. Dusollier, op. cit., n° 623.
(20) Et, d'ailleurs, en prétendant régir la confrontation entre droit et exceptions dans le fameuxarticle 6.4 de la directive de 2001, le législateur communautaire reconnaît bien que deux « prérogatives» sont en jeu.
(21) Cf. S. Dusollier, op. cit., n° 629 et ss.
(22) Conv. de Berne du 9 septembre 1886, art. 9 2°.
(23) InfraIII.
(24) Celui qui « choisit» le contenu de la copie, comme dans l'affaire dite du CNRS (TGI Paris,28 janv. 1974 : JCP 1975, II, 18163, note Françon ; D. 1974, 337, note Desbois ; RIDA 1974,n° 80, 121 ; RTD com. 1974, p. 87, obs. Desbois) ou l'officine de reprographie, comme dansla non moins célèbre affaire Rannougraphie (Cass. 1re civ., 7 mars 1984 : Bull. civ.90 ; JCP1985, II, 20351, note Plaisant ; RIDA juill. 1984, 151 ; RTD com. 1984, p. 677, obs. Françon).
(25) Bien que, s'agissant de téléchargement, certains prétendent distinguer " upload" et " download"pour parvenir à la conclusion que, la copie étant réellement réalisée en amont, le bénéficiairedu téléchargement n'est pas le copiste et ne peut donc profiter d'une exception qui supposeque la copie soit bien destinée au copiste. Mais, quand toute fixation est volontiers qualifiéepar certains de reproduction, pour démultiplier à l'infini l'emprise du droit d'auteur (ce contrela plus sage doctrine : cf. A. Lucas, Droit d'auteur et numérique, Litec, 1998, spéc. nos 243et s.), ne peut-on observer que celui qui télécharge procède effectivement à une copie, mêmes'il y a eu en amont une première copie ? Ultime copiste, il est bien copiste. Et la question sedéplace alors, si l'on juge la première copie faite illicite, vers l'une de celle soulevée par la courde Paris : faut-il que la copie privée au sens de la loi procède d'une source licite ?
(26) V. P. Sirinelli et M. Vivant, «Arrêt de Montpellier du 10 mars 2005 : ce n'est pas le Peyrou!»,précité.
(27) Sous réserve d'une appréciation des implications propres que pourrait avoir le choix detel ou tel support du point de vue du triple test ; là-dessus V. infraIII.
(28) Et ce en quoi elle peut, d'ailleurs, partiellement se muer selon l'interprétation qui est susceptibled'être faite du triple test : V. infran° 20.
(29) V. A. Latreille, « La copie privée démythifiée », RTD com. 2004, p. 403, spéc. p. 408.
(30) Art. précité, p. 406.
(31) P. Sirinelli et M. Vivant, art. précité, n° 6.
(32) Nous citerons encore l'article Sirinelli et Vivant ( ibid.) : « À ces arguments favorables auxcopistes il serait possible d'ajouter quelques observations pratiques non négligeables pour lesauteurs eux-mêmes. À supposer que l'exigence existe, comment la mettre en oeuvre et pourquelles conséquences ? Il est dit en droit allemand que celui qui connaît l'origine manifestementillicite de la source ne peut revendiquer le bénéfice de l'exception. Mais comment trancherla question du caractère évident de l'origine irrégulière ? Le copiste qui a reproduit pourlui une oeuvre prêtée par une médiathèque a-t-il la possibilité de connaître la situation, vis-à-visdes ayants droit, de l'institution qui met le support à sa disposition ? Et comment gérer lesconséquences de ces incertitudes et de la casuistique subtile qu'il faudra développer ? On peutainsi s'interroger quant aux conséquences de l'exigence sur le calcul et la perception de lacontrepartie à la liberté de copie, la rémunération pour copie privée. Quand est-elle due et àquelle hauteur ?» Cf. aussi Réponse française en vue du Congrès de l'Alai de New-York de2001 sur « Régimes complémentaires et concurrentiels au droit d'auteur » , par F.-M. Piriou,F. Gaullier et G. Vercken.
(33) A. Latreille, art. précité, p. 405.
(34) Quitte alors à « border» les choses, en particulier en posant que « l'illicéité disqualifiantequi pourrait être celle de la source ne devrait être appréciée qu'en termes de droit d'auteur»(V. P. Sirinelli et M. Vivant, art. précité, n° 6.2).
(35) M. Vivant in Lamy Informatique et Réseaux, depuis l'édition de 1998.
(36) A. Latreille, art. précité, p. 408.
(37) Art. L. 122-5 1 CPI.
(38) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2005, n° 194.
(39) Cf. P. Sirinelli, « Brèves observations sur le "raisonnable" en droit d'auteur », MélangesFrançon, Dalloz, 1995, p. 397.
(40) Traité sur le droit d'auteur du 20 décembre 1996, art. 11 : « Obligations relatives aux mesurestechniques. Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriéeet des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficacesqui sont mises en oeuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice de leurs droits en vertudu présent traité et qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs oeuvres, d'actes quine sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi». Et Traité « sur les interprétationset exécutions et les phonogrammes», art. 18.
(41) Cf., en particulier, C. Geiger, Droit d'auteur et droit du public à l'information, précité. Etaussi « De la nature juridique des limites du droit d'auteur », Propr. intell.2004, n° 13, p. 882.
(42) Cf. supraI.
(43) Cf. infraIII.
(44) CJCE 14 juillet 1994, Paola Faccini Dori, aff. 91/92.
(45) V. infraparagraphes n° 16 et s.
(46) G. Vercken, « La protection des dispositifs techniques, Recherche clarté désespérément :à propos de l'article 6.4», in« La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins », Propr.intell. 2002, n° 2, p. 52.
(47) V. supraI.
(48) Mais, de la formule, pourrait-on déduire que le dispositif de protection, illicite, ici, à l'égardde monsieur P., serait susceptible de devenir licite, là, quand il serait opposé à X ou Y ? Il estpermis d'en douter !
(49) CA Versailles, 15 avril 2005, Mme M. et UFC Que Choisir c/ SA EMI Music France : « Maisd'une part la preuve de l'illicéité d'une mesure technique de protection contre la copie n'estpas rapportée et d'autre part rien n'interdit la société EMI Music France de commercialiser unCD avec une mesure de protection ».
(50) Cf. V.L. Benabou, « Les routes vertigineuses de la copie privée au pays des mesures techniques À propos de l'Arrêt Mulholland Drive», www.juriscom.net, p. 8.
(51) C. Caron, « Les exceptions, L'impact sur le droit français », Prop. intell.2002, n° 2, p. 25,spéc. p. 26.
(52) Car on imagine mal, dans le cas où l'on estimerait le juge fondé à mettre en oeuvre le test,que ce test ne s'imposât pas d'abord au législateur à l'instant où celui-ci décide de retenir telleou telle exception ou limitation.
(53) Cf. G. Vercken, « La protection des dispositifs techniques. Recherche clarté désespérément », précité. Ce rappel, s'il ne constitue pas une simple erreur de formulation, mais qu'ontente de lui donner un sens, peut conduire à l'idée que le triple test à ce niveau ne doit êtremis en oeuvre que dans la confrontation avec les mesures techniques. Dans cette lecture, onne lèvera l'interdiction de contournement technique que s'il est prouvé que, outre les conditionsspécifiques de l'exception revendiquée, les deux étapes du test sont franchies.
(54) Cf. nos observations sous le jugement dont appel, n° 3.
(55) G. Koumantos, « La transposition de la directive 01/29 », RIDA2004, n° 202, p. 107, spéc.p. 125. La «Convention » que vise M. Koumantos est la Convention de Berne dont la directivereprend les dispositions sur le triple test.
(56) V. S. von Lewinski, « La transposition en droit allemand de la directive sur la société del'information », RIDA 2004, n° 202, p. 11, spéc. p. 29.
(57) V. M. Walter, « La transposition en Autriche de la directive sur la société de l'information »,RIDA 2004, n° 202, p. 43, spéc. p. 55.
(58) V. déjà en ce sens M. Vivant, « Rapport de synthèse » du Colloque sur « La directive surle droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, Bilan et perspectives »,Prop. intell. 2002, n° 2, p. 71, spéc. p. 73.
(59) C. Geiger, note sous Paris, 22 avr. 2005, JCP2005, 10126.
(60) En ce sens M. Walter, art. précité, spéc. p. 55.
(61) C. Caron, « Les exceptions », préc., p. 26.
(62) Sur la mise en oeuvre concrète du test, V. infran° B.
(63) On ne manquera pas, d'ailleurs, de noter, à l'heure de l'analyse de la loi de transpositionde la directive, que des amendements ont été déposés dans les deux sens : ceux qui prônentl'introduction expresse dans la loi, et ceux qui défendent l'exclusion expresse également.
(64) Cf. supraparagraphe n° 16 in fine.
(65) Art. 9.
(66) Mais peut-être doit-on être rassuré, à constater que le projet de loi dit que les médiateursdoivent se prononcer « dans le respect des droits des parties». Respectant les droits, il faudrabien que, d'une certaine manière, ils disent le droit
(67) V. supraparagraphe n° 17.
(68) Mais l'hypothèse est bien théorique car, si l'on admet que le législateur puisse être seuldestinataire du test, dès lors que le législateur national doit « élire» dans la liste des exceptionsqu'autorise la directive de 2001 celles qu'il entend consacrer, il sera bien difficile dedémontrer que l'exception retenue en conformité avec la directiveest en rupture avec le modèledu triple test.
(69) Ainsi lisait-on dans le jugement de première instance cette affirmation en forme d'évidencene se discutant pas : « La copie d'une oeuvre filmographique éditée sur support numérique nepeut ainsi que porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre».
(70) Ainsi M. Buydens, « La nouvelle directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certainsaspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information : le régime desexceptions», A & M. 2002, p. 442 ; C. Geiger, note précitée.
(71) À prendre quelque distance avec l'arrêt, on notera aussi que la cour reprend à son compteun des arguments favoris des pirates : rien ne dit que l'impossibilité d'effectuer une copie privéeaurait incité M. P., ou sa mère, à acheter un exemplaire supplémentaire de l'oeuvre. Il n'ya donc pas d'atteinte aux intérêts du titulaire car la possibilité de copier ne se substitue pas àun achat. L'argument est renversant d'une apparence de bon sens, mais il ne nous semble pasdevoir résister à l'analyse. D'abord, l'argument est invérifiable car ce qui est avancé relève dela décision personnelle de chacun, et, posé en termes de preuve, aboutit à une impossibilitéabsolue : les avocats des titulaires de droits auraient dû prouver que la mère de M. P avait eul'intention d'acheter un exemplaire du DVD, ce qu'elle n'a pas fait puisqu'elle a disposé d'unecopie par son fils, preuve négative, relevant du for intérieur de la personne concernée, adversaireau demeurant ! Preuve impossible. Mais, alors, si l'on veut échapper à l'impasse en basculantvers une appréciation globale des comportements, c'est le fait que la conclusion peutêtre renversée qui s'impose à l'esprit. Les études sociologiques démontrent que, parmi lespersonnes qui copient, une proportion d'entre elles n'acquerrait effectivement pas l'exemplaireoriginal si elle ne disposait pas de la faculté de copier (cf. « Le téléchargement de films surinternet » Étude CNC mai 2004). Mais de ces chiffres mêmes il résulte qu'un certain nombrede ces personnes aurait choisi d'acheter un exemplaire original. On pourrait y voir la démonstrationd'une atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ! La vérité est que la possibilité d'avancerl'argument dans les deux sens doit aboutir à l'évacuer du champ du raisonnement.
(72) Cf. C. Castets-Renard, Notions à contenu variable et droit d'auteur, L'Harmattan 2003.
(73) Groupe spécial OMC, 15 juin 2000; rapport adopté par l'Organe de Règlement des Différends,31 juill. 2000 : «Grands arrêts de la propriété intellectuelle », Dalloz2003, n° 13, comm. Clément-Fontaine.
(74) Sous la réserve importante que cela ne soit pas l'occasion de fabriquer artificiellementdes marchés. Où l'on retrouve la notion d'exploitation normale. V. infraparagraphe n° 21.
(75) Conv. de Rome, art. 7.
(76) Ce pourquoi il est sans doute hâtif de parler de « manquement à l'exception de copie privée», constitutif de faute, comme le fait l'arrêt.
(77) Dans une forme qui s'apparenterait à un arrêt de règlement ?
(78) J.-M. Bruguière et M. Vivant, obs. sous TGI Nanterre 2 septembre 2003 : Prop. intell.2003, n° 9, p. 464.